Le 15 mai 2020 marquait le 29ème anniversaire de décès d’Amadou Hampaté Bâ, grand homme de culture, écrivain, défenseur de la tradition orale, philosophe, historien. Pour l’hommage qu’a voulu rendre JDA à l’illustre disparu, nous avons échangé avec sa fille, Roukiatou Hampaté Bâ, directrice de la Fondation Amadou Hampaté Bâ.
Que deviennent les œuvres d’Amadou Hampaté Bâ ?
Pour parler du sort des œuvres d’Amadou Hampaté Bâ aujourd’hui, il convient de rappeler leur trajectoire historique, afin de mieux cerner les enjeux qu’elle comporte. C’est à l’âge de 24 ans qu’il a commencé à s’occuper des traditions orales africaines, de les apprendre et de les comprendre, de les récolter et de les transcrire. Ces connaissances englobent tous les faisceaux de la connaissance humaine. Le fonds documentaire constitué s’articule autour de plusieurs thématiques. Ces œuvres, fruit de plus de soixante années de recherches, constituent un fonds d’archives partiellement conservé au sein de la Fondation Amadou Hampaté Bâ. Ces supports, véritables trésors culturels, sont fragiles. Ces archives sont aussi irremplaçables que périssables et terriblement menacées. Des efforts dans ce domaine sont très louables, notamment de la part du ministère de la Culture et de l’UNESCO. Cependant, ces appuis restent en deçà de ce qui devrait être, eu égard au nombre impressionnant de documents et à leur valeur scientifique inestimable. Il importe aujourd’hui de sauver ce patrimoine, il en va de l’intérêt du patrimoine culturel de l’humanité.
Vous êtes sa fille cadette et vous êtes la directrice de la Fondation qui porte son nom. N’est-ce pas une lourde responsabilité ?
Je dirais qu’elle est aussi lourde qu’exaltante. Lourde parce qu’Amadou Hampaté Bâ s’est offert en modèle de valeur, de vertu, avec sa quête inlassable de connaissances. Il a tracé des sillons et défendu des valeurs durant sa vie : le sens de l’honneur, l’amour du prochain, l’entraide, etc. Et donc la tâche est d’autant plus lourde qu’il convient de ne pas s’éloigner de cette ligne pour honorer sa mémoire et perpétuer son œuvre. Elle est lourde parce qu’en tant que fille, je n’ai aucune prétention de connaitre l’homme dans sa dimension historique. Il y a d’autres personnes qui connaissent Hampaté Bâ mieux que moi et en tant que fille cadette j’ai des aînés qui sont plus instruits. L’œuvre est étudiée aux États-Unis, en Afrique, en Angleterre, il y a des spécialistes d’Hampaté Bâ. Moi, c’est le regard des autres porté sur l’homme qui m’a fait découvrir son image. Donc c’est une lourde tâche, puisque nous sommes conviés aujourd’hui face à l’histoire de quelqu’un qui s’est battu toute sa vie. Mais cette tâche a été aussi facilitée grâce à ce qu’il avait déjà entamé, initié. Il s’agit pour nous de suivre les sillons tracés, puisqu’il a déjà effectué le gros du travail. Il a été sur le terrain récolter, recueillir, transcrire et nous, aujourd’hui, avons ce patrimoine sous la main. Il nous suffit maintenant de suivre les recommandations qu’il a faites, avec tous les supports modernes pour le préserver.
Toutes les œuvres laissées par votre père servent-elles réellement à la jeunesse africaine ?
Elles pourraient servir efficacement à la jeunesse actuelle pour peu qu’elle veuille bien les découvrir ou redécouvrir pour certains et surtout s’en abreuver. Parce qu’il a fait de nombreuses adresses à la jeunesse, à travers des lettres, des conférences. Il y a donc beaucoup de matière qui se rattache à cette jeunesse, mais, pour cela, il faut que celle-ci veuille bien venir à ses écrits. Elle trouvera de nombreuses réponses à toutes les difficultés auxquelles elle se trouve confrontée aujourd’hui. Il y a donc ce pas que cette jeunesse doit franchir pour accéder à cette connaissance. Sinon, il y de nombreux documents et plusieurs de ces écrits sont disponibles. C’est une invitation à cette jeunesse pour se connaitre elle-même et ne pas prendre ses modèles hors de chez elle. Hampaté Bâ mettait en garde contre l’esclavage culturel, qui est la plus détestable de toutes les colonisations, et en Afrique nous sommes assis sur des gisements culturels.
La Fondation Amadou Hampaté Bâ existe depuis maintenant 18 ans, quel bilan pouvez-vous faire ?
Exactement 18 ans d’existence. À cet âge, on est supposé avoir atteint notre majorité. Le chemin est parsemé d’action menée, de résultat obtenu mais beaucoup reste à faire. Dès la naissance de la fondation, nous avons organisé une grande rencontre internationale qui a réuni à Abidjan des hautes personnalités du monde la culture, du monde universitaire, politique sous la houlette de Cheick Amidou Kan qui est son président d’honneur. La raison d’être de la Fondation est la sauvegarde et la mise en valeur de l’immense fonds documentaire qu’Amadou Hampaté Bâ laisse à la postérité. Il y a donc un travail scientifique de dépouillement, classification, numérisation du fonds. A ce jour, nous avons identifié plus de 3000 documents qui correspondent à peu près à 100 000 pages qui ont été numérisé. Mais cela ne correspond pas à un millième du travail qui reste à faire. Hampaté Bâ a beaucoup produit et dans le cadre de la mise en valeur de ce patrimoine, parce qu’il s’agit aussi de le transmettre, nous organisons beaucoup d’activités pédagogiques avec des établissements pour les ressourcer et aussi leur donner le goût des traditions orales à travers des contes et bientôt nous allons mettre un atelier de philosophie pour les tout-petits. La fondation essaie aussi d’accompagner les jeunes qui ont des activités et qui vise la promotion de l’identité africaine.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la gestion de cette Fondation ?
Comme toute structure, nous avons un fonctionnement qui est en place, mais nous avons besoin de moyen pour assurer ce fonctionnement. Aussi surtout le projet de sauvegarde des manuscrits qui sont aussi irremplaçables que périssables et terriblement menacé. Ce fonds est sur des supports très fragiles. Aujourd’hui, avec un peu de crédit on peut les sauver mais dans les cinq ou dix années à venir, il sera trop tard. C’est un pan de notre histoire authentique d’Afrique et partant de l’humanité qui s’engloutirait avec la disparition d’Hampaté Bâ. La Fondation a besoin de ressource. Ressources humaines, ressources financières, elle a besoin de l’appui de la presse. Nous devons tous nous mobiliser comme un seul homme pour que la bibliothèque ne brûle pas et survive à son engendreur. Cela serait la double mort d’Amadou Hampaté Bâ.
Interview réalisée par Anthony NIAMKE