Ce publicitaire ivoirien a mis la création africaine sur le devant de la scène en remportant le Mondial d'or de la publicité francophone.
Difficile de prendre des notes lorsqu'on interviewe Fabrice Sawegnon. Le patron de l'agence Voodoo Communication a un débit rapide, ce dont il s'excuse, sans doute habitué à ce qu'on le lui fasse remarquer :« Pardon, je suis quelqu'un de très speed »,reconnaît-il. À trente ans, Fabrice Sawegnon a tout de l'homme pressé. Il dirige depuis 1999 l'enseigne indépendante Voodoo Communication, basée en Côte d'Ivoire, à Abidjan. Elle compte parmi ses clients Orange et a remporté le 25 novembre, à Beyrouth, pour la campagne de rebranding de l'opérateur de télécoms, le premier Mondial d'or de la publicité francophone jamais attribué à une agence africaine. Le film et les visuels montrent une scène typique de la vie africaine : des enfants construisent un kart, sorte de planche à roulettes artisanale.« Dans les publicités diffusées en Afrique, il y a un décalage énorme entre ce que les gens sont et ce qu'on leur vend,déplore Fabrice Sawegnon.La publicité Orange a été bien perçue parce qu'elle parlait aux Africains sans être caricaturale. »Auparavant chef de groupe chez Panafcom Young&Rubicam et directeur de clientèle chez McCann-Erickson à Abidjan, Fabrice Sawegnon n'a que trop connu les stratégies désinvoltes des annonceurs mondiaux, qui se contentent de diffuser des spots américains ou européens en Afrique. Quand je travaillais pour Coca-Cola et Sprite, j'avais l'impression que l'agence était une boîte aux lettres,se remémore-t-il.On nous envoyait des films avec des Pères Noël dans la neige... Et quand nous objections que les campagnes étaient extrêmement éloignées du quotidien africain, les clients nous répondaient qu'ils vendaient du rêve... »D'où l'idée de créer Voodoo Communication, dans un univers publicitaire où la plupart des agences sont liées à de grands groupes mondiaux et dirigées pour leur grande majorité par des Européens. Le nom Voodoo nous positionne d'emblée comme une agence aux fortes racines africaines,explique Fabrice Sawegnon. Il parle à tout le monde, même s'il a choqué localement à cause de son rapport avec la sorcellerie. Mais, après tout, nous sommes une jeune agence, et c'est plutôt bien de déranger... dit-il.
Un jusqu'au-boutiste
Décrit par tous comme un« bulldozer »,« un bouillonnement d'énergie », Fabrice Sawegnon n'a pas peur d'imposer ses points de vue. Quitte à faire grincer des dents.« Il a les défauts de ses qualités,souligne Stéphanie Tchibanda, directrice générale de Panafcom Young&Rubicam, qui l'a accompagné au début de l'aventure Voodoo.Il peut être trop perfectionniste et manque parfois de diplomatie. Certaines personnes ont quitté l'agence à cause de cela. »Ce jusqu'au-boutisme plaît à d'autres. C'est le cas du photographe Louis Vincent, qui a officié sur Orange.« Il est très exigeant, veut atteindre un standard occidental dans ses créations »,estime-t-il. Frédéric Prados, de la société de postproduction Viking, ajoute :« Il est très carré et est un bon meneur d'hommes. Avec lui, j'ai vraiment l'impression de bosser pour une agence parisienne. »
Voodoo paraît emblématique de la nouvelle publicité africaine.« L'enseigne donne un coup de fouet aux agences qui se tournaient les pouces »,remarque Stéphanie Tchibanda. Malgré la guerre qui déchire la Côte d'Ivoire, imposant un couvre-feu à 19 heures, Fabrice Sawegnon, qui a perdu 80 % de son business, fourmille de projets. Il compte ouvrir un bureau à Dakar (Sénégal) et à Yaoundé (Cameroun).« Notre objectif est de devenir une véritable agence panafricaine »,déclare-t-il. Comme son modèle, Marcel Bleustein-Blanchet,« qui a révolutionné la publicité française en prenant des risques »,Fabrice Sawegnon espère bien devenir l'homme fort de la communication africaine.