La question de réduction de la pauvreté est toujours un sujet d’inquiétude, au vu de la situation socio-économique défavorable d’environ la moitié de la population ivoirienne. Le quotidien des ménages défavorisés est de relever le défi de la gestion de leur budget, limité, en confrontation avec les risques et imprévus journaliers et ils allouent leurs disponibilités financières selon la priorité et l’urgence des dépenses.
Cette bataille quotidienne et l’effet de la vie chère affectent aussi les ménages vulnérables à la pauvreté. Si la pauvreté est vue comme une insuffisance de ressources face aux besoins, la vulnérabilité, quant à elle, se définit comme la fragilité du ménage à se protéger contre les facteurs pouvant détériorer sa situation socio-économique par un accroissement de ses besoins.
Les impacts des guerres et des fléaux naturels dans les pays en voie de développement illustrent parfaitement les causes fondamentales de la pauvreté dans certaines régions, étant à l’origine de la destruction et de la perte de patrimoines. Mais certains chercheurs ont préféré mettre l’accent sur les risques endogènes auxquels sont exposés les ménages. Ces risques sont considérés comme des dépenses importantes liées aux obligations sociales du ménage. Selon l’économiste britannique Stuart Edward Rutherford, dans son article The poor and their money, ces risques sont des chocs économiques qui obligent le ménage à faire en « une fois » une dépense supérieure à sa capacité économique, hypothéquant ainsi la gestion de son budget. D’où l’utilisation du terme « stress financier ». A titre d’exemples, l’on peut citer les coûts d’organisation de funérailles, les frais de maladies, les mariages ou fiançailles, la scolarité des enfants, les anniversaires, les fêtes religieuses…
Ces dépenses, de manière continue, peuvent aggraver sa situation socio-économique et rendre « le ménage vulnérable pauvre et le ménage pauvre à passer facilement à une situation d’extrême pauvreté ». Pour faire face à cette situation délicate, quatre méthodes sont utilisées. En premier lieu, le ménage opte pour un ajustement des dépenses budgétaires par une réduction ou une modification de la consommation, c'est-à-dire en adoptant de nouvelles habitudes, moins coûteuses, pendant une certaine période, se donnant ainsi le temps de revenir à la normale.
En cas d’échec de cette stratégie, il s’adonne à l’utilisation de l’épargne prévue pour des dépenses planifiées à termes fixes. Cette seconde méthode porte par exemple sur l’utilisation des fonds destinés au paiement des frais de scolarité des enfants. Les limites des deux premières options amèneront le ménage à avoir recours au crédit informel comme troisième voie. On le verra faire des demandes de prêts auprès des proches, des réseaux de tontines (modèle ROSCA et ASCA) ou de prêteurs usuriers.
En cas exceptionnel, une quatrième voie est choisie, par désespoir, pour faire face aux difficultés et honorer les dettes : certains ménages choisissent de liquider leurs biens, généralement le mobilier. Ces solutions montrent clairement les efforts déployés par les ménages pour améliorer leur quotidien et gérer le risque d’aggravation de la situation socio-économique auquel ils sont exposés.
Ces efforts nous poussent à nous interroger sur le mode de prévention de ces risques. Cela implique une anticipation de tous phénomènes pouvant détériorer une situation financière. Les observations montrent que la réponse à cette question prend sa source dans la gestion de l’excédent du revenu après les dépenses familiales mais ne concerne pas les ménages en urgence d’accès aux services sociaux de base.
En effet, l’orientation d’une partie du revenu est un aspect important de prévention les risques financiers. Il peut s’agir d’une simple épargne à terme. Pour cela, le ménage peut participer à une association rotative d’épargne et de crédit, un réseau de tontine, recourir aux services d’un collecteur d’épargne ou souscrire aux services d’épargne et crédit d’une institution financière formelle. « Faire fructifier » le revenu est la voie privilégiée par toute personne effectuant des investissements informels ou formels.
Par ailleurs, la souscription aux produits d’assurance inclusive est une opportunité pour améliorer la résilience des ménages face aux chocs économiques mais elle est peu exploitée du fait de sa méconnaissance par la population.
Les chocs économiques mettent à mal la planification financière préétablie et tous les recours sont utilisés pour ajuster ressources et besoins. La vie chère, notamment la flambée des prix des denrées alimentaires, est le facteur détériorant qui doit prioritairement interpeller les autorités.
Dr Moustapha Sangaré, Spécialiste en microcrédit et économie solidaire à l'Université de Palermo, Italie