Tous ceux qui le connaissaient disent de lui qu’il avait le cœur grand, l’esprit très affûté et une singularité propre à sa profession d’interprète du langage des signes. Jonas Boneo a tiré sa révérence ce mercredi des suites d’une maladie, à l’âge de 65 ans. Il manquera aux fidèles du journal télévisé de la Radiotélévision ivoirienne (RTI1) qui avaient l’habitude d’être intrigués par ce drôle de buste en médaillon posté aux bas de l’écran télé, occupé à traduire par des gestes de la main, les informations aux sourds. Durant son passage à la RTI, ce fils de Facobly est parvenu à créer, avec amour et passion, un mythe autour de sa personne. Chez lui à Yopougon, on l’appelait le « bobo » (celui qui ne parle pas), tandis que ses proches l’on traité de génie tout au long de son existence. Comment, diantre, peut-on parvenir à traduire un reportage télévisé avec de simples gestes et sans prononcer un seul mot ! s’exclamaient-ils devant Boneo Jonas qui n’a lui-même rien d’un sourd, encore moins d’un muet. Le destin a voulu qu’il ait un frère handicapé avec qui Bonéo a très vite appris à communiquer par des gestes. Les circonstances, elles, l’ont conduit aux cours protestants de Dabou dans les années 1960, chez un tuteur qui enseignait dans une école de sourds. C’est là que tout a pris forme, que l’inextricable est devenu un simple fil conducteur. Le jeune Bonéo commence à s’intéresser au langage des signes. Il connaît l’alphabet en langage gestuel, cela, sans jamais mettre les pieds dans une école spécialisée.
Génie Après son entrée au Centre d'animation et de formation pédagogique (CAFOP), il commence à enseigner le 9 sept 1977, à Guiglo. Les caprices de la vie l’éloignent de ce qu’on pourrait qualifier comme sa véritable vocation. Mais pas pour longtemps. En 1980, Boneo Jonas est appelé à l’école chrétienne pour les sourds, qui deviendra plus tard l’école ivoirienne pour les sourds. Il suit d’abord un stage de formation d’un an et se met à voyager pour ses connaissances d’interprète et d’enseignant. Le Nigéria en 1982. Le Benin en 1993. Puis, la Suède, la Hollande, la France, l’Espagne, le Danemark... Ils sont trois Ivoiriens à tenter l’aventure. Lui-même, Achi Marc, qui fut son collègue interprète à la télé et Tan Yaya Hubert. Il suivra une carrière de pédagogue, avant d’intégrer dans les années 2010, les RTI1. « Un enseignant peut interpréter ; les sourds ont des proches qui peuvent le faire. Mais pour ce qui est de la formation d’interprète proprement dite, c’est nous trois qui l’avons reçue en Côte d’Ivoire », disait Boneo Jonas. A la RTI1, avant chaque journal, il visionnait les films, se préparait à traduire l’information de la manière la plus simple possible. « Certes, il existe un langage gestuel universel, mais beaucoup de sourds-muets n’ont jamais mis les pieds dans une salle de classe. Il faut donc accompagner la traduction de signes naturels. Personne ne peut faire cela sans amour », rappelait ce fils de l’Ouest. Et Bonéo était un amoureux du langage des signes. Adieu l’artiste.
Raphaël TANOH