Le Sahel connaît une intensification des enlèvements d’étrangers, autrefois principalement attribués au Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda. Mais ces derniers mois l’État islamique au Sahel (EI-S) s’est emparé de cette tactique marquant un basculement de son mode opératoire.
Le 11 janvier 2025, Eva Gretzmacher, 73 ans, installée à Agadez depuis trois décennies, est enlevée à son domicile. Fondatrice d’un centre d’éducation pour les femmes, elle était engagée dans l’action sociale. Trois jours plus tard, un touriste espagnol du nom de Joaquín Navarro Cañada est kidnappé dans le sud de l’Algérie puis libéré au Mali. Le 1er février, deux employés chinois de la China National Petroleum Corporation sont capturés près d’un site pétrolier à l’est du Niger, dans une attaque ayant aussi coûté la vie à deux militaires nigériens.
Jusqu’ici, le GSIM utilisait les enlèvements pour financer ses opérations via des rançons. Mais, sous la direction d’Abou al-Bara al-Sahraoui, l’EI-S a adopté cette pratique sans doute pour financer ses actions ou rivaliser avec Al-Qaïda, qui a récemment libéré tous ses otages occidentaux dans un possible geste stratégique.
Toutefois, leur approche diffère radicalement. Contrairement au GSIM, qui négocie la libération des otages, l’EI-S privilégiait jusqu’ici leur exécution publique, une méthode destinée à terroriser les populations et à envoyer un message fort aux puissances étrangères. En 2020 déjà, le groupe avait revendiqué l’assassinat de six humanitaires français au Niger, diffusant des images pour en maximiser l’impact. Cette brutalité renforce son image et attire de nouvelles recrues, séduites par ses démonstrations de force.
L’EI-S ne se limite pas aux enlèvements. La violence jihadiste au Sahel s’aggrave. En 2023, le continent a enregistré 23 000 morts liés aux attaques jihadistes, en hausse de 20% par rapport à 2022, dont 11 643 victimes dans le Sahel, selon le Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Le groupe a signé certaines des attaques les plus meurtrières, comme le massacre d’au moins 100 civils à Seytenga (Burkina Faso) en 2022 et une embuscade à Tillabéri (Niger), en mars 2024, où 23 soldats nigériens ont été tués.
L’utilisation des enlèvements et des exécutions publiques par l’EI-S marque une nouvelle escalade. Face à une communauté internationale en difficulté pour contenir l’expansion jihadiste, ce changement stratégique démontre la volonté du groupe d’imposer sa domination par des actions encore plus brutales et plus spectaculaires.
Massiré Diop