Côte d’Ivoire : Un cimetière pour l’e-Commerce ?

La première mauvaise nouvelle est venue d’Afrimarket, en septembre dernier. La fermeture de Yaatoo a suivi presque un mois jour pour jour après. Et, face à Jumia qui tient encore difficilement la route, le commerce électronique ou encore le e-commerce ne décolle pas en Côte d’Ivoire. Le secteur s’annonçait pourtant prometteur en Afrique et commençait à attirer de nouveaux investisseurs. Le refrain selon lequel l’avenir réside dans les TICs prend une douche froide et dans le milieu les questions fusent. Le e-marché est-il vraiment un secteur d’avenir ? Le comportement de la population a-t-il connu un changement dans l’acte d’achat grâce à l’entrée en scène d’entreprises de commerce en ligne ? La chute des pionniers est-elle le début du réajustement des politiques dans le secteur ?

Nous sommes le 28 août, il est 10 h 30. Le directeur de Yaatoo, Doungnan Coulibaly, 32 ans,  jette un regard vers ses collaborateurs et lance « les gars, je vous informe que nous allons fermer ». « Nous avons pensé à une blague, avant de déchanter face au sérieux avec lequel il expliquait la suite », se souvient l’un des 17 ex employés de Yaatoo. « La nouvelle est, en effet, tombée à l’issue d’une réunion avec les actionnaires du groupe Prosuma, qui m’ont informé de leur volonté d’arrêter les investissements dans le e-commerce, trois années après le lancement de la plateforme Yaatoo », confie Doungna. Cette fermeture intervenait un mois après le placement en liquidation judiciaire auprès du tribunal de commerce de Paris d’Afrimarket. Celle-ci  n’a pas survécu à une crise financière et n'a pas réussi à lever des fonds pour poursuivre ses activités. La start-up, lancée en 2013 par la Marocaine Rania Belkahia, avait besoin de 13,1 milliards de francs CFA pour se relancer.  L’entreprise, après la réussite de quatre levées de fonds les années antérieures, éprouvait des difficultés à mobiliser de nouveau des montants « nécessaires pour atteindre la taille d’un mastodonte capable de tenir dans le e-commerce en Afrique », explique Rania Belkahia. Et Jumia est un géant aux pieds d’argile. Malgré une entrée en Bourse réussie et le rachat de plusieurs autres structures exerçant dans le e-commerce, l’entreprise ne peut pas encore se vanter d’être sortie de la zone de turbulences. La grève pour mauvais traitement salarial et difficiles conditions de travail des quelques 200 employés de Jumia, en août dernier, avait levé le voile sur les énormes difficultés qu’elle traverse.

Secteur balbutiant Les spécialistes du secteur sont unanimes. La vente en ligne en est encore à ses premiers pas en Afrique et balbutie, à l’image des premiers mots d’un enfant. Les plus sceptiques pensent même qu’il faudra encore une dizaine d’année avant que cela ne soit inscrit dans les habitudes des consommateurs ivoiriens. Sur le continent, d’ailleurs, la vente en ligne représente 1% des échanges contre 2,4% en Amérique Latine et 10% aux USA. Et la courbe n’est pas encore prête à prendre l’ascenseur dans un pays où le taux de pénétration des services Internet est de moins de 30%. Arrivé sur un segment dominé par Jumia, Yaatoo avait fondé sa stratégie sur un tryptique : « la livraison express en 2 h Chrono dans les 10 communes d’Abidjan, le paiement sécurisé en ligne par carte bancaire (Visa & Mastercard) et l’ouverture du service client 7j/7 ».  Il sera aussitôt suivi dans cette politique par Jumia, qui ne laissait presque pas de place à la concurrence et multipliait les initiatives pour étouffer toute innovation venant d’un concurrent. La passion et l’engagement des équipes, réduites mais très brillantes, jeunes et dynamiques n’ont pas suffi. « Nous avions un budget très contraignant, ainsi qu’un contexte organisationnel interne qu’il fallait aussi accompagner dans notre démarche de changement et d’innovation », explique Doungnan.  Un autre ex employé, un peu plus bavard, révèle que la start-up du groupe Prosuma a fonctionné avec un budget d’un peu plus de 300 millions de francs CFA par an, inférieur au portefeuille publicitaire de Jumia, estimé à 500 millions par an. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un employé de Afrimaket expliquait que l’avenir du e-commerce reposait sur des partenariats de type joint - venture » entre les entreprises, car aucune société locale ne peut à elle seule porter le risque financier et stratégique de la gestation d’un fleuron dans le secteur. « Il faut plusieurs années d’investissement, car les marchés sont encore trop petits en Côte d’Ivoire et en Afrique et parce que d’autres enjeux sont parfois minimisés, notamment en termes d’infrastructures logistiques, technologiques, bancaires, etc. J’invite les acteurs de l’écosystème de l’innovation et du digital à porter davantage le message qu’il est obsolète de juger une start-up  uniquement par son compte de résultats dès les premières années de son existence. À ce jeu, Facebook, Amazon, Google, et j’en passe, n’auraient pas survécu si ce prisme d’analyse prévalait aux USA », lâche avec regret Doungnan Coulibaly.

Marché « virtuel » ? La Côte d’Ivoire attire certes par ses ressources, ses taux de croissance depuis 2012 et son potentiel, mais la réalité commande parfois d’autres choses. Tout en prenant en compte le taux de pénétration de l’outil Internet, il faut aussi intégrer les habitudes d’achat de la clientèle. Et, à ce niveau, les réflexes traditionnels demeurent, comme de faire ses achats directement dans les marchés ou supermarchés « à portée de main », de même que le peu de confiance en les achats numériques. « Parfois, il y a un réel décalage entre les produits présentés en ligne et ceux que le livreur vous présente », explique Julien, qui garde en mémoire une mauvaise expérience avec des sites d’achats en ligne. « La qualité n’est pas toujours au rendez-vous et quand vous avez affaire au service après-vente, c’est un véritable chemin de croix, surtout pour le matériel électroménager », se désole-t-il.  Même Afrimarket, par exemple, qui s'était positionnée dans la course pour satisfaire les besoins du consommateur dans des zones souvent décrites comme dépourvues de connexion Internet, d’adresses et même de routes, n’a pu tenir. C’était pourtant le 1er site de vente en ligne de proximité qui proposait des produits en tous genres (électroniques, vêtements, alimentation). « La particularité d’Afrimarket résidait dans le fait que, la diaspora pouvait envoyer un sac de riz, un mouton pour la fête de la Tabaski, ou encore du ciment pour construire une maison à la famille en Afrique, en choisissant directement sur catalogue en ligne et les produits étaient livrés sur place », explique l’ex employé cité plus haut. Pareil pour C Discount.ci. S’il  se classe en tête des sites d'e-commerce en France, son site en Côte d’Ivoire n’a pas fait long feu et a dû fermer. Démontrant ainsi une inadéquation entre l’offre des entreprises et les besoins de la clientèle.

Des petits poucets Mais le secteur ne semble pas pour autant être une mauvaise expérience pour tous. Même si elles n’ont pas une taille de géant, certaines sociétés ont opté pour un développement à petits pas. Il s’agit entre autres de Vendito.ci, un site de commerce en ligne du modèle marketplace et un service d’annonces permettant d’acheter et de vendre en ligne en Côte d’Ivoire. Ou encore de shop.pdastoreci.com, une plateforme spécialisée dans la distribution de téléphones mobiles, smartphones, tablettes, notebooks, accessoires, etc. Et même Babiken.net, qui pour l’heure table sur  la gratuité des livraisons. Une offre originale, mais jusqu’à quand pourra-t-elle résister ? « Certains consommateurs trouvent les frais de livraisons élevés et cela constitue l’un des freins au e-commerce à Abidjan », explique Mohamed Leraqui, 28 ans, fondateur de Babiken.net. Mais l’expérience n’est pas toujours de bon goût. En plus de la masse salariale, parfois difficile à tenir, ces entreprises luttent pour rester encore… en ligne.

Ouakaltio OUATTARA

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