Réunis à Abuja le 22 juin 2025, les chefs d’État de la CEDEAO ont désigné le Sierra-Léonais Julius Maada Bio comme nouveau Président de l’organisation succédant au Nigérian Bola Ahmed Tinubu. Ce choix rompt avec l’alternance linguistique tacite qui régit habituellement l’organisation, mais reflète un besoin urgent de leadership dans un contexte régional explosif.
Alors que le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye était pressenti, conformément à l’équilibre francophones - anglophones, la désignation d’un autre anglophone signale un virage stratégique. Maada Bio, ex-putschiste devenu chef d’État légitime, incarne une autorité susceptible de parler aux régimes militaires tout comme aux démocraties fragilisées. Son élection intervient alors que la CEDEAO fait face à une défiance croissante. Certains l’accusent de passivité face aux dérives autoritaires et de lenteur dans ses mécanismes d’alerte.
La priorité immédiate de son mandat est le dossier brûlant de la Confédération des États du Sahel (AES). Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui ont acté leur départ en janvier 2024, verront leur retrait pleinement effectif fin juillet 2025. Dans son communiqué final, la CEDEAO a rappelé sa volonté de maintenir les canaux de dialogue ouverts. Pour les observateurs, le délai de six mois accordé aux pays de l’AES représente une dernière fenêtre avant une rupture définitive. Maada Bio, de par son profil hybride, pourrait être l’interlocuteur capable de ramener ces États autour de la table, ou du moins d’éviter une fracture irrémédiable.
Le nouveau Président de la CEDEAO devra aussi composer avec des dérives dans les régimes dits démocratiques. En Côte d’Ivoire, les rumeurs d’un quatrième mandat d’Alassane Ouattara suscitent l’inquiétude. Au Togo, la réforme constitutionnelle adoptée en avril 2024 et instaurant un régime parlementaire sans limite claire de mandats pour le Premier ministre, a été perçue par de nombreux observateurs comme une manœuvre du Président Faure Gnassingbé pour rester indéfiniment au pouvoir. La CEDEAO, critiquée pour son silence, est attendue sur ce dossier.
Une organisation à refonder
Conscient de l’érosion de la confiance populaire, le sommet d’Abuja a également engagé des réformes internes, au nombre desquelles figurent la rationalisation des institutions, une meilleure gouvernance et un recentrage sur les défis sécuritaires et économiques. Julius Maada Bio hérite ainsi d’une CEDEAO en transition, menacée d’implosion mais encore capable de se réinventer si elle fait preuve de courage politique. Pour certains analystes, cette phase est indispensable pour éviter l’éclatement de l’espace communautaire.