Dans le cadre d’une tournée en Afrique de l’Ouest, Saleh Kebzabo, opposant en chef au président tchadien Idriss Deby, et leader de l’union nationale démocratique et républicaine (UNDR), a bien voulu répondre à nos questions. Quelques semaines après la réélection du chef de l’État tchadien, il reste malgré tout offensif et certain que son adversaire n’a pas gagné la présidentielle.
Comment se porte l’UNDR et l’opposition tchadienne, en général, 1 mois après l’investiture d’Idriss Deby Itno?
Au vu de ses résultats, l’UNDR se porte très bien, tout comme l’opposition tchadienne. Plusieurs partis sont allés en compétition et nous avons pu établir qu’au moins 3 d’entre eux sont arrivés avant le parti d’Idriss Deby. Donc, on peut dire que l’opposition tchadienne se porte bien. Nous avons des actions communes, comme celles que nous avons menées pour contester l’investiture de Deby, à travers des meetings, des marches, et autres manifestations qui ont été interdites, mais que nous avons bravé.
Vous avez refusé d’accepter les résultats du scrutin d’avril dernier. Quelles en étaient les raisons?
Le conseil constitutionnel a validé la fraude électorale depuis le 3 mai. Et depuis cette date, l’UNDR, que je préside, et d’autres partis, avec lesquels nous représentons 75% de l’électorat, avons décidé de rejeter ces résultats fabriqués sur mesure pour donner la victoire à Idriss Deby, qui ne la mérite pas. Vous savez, dans les chiffres qui sont en notre possession, Idriss Deby est arrivé en 4ème position à l’issue du scrutin, et personne n’a jamais contesté ces chiffres jusqu’à aujourd’hui. Même pas lui ! Donc un 4ème qui a 10% ne peut pas dire qu’il a été élu au 1er tour.
Que s’est-il passé alors?
Cette élection, nous en avons fait la démonstration, ne peut être gagnée par quelqu’un au 1er tour. Il fallait absolument un 2ème, tour et Deby a fait un hold-up pour éviter d’aller m’affronter au second tour, qui aurait été un cauchemar pour lui. Il a donc forcé le coup grâce aux moyens dont il a le secret, les moyens d’un militaire, dont il a toujours usé.
Si les faits sont tels, est ce à dire qu’Idriss Deby restera au pouvoir jusqu’à ce qu’il veuille partir un jour ?
Il n’est pas possible que cela continue autant qu’il peut. Vous voyez par exemple que pour ces élections, il y a eu un changement. S’il a lui même utilisé les armes pour se maintenir au pouvoir dans une affaire démocratique, c’est qu’il a compris qu’il n’a pas été élu. Et cela veut dire aussi que le travail de sensibilisation que nous faisons a porté ses fruits. La jeunesse tchadienne a décidé aujourd’hui d’engager la bagarre politique pour mettre fin à ce système, et il a fallu les armes pour que Deby continue. Compte tenu de ce que nous avons réussi la dernière fois, pensez-vous que Deby aura encore une quelconque chance de pouvoir se maintenir ? Je ne pense pas. Je crois plutôt qu’avec les armes pacifiques que nous allons utiliser, il aura un quinquennat tres bousculé.
Vous êtes allés à l’élection du 10 avril avec l’espoir qu’il y aura une alternance. Alors pourquoi en rangs dispersés avec 13 candidats ?
Il yen avait 13 au Gabon, et une trentaine au Benin. C’est aussi ça le pluralisme en Afrique. C’est une expression de la démocratie qu’il faut accepter et respecter. Mais pour moduler, lorsque vous avez un scrutin à un tour, vous avez politiquement l’obligation de vous unir. En témoigne le cas du Gabon. Dans notre cas, il était prévu que les grandes pointures de l’opposition soient tous candidats pour barrer la route à Deby dans les grandes régions. Et la tactique a marché. Il savait qu’il perdrait s’il y avait un 2ème tour, voilà pourquoi il a fait un hold-up.
Dans l’affaire des soldats disparus après le vote, et retrouvés quelques jours plus tard, le procureur de la république a classé le dossier sans suites. Vos impressions ?
Je pense que le procureur doit rouvrir ce dossier, car pour nous il ne s’agit pas seulement du cas des 5 soldats qu’il fallait éclaircir, c’est le cas des arrestations arbitraires, des tortures, des humiliations, des blessures, des déportations, et j’en passe. Tout cela doit faire l’objet d’éclaircissements de la part d’une justice indépendante ou censée l’être. Ce dossier ne peut donc pas se fermer aussi facilement, et comme je l’ai dit au procureur, je suis prêt à être poursuivi. Je détiens aussi des informations, et ils le savent.
Propos recueillis à Bamako par Abou SIDIBÉ