Intégration sous-régionale : Quand la corruption fait barrage

Les tracasseries routières fatiguent les États de l’Afrique de l’Ouest.

es tracasseries routières dans la Zone CEDEAO font partie des obstacles à la mise en place d’une véritable zone de libre circulation des personnes et des biens. Que ce soit à l’aéroport ou aux postes frontaliers routiers, le racket a pris une telle ampleur qu’il met à mal la mise en œuvre de véritables politiques commerciales. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et la Zone de facilitation d’échanges (AFE), deux récents accords des pays africains, restent conditionnés à une fluidité circulatoire qui n’existe que de nom pour l’instant.

Aéroport international Félix Houphouët-Boigny, ce dimanche 27 novembre 2022. Les mises en garde des autorités ivoiriennes ont seulement édulcoré l’ardeur des travailleurs. Le racket couve derrière les regards inquisiteurs des agents de contrôle. Entre deux sourires, une dame chargée de vérifier notre passeport derrière sa cabine  demande ce que le « chéri » a pour elle comme cadeau. La causerie prend deux minutes parce qu’elle ne nous redonne le passeport que lorsque nous daignons enfin lui tendre un billet vert. Plus d’une heure plus tard, à l’aéroport international Gnassingbé Eyadema de Lomé (au Togo), c’est le même spectacle. L’argent doit être déposé en toute discrétion dans l’un des bacs de rangements qui sert à recueillir les affaires pendant les fouilles. Ni vu ni connu. C’est aussi tout un réseau à l’aéroport d’Abuja. Même dans les toilettes, des personnes à l’affût osent vous aborder pour vous soutirer de l’argent. Mais là où le bât blesse, c’est au niveau des contrôles incessants. Pour une communauté disposant des mêmes passeports, symboles de fluidité et d’intégration sous-régionale, les réalités du terrain sont âpres.

Réalités tangibles Forte de 15 États, sans compter la Mauritanie, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) est l’une des 8 organisations économiques et politiques d’Afrique. Depuis sa création, en 1975, elle s’est fixé pour objectif la promotion de l'intégration dans tous les domaines de l'activité économique. L’industrie, les transports, les télécommunications, l'énergie, l'agriculture, les ressources naturelles, le commerce, les questions monétaires et financières, les questions sociales et culturelles. Près de 50 ans après, son principal objectif, la libre circulation des personnes et des biens au sein de son organisation, n’est toujours pas une réalité tangible.

Les tracasseries routières laissent les États membres indifférents. Si les voyageurs en avion se plaignent, par voie terrestre c’est encore plus exaspérant, selon Seydou Sacko, Chargé de programme Commerce et concurrence à la CEDEAO. « Je ne me rappelle pas avoir tenu une réunion ou un atelier dans l’espace CEDEAO sans que la question ne soit ramenée à ces tracasseries et à ces corruptions sur nos routes, au problème de la libre circulation des biens et des services (…). Rien qu’entre Lagos et la frontière Sémé - Kraké, (poste frontière au Bénin), nous avons relevé  47 check-points. C’est énorme ! Alors qu’on a la possibilité de voyager d’Abuja directement à Lomé et Cotonou, il faut d’abord aller à Lagos. Nous avons tout dit sur cette route-là, mais rien ne change. Les tracasseries et la corruption sont devenues du banditisme. Ce sont des pratiques qui sont ancrées dans les habitudes. Il arrive que la CEDEAO décide de mettre en place une équipe de contrôle, de Lagos à Cotonou par exemple, pour épingler ceux qui s’adonnent à ces check-points illégaux et au racket. Mais, aussitôt que la délégation prend la route, tous les racketteurs disparaissent sur le tronçon parce que quelqu’un les prévient qu’une délégation de la CEDEAO arrive pour contrôler. Et dès qu’on s’en va, ils reviennent », déplore Seydou Sacko.

 

« Nous avons besoin d’États forts, d’institutions fortes, pour vaincre la corruption et les tracasseries »

Politique d’intégration Selon Cheick Tidjane Dièye, Directeur exécutif du Centre africain pour le commerce, la corruption est le principal obstacle pour les pays africains dans leur politique d’intégration. La Zone de libre échange continentale africaine (ZLECAf) mise en place, selon lui, ne pourra pas être une réalité tant que ce fléau demeurera. Avec pour objectif de stimuler le commerce intra-africain en permettant de faire des affaires plus facilement sur tout le continent, l'accord de libre-échange envisage de supprimer les droits de douane pour 90% des marchandises, avec la création d’une Union douanière. Une Union douanière qui ne pourra marcher, cependant, que si chaque pays combat efficacement la corruption à son niveau. « C’est un problème que chacun devra analyser à son niveau. Nos États doivent s’impliquer fortement pour lutter contre la corruption. On le voit à chaque rapport de Transparency International, l’Afrique n’est pas bien notée», souligne Tidjane Dièye.

Depuis sa mise en place, la CEDEAO a toujours eu pour objectif de faciliter la vie des citoyens vivant en son sein. D’où son adhésion, en 2017, à la ZLECAf et à la Zone de facilitation d’échanges (AFE). Un marché pour l’Afrique, une Union douanière et un grand poids commercial à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Sachant que le continent noir ne représente que 3% dans le commerce mondial et que l’Afrique reste l’éternelle perdante lorsqu’il faut passer des accords avec les puissances occidentales ou orientales, les organisations qu’elle met en place ont le devoir de changer la donne. 

Or, d’après Raymond Dangana, représentant de l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ), il faut que l’engagement pris par les autorités africaines se traduise en actes. Le stylo ne suffira pas. Il faut des réformes à tous les niveaux. « Nous avons besoin d’États forts, d’institutions fortes pour vaincre la corruption et les tracasseries. Nous avons besoin de la mobilisation de la société civile pour cela », ajoute Sacko Seydou. Sans véritable engagement politique, aucune chance que le continent parvienne à vaincre ses vieux démons.

Victimes de tracasseries Cette société civile que Seydou Sacko réclame commence par ailleurs à se mobiliser, aux dires de l’expert. En effet, explique-t-il, des transporteurs de la zone s’organisent pour combattre les tracasseries routières. Avec l’aide des autorités de la CEDEAO, ils ont fait installer des points focaux dans chaque poste frontalier des pays membres. « Nous les avons aidés à se munir de macarons pour ne pas être victimes de tracasseries routières pendant leurs trajets. Ils se sont donc organisés. Dès qu’ils sont importunés à un poste frontalière, ils appellent le point focal désigné à cet endroit pour se plaindre », explique Seydou Sacko. À charge pour ces points focaux, qui sont des policiers ou des gendarmes, de se porter sur les lieux pour tenter d’épingler les coupables. Mais plus facile à dire qu’à faire. Dans la pratique, la machine est encore lourde. Pour les experts, c’est une question de mentalité. Le véritable front contre la corruption viendra des populations elles-mêmes. « Quand on parle de corruption, c’est parce qu’il y a un corrupteur. Les tracasseries sont des actes condamnables. Vous avez besoin d’un service ou bien vous n’êtes pas en règle, alors vous corrompez pour vous faciliter la tâche. Parfois, on mêle cela à des problèmes d’insécurité, lorsque les marchandises sont amenées vers les frontières. Malheureusement, dans nos États la corruption se trouve à tous les niveaux. C’est un manque à gagner et c’est la population qui en supporte la charge et le coût », ajoute le Chargé de programme Commerce et concurrence au sein de la CEDEAO.

Bon an mal an, les États de l’Afrique de l’ouest sont parvenus à créer une zone de libre circulation des personnes et des biens avec un passeport unique. Premier pas vers une intégration africaine totale. Malgré les déboires, la CEDEAO est citée en exemple, comparée aux 7 autres organisations économiques et politiques du continent. Mais si elle veut rivaliser avec les plus forts, il faudra un engagement entier des dirigeants des États membres dans la lutte contre la corruption.

Raphaël TANOH

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