Ekoun Kouassi, secrétaire général national du SYNESCI :« Nous avons peur d’envoyer le virus dans nos familles »

Ekoun Kouassi félicite les enseignants qui font preuve de courage.

Depuis la réouverture des établissements scolaires sur l’ensemble du territoire national, la crainte que les écoles deviennent des foyers d’infections hante les enseignants. Dans cet entretien, Ekoun Kouassi, le leader de l’un des plus vieux syndicats d’enseignants de Côte d’Ivoire dépeint la situation dans les classe

 



 

 

 

Comment se déroule la reprise des cours dans les écoles, du point de vu des enseignants ?

L’ouverture des établissements primaires et secondaire a débuté le 8 mai dernier à l’intérieur du pays. Vu la situation sanitaire, les enseignants avaient posé des conditions. Parmi ces conditions, ils avaient exigé que chaque enseignant soit doté de masques de protection, qu’il y ait suffisamment de point d’eau dans les écoles pour le lavage des mains. Le gouvernement avait promis 50 masques pour chaque enseignant. Mais cette promesse n’a jamais été tenue.

 

Les autorités avaient promis corriger les défaillances constatées à l’intérieur pour rendre l’ouverture des classes plus aisée dans le grand Abidjan. Est-ce le cas

L’école n’a pas commencé le 25 mai comme prévu à Abidjan, parce que les choses n’étaient pas bien en place. Les défaillances avaient été très lourdes à l’intérieur, certes, mais à Abidjan, on a vu les mêmes problèmes au début. C’est seulement maintenant que les masques de protection sont disponibles.

 

Les cours ont-ils véritablement débutés ?

Aujourd’hui, les choses ont effectivement démarré dans la quasi-totalité des écoles. Au niveau des enseignants, nous sommes tous dotés de masque, grâce notamment à la Mugefci. Jusque-là, je n’ai pas connaissance qu’une école a fermé pour cause de masque.

 

La protection au niveau des élèves est-elle rassurante ?

Nous avons tous exigé que les enfants aussi soient dotés de masques. Certains parents font l’effort pour respecter cela. Aujourd’hui, la plupart des élèves ont des cache-nez. Les écoles font l’effort pour que ce soit le cas.

 

Peut-on garantir que tous les élèves vont à l’école avec un masque ?

Non. Même au niveau des enseignants, certains n’ont pas de masque. C’est pour cela que nous sensibilisons, surtout au sein des élèves. Car nous sommes tous parents d’élèves et nous sommes nous-même en danger quand nos élèves ne sont pas protégés. L’école ne doit pas être un nid d’infection.

 

Un élève sans masque est-il habilité à faire cours

Normalement, il est interdit de mettre un élève dehors parce qu’il n’a pas de masque. Mais pour une question de sécurité de tout un groupe, un enseignant a le droit de le faire. Cela dépend surtout de l’enseignant qui est en face. Il peut juger que l’enfant menace toute la classe. Il peut aussi l’aider en lui donnant un masque. Ou bien, le conduire à l’administration de l’établissement en question pour s’occuper de lui.

 

Qu’en est-il des règles de distanciation ? Ce qui revient c’est que cette mesure a maille à partir avec les vieilles habitudes

Les règles de distanciation ne sont pas respectéespartout dans les classes. Au sein de certains établissements, on est même obligé de mettre les élèves à deux, dans le fond de la classe. Si vous divisez une classe par deux, à raison d’un élève par table-banc, et qu’il reste un surplus d’élèves, vous ne créerez pas une troisième classe pour cela. Aujourd’hui, c’est difficile de respecter les règles de distanciation à l’école. C’est pour cela que nous demandons aux élèves de mettre à tout prix leurs masques.

 

La pédagogie est-elle mise à rude épreuve dans ces circonstances particulières ?

Effectivement, la pédagogie ne passe pas bien. Par exemple, les enseignant n’ont pas le droit de sillonner les allées lors des cours. Ils doivent rester sur l’estrade pendant leurs séances. Certains parlent avec leurs masques, d’autres, non. Tout cela est nouveau et agit forcement sur la pédagogie. Surtout que la double vacation n’est pas facile à assurer.

 

Comment cette double vacation se fait-elleconcrètement ?

Avec le virus, les emplois du temps ont été repris par l’administration. La 3ème1, par exemple, est scindée en deux. Elle devient la 3ème 1A et la 3ème 1B. S’il avait 6 classes de terminales, cela devient 12 classes. Plus exactement, l’emploi du temps peut décider que la 3ème 1A fera cours du lundi au mardi, de 7h à 13. La 3ème 1B vient de 13 à 18h, pendant ces mêmes jours. Et le jeudi et vendredi, on fait l’inverse. Ce qui nous fatigue, c’est de démarrer les cours à 13h. Les élèves dorment, il y a la chaleur. Quand vous finissez, vous avez mal à la tête.

 

Qu’en est-il des évaluations

Nous continuons de faire des notes de classe.

 

La contamination peut se faire par la manipulation des copies…

Forcement. C’est pour cela que les élèves sont priés de se laver les mains avant de composer. 

 

Est-ce suffisant ?

Il n’y a que le respect des mesures sanitaires qui pourra nous aider à éviter le virus.

 

 

Y a-t-il assez de seauxd’eau et de savon dans les écoles pour le lavage des mains ?

Nous avons en moyenne un sceau d’eau et du savon, par bâtiment. Il aurait été intéressant que ce soit un sceau par par classe.

 

A l’intérieur du pays, on a notamment dénoncé le manque de savon dans certains établissements ainsi que des difficultés à en acheter. Est-ce le cas à Abidjan ?

Pour l’instant, nous ne sommes pas confrontés à ces cas. Et nous espérons que cela n’arrivera pas ici.

 

Vous sentez-vous protégés avec cette reprise des cours ?

Non. Et j’ajouterai qu’aucun Ivoirien n’est protégé à 100%. Nous allons en classe avec la peur au ventre, la peur d’envoyer le virus à la maison et de contaminer toute nos familles. Au niveau des enseignants, ce n’est pas l’enthousiaste aujourd’hui, en allant à l’école. Même si vous respectez les mesures de protection, par la faute d’une seule personne, toute une école peut propager la pandémie.

 

 

Avec la hausse des cas en Côte d’Ivoire, regrettez-vous la reprise des cours ?

Nous regrettons aujourd’hui cette montée des cas d’infection. Mais cela n’est pas dû à la reprise des cours. Parmi les cause, il faut citer la multiplication des tests de dépistage par jour. Tant que nous serons autour de 50% de guérison, cela nous va. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Après deux trimestres, cela aurait été mal de faire une année blanche, pour les parents, pour les élèves et pour le système éducatif ivoirien.  Il y a un besoin impératif de terminer les programmes. Imaginez un enfant qui a eu le bac C, qui arrive à l’université et qui ne connait pas le minimum.

 

Les cours en ligne ont-ils été d’un quelconque secours ?

Les cours en ligne ont été une bonne initiative. Le Synesci a initié quelque chose dans ce genre, par Whatsapp, en permettant aux enfants d’entrer en interaction avec leurs enseignants. Mais les cours en ligne sont plus destinés aux classes intermédiaires, pour les aider à achever l’année scolaire. Pour les classes d’examens, ce sont les cours physiques.

 

Croyez-vous que les élèves bénéficieront d’une bonne évaluation cette année ?

La bonne question, c’est de savoir si le Peuple de Côte d’Ivoire va survivre à cette maladie. Le plus important, c’est la santé. C’est une situation exceptionnelle pour le monde entier. Il est évident que ça ne serait pas une année comme les autres. Et il faut que tout le monde le comprenne.

 

A la maternelle, les tout-petits sont en vacance. Aurez-vous préférez qu’au primaire et au secondaire ce soit le cas pour les classes intermédiaires ?

L’idéal, pour mieux respecter les mesures, aurait été de mettre les classes intermédiaires en vacances. Mais, il faut reconnaître que ce n’est pas très pratique. Un enfant en vacance pendant tout ce temps, peut tout oublierà la rentrée prochaine. Dans ce contexte, il y avait aussi nos collègues stagiaires, qui n’avaient pas débuté. Ce sont des procédures dont l’interruption peut être difficile à gérer. Mais, heureusement, que ce problème a été réglé.

 

 

 

Beaucoup annoncent déjà que les diplômes cette année auront moins de valeur

Je ne le crois pas. Comme je viens de le dire, nous avions presque fini l’année scolaire quand le coronavirus est arrivé. L’essentiel était déjà fait.

 

La rentrée prochaine peut-elle être impactée, vu le contexte sanitaire ?

La reprise est prévue pour le 14 septembre prochain. Tout le monde est en vacance à partir du 14 août. Mais, bien avant cela, beaucoup auront déjà fini. Nous, enseignant, aurons droit à un seul mois de vacances. Normalement, cela va nous permettre de commencer une année normale. Bien évidemment, nous allons sentir les effets de cette année scolaire.   C’est pour cela que nous proposons dès maintenant qu’il soit envisagé un mois de rappel des derniers chapitres de cours, avant de poursuivre. Mais la grande inconnue c’est le virus. S’il faut vivre avec la covid-19 l’année prochaine, alors, le mieux serait de commencer à s’y préparer, là, maintenant.

 

Certains enseignants commencent à parler de primes, comme le personnel soignant ou comme les forces de l’ordre. Doit-on envisager que cela revienne dans vos doléances très prochainement ?

Je voudrais féliciter nos agents de santé qui sont en première ligne. Dieu merci, il y a beaucoup de guérisons parmi les personnes infectées et c’est grâce à leurs efforts. Tout le monde prend des risques, même si ces risques ne sont pas au même degré. Les enseignants naturellement en font partie. Néanmoins, il va falloir trouver des arguments solides pour convaincre le gouvernement que nous avons vraiment besoin de primes de risques. Faisons d’abord notre travail. Si à un moment donné, les primes s’imposent, alors, nous verrons. Mais je dis qu’une prime de risque ne peut soigner un enseignant infecté par la covid-19. C’est pour cela que nous exigeons plutôt que le matériel sanitaire soit mis à notre disposition.

 

 

 

Dans ce sens, la Mutuelle générale des fonctionnaires de Côte d’Ivoire (Mugefci) a autorisé que chaque fonctionnaire ait droit à une dotation de 50 masques gratuits, à la pharmacie. Cela vous convient-il ?

L’information n’est pas bien passée. Nous avons constaté un certain cafouillage après cette mesure. Des policiers qui n’en ont pas droit ont eu des masques, tandis que certains fonctionnaires qui en ont droit n’en ont pas eu ; des pharmacies sont en rupture de stock. En dehors de cela, nous souhaitons que le quota de 50 masques soit revu à la hausse ; que chaque mois nous ayons droit à un kit.

Interview réalisée par Raphaël Tanoh

 

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