Indemnisation : les victimes entr e espoir et désespoir

Pour l’heure, quelques victimes ont reçu des chèques des mains de la ministre Mariétou Koné.

L’indemnisation des victimes de la période 1990-2010 faisait partie des priorités de la politique de réconciliation du gouvernement. Dès 2011, la création de la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) avait suscité l’espoir de tous ceux qui avaient perdu des proches, ou encore des biens. Un moyen pour les autorités de favoriser la réconciliation des Ivoiriens, divisés depuis plus d’une décennie. Mais jusqu’en 2015, cette indemnisation n’avait pas encore été matérialisée, la CDVR s’étant limitée au recensement des victimes. La création de la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (CONARIV), en mars 2015, aura permis de démarrer le processus, qui reste encore timide et lente, au grand dam de certaines victimes qui perdent patience.

Elles sont de toutes les crises ivoiriennes, de 1990 à 2010. Appar- tenant à différentes couches so- ciales et diverses opinions politiques, les victimes sont réunies au sein de plusieurs associations de défense, et attendent pour la plupart un financement du gouvernement, afin « d’essuyer leurs larmes », et passer à autre chose. Pour elles, la réconciliation doit aussi passer par l’indemnisation. Mohamed Koné, touché à la colonne vertébrale lors de la crise post-électorale à Treichville, considère que « c’est quand les victimes seront indemnisées et pardonneront à leurs bourreaux, que nous pourrons parler de réconciliation.» Un dédommagement qui, après cinq ans, se fait encore attendre pour la plupart des victimes.

Pour l’heure, la ministre de la Solidarité, de la Cohésion sociale et de l’Indemnisation des victimes, Mariétou Koné, parle de phase pilote, avec 4 500 vic- times concernées. Des chèques allant de 150 000 à 1 000 000 de francs CFA ont été distribués au début de l’année 2016. « Il s’agit de se rapprocher des victimes qui sont au cœur de l’indemnisation et de leur apporter la compassion de l’État de Côte d’Ivoire », explique la ministre. Un dossier qu’elle maîtrise, pour avoir été la directrice générale du Programme national de la cohésion sociale (PNCS) de 2014 à 2015, avant d’être nommée au gouvernement.

D’espoir en espoir

Alors qu’elles voient désormais le bout du tunnel, ces milliers de victimes ne comptent pas baisser les bras. Recensées à plusieurs reprises, elles continuent de scruter l’horizon, dans l’espoir de tourner la page. C’est le cas aujourd’hui de Mo- hamed Koné et sa famille, soulagés au début du mois de novembre. Après plusieurs démarches infructueuses entre 2011 et 2016, il a été pris en charge pour des soins et une opération au Maroc, et se déplace désormais en fauteuil roulant. En attendant les résultats de l’intervention chirurgicale, sa famille estime qu’un pas important a été franchi. « Nous avions perdu espoir. Mais aujourd’hui, nous prions pour que les choses se passent bien », confie son père, pour qui les pouvoirs publics auraient dû songer à cette opération depuis 2011. Quant à Ahmad Jidou Fahada, ressortissant mauritanien et ex-propriétaire de six boutiques dans la commune de Port-Bouet, il est encore loin d’être satisfait. À ce stade, ni la CDVR, ni la CONARIV n’ont apporté de solution à son problème. « L’attente est longue, lassante et étouffante », se plaint-il. Même son de cloche chez Oumar Koné et Constance Moé. Le premier indique avoir perdu deux minicars Gbaka lors de la crise à Yopougon, alors qu’il s’était endetté pour les acquérir. Résultat, l’institut de microfinance auprès duquel il avait emprunté des fonds a saisi sa villa. « Je suis ruiné et endetté», lâche-t-il, désorienté. Pour sa part, Mme Moé attend encore des fonds afin de reprendre ses activités d’élevage de lapins et de poulets à Duékoué. Pour l’heure, elle s’est reconvertie en vendeuse de boissons, mais garde toujours l’espoir de bénéficier d’une aide financière afin de reconstruire sa ferme pillée et saccagée en 2011.

Lourdeurs administratives D’abord, la CDVR puis ensuite le PNCS, la CONARIV et le ministère de tutelle, c’est toute une série de démarches administratives auxquelles les victimes doivent faire face, munis des documents tels que les certificats de décès, les extraits d’acte de naissance, les constats d’huissiers, etc. Ils doivent permettre de prouver leur statut de victime. Ceux qui n’ont pu produire ces documents ont été purement et simplement rayés de la liste des victimes, ce qui a conduit à bien des frustrations. La CONARIV n’a en effet retenu que 316 954 victimes des crises survenues en Côte d’Ivoire entre 1990 et 2010, sur 874 056 recensées. Un chiffre bien loin de la réalité, selon Idriss Konaté, président d’un collectif de victimes. Pour lui, ce nombre devrait avoisiner 500 000 victimes sur toute l’étendue du territoire national. « Malheureusement, faute de fournir des preuves, certaines victimes ont été retirées du fichier », se désole-t-il. Mais du côté du département de tutelle, la ministre Mariétou Koné as- sure que tout est mis en œuvre pour prendre en compte les victimes, mais « les vraies victimes » précise-t-elle. C’est pourquoi, depuis le début de l’opération en 2011, des auditions et des enquêtes ont été menées à tous les niveaux, afin de ne retenir que ceux qui ont subi des torts, expliquait la ministre Anne Désirée Ouloto en 2014, alors qu’elle était en charge de ce dossier.

La guerre des nerfs Nonobstant toutes ces plaintes et frustrations, le ministère de la Solidarité appelle à la patience. Pour prouver sa bonne foi, depuis le déblocage en août 2015 d’une enve- loppe de 10 milliards de francs CFA par le président de la République, le ministère n’a eu de cesse de procéder à des remises de chèques. Toutefois, Mariétou Koné rappelle que cette indemnisation financière est à titre personnel, « car aucune somme ne saurait remplacer une vie humaine, encore moins rattraper le temps perdu.» La phase pilote est certes lente, mais elle avance. Sûrement, selon l’administration, pas suffisamment, de l’avis de nombreuses victimes. Pour Issiaka Diaby, le plus important n’est pas l’argent, mais « il faut que tout soit mis en œuvre pour que ces orphelins, veuves et handicapés à vie, retrouvent leur dignité et la joie de vivre. »

Ouakaltio OUATTARA

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