L’Afrique du Sud aux prises avec Donald Trump

PRETORIA – « J’ai appris il y a bien longtemps qu’il ne fallait jamais se battre contre un cochon. Vous finissez couvert de boue, alors que lui adore ça. » Telle est la formule souvent citée du dramaturge irlandais George Bernard Shaw, et tel est le dilemme auquel l’Afrique du Sud est actuellement confrontée vis-à-vis l’administration du président américain Donald Trump.

Un affrontement sous une forme ou une autre ne pourra pas être évité, dans la mesure où Trump a d’ores et déjà engagé le combat (probablement sous l’impulsion d’Elon Musk) en proposant d’accueillir aux États-Unis les agriculteurs sud-africains blancs en quête d’asile, dont le président américain a faussement affirmé qu’ils étaient persécutés. Son administration a par la suite coupé toute aide financière américaine à l’Afrique du Sud, et expulsé l’ambassadeur sud-africain, Ebrahim Rasool, qui avait reproché au mouvement de Trump de céder à des « instincts suprémacistes ».

Ces événements pourraient suffire à ce que soient suspendues les relations bilatérales, mais les deux gouvernements vont devoir interagir régulièrement, puisque l’Afrique du Sud cédera la présidence tournante du G20 aux États-Unis en novembre. Cette transition ne sera pas facile. Trump s’est d’ores et déjà attaqué aux institutions multilatérales ainsi qu’à l’ordre international au sens large, en faisant sortir les États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Accord de Paris sur le climat, en vidant l’USAID de sa substance, et en cherchant à saper la souveraineté du Canada, du Danemark et du Panama, tous alliés de longue date des États-Unis. Le refus de l’administration Trump d’envoyer son secrétaire d’État et son secrétaire au Trésor participer aux réunions du G20 à Johannesburg et au Cap le mois dernier laisse présager de nombreuses turbulences.

L’Afrique du Sud travaille sur quatre grandes priorités dans le cadre de sa présidence du G20 : renforcer la résilience et la réponse aux catastrophes naturelles au niveau mondial, assurer la viabilité de la dette, mobiliser des fonds pour une transition énergétique juste, et faire en sorte que les minéraux critiques servent un développement durable et une croissance inclusive. Le pays insiste par ailleurs pour que les 23 groupes de travail du G20 s’en tiennent aux questions techniques, et pour que toutes les questions politiques – telles que les guerres d’Ukraine et de Gaza – soient gérées par les émissaires, ministres des Affaires étrangères et chefs d’État. Enfin, divers groupes de travail du G20 se concentrent sur la croissance économique inclusive, l’industrialisation, l’emploi, les inégalités, la sécurité alimentaire, l’intelligence artificielle, la gouvernance des données et l’innovation au service du développement durable.

Lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G20 qui s’est tenue à Johannesburg les 20 et 21 février, le ministre sud-africain des Relations internationales et de la Coopération, Ronald Lamola, a exposé l’ensemble du programme de son gouvernement pour le groupe. Il a insisté sur l’accélération de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, et déploré la multiplication des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement, des restrictions commerciales, des sanctions unilatérales ainsi que des mesures de coercition économique. Lamola a également mis en garde sur le climat international de méfiance suscité par les divisions politiques.

Le ministre sud-africain a ensuite appelé à ce que de nouveaux efforts soient fournis pour remédier au fardeau de la dette dans les pays du Sud, et encouragé le G20 à se concentrer sur la prévention des conflits, les initiatives de paix, le changement climatique, l’anticipation des pandémies, la non-prolifération nucléaire, le financement du développement, ainsi que sur la réforme des institutions de la gouvernance mondiale. Il a conclu en promettant d’ici novembre 2025 un rapport d’évaluation du premier cycle complet des présidences du G20. La réunion des ministres des Finances du G20, qui s’est tenue peu après, a porté sur des questions similaires.

Désormais sous l’emprise d’un culte de la personnalité qui rejette le principe même du multilatéralisme, les États-Unis jouent un rôle de perturbateur au sein du G20 depuis fin janvier. C’est comme si le président américain transposait sur la scène internationale la guerre qu’il mène chez lui contre l’idéologie woke. À titre d’exemple, l’une des raisons évidentes du boycott des récentes réunions ministérielles par les États-Unis réside dans une volonté de punir l’Afrique du Sud pour sa plainte en génocide contre Israël devant la Cour internationale de justice.

Pendant ce temps, les dirigeants américains de rang inférieur qui participent aux réunions internationales répètent avec obéissance les éléments de langage de leur cher président. Les États-Unis sont le seul pays à s’être opposé à une récente résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies réaffirmant le « droit de chacun à l’éducation ». De même, dans le cadre du G20, les États-Unis font obstacle à des propositions de bon sens en matière d’énergies propres, illustration de la conviction de Trump selon laquelle le changement climatique serait un « canular ».

Plutôt que de soutenir le thème « solidarité, égalité et durabilité » défendu par l’Afrique du Sud, Trump choisit l’unilatéralisme, l’inégalité et le nationalisme. Dans son obstruction à l’agenda du G20, il arrive que son administration soit rejointe par le gouvernement de droite italien et par le régime anarcho-capitaliste argentin. Ce trio infernal considère les questions d’égalité des sexes, d’énergies propres et d’ODD comme une menace pour leur souveraineté. C’est à cause de ces trois États que le G20 n’a pas publié ses traditionnels communiqués diplomatiques à l’issue des récentes réunions ministérielles. La présidence sud-africaine a dû se contenter de diffuser de brèves synthèses non contraignantes énonçant les principales conclusions des deux réunions.

Fort heureusement, l’Union européenne apporte un soutien sans faille à la présidence sud-africaine du G20. Lors du sommet de ce mois-ci, l’UE s’est engagée à investir 5,1 milliards $ (sous forme de subventions et de prêts) en Afrique du Sud, ce que beaucoup considèrent comme une mesure visant à remplacer l’aide récemment supprimée par Trump. L’UE a également affirmé son soutien à l’Agenda 2063 de l’Union africaine, au Pacte du G20 avec les économies africaines, aux ODD, à la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies, au financement du développement, à la réforme de l’Organisation mondiale du commerce, ainsi qu’à l’action climatique.

De manière plus discrète que l’administration Trump, de nombreux États de l’UE réduisent malheureusement eux aussi leur aide au développement de l’Afrique. Dans l’ensemble des pays du Sud, beaucoup redoutent de voir gagner du terrain ceux qui promeuvent une vision de l’« Europe forteresse » – politiques hostiles à l’immigration, protectionnisme agricole, et mesures commerciales radicales vis-à-vis de l’Afrique.

L’Afrique du Sud continue en revanche de bénéficier du soutien d’autres États africains ainsi que du reste des pays du Sud. Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva se démarque par exemple comme un allié particulièrement solide.

Débordés mais infatigables, les diplomates sud-africains sont arrivés à New York la semaine dernière (du 24 au 30 mars) pour défendre leurs priorités devant l’Assemblée générale des Nations Unies, et pour tenter de se réconcilier avec une administration américaine peu commode. Bien que le gouvernement du président sud-africain Cyril Ramaphosa soit parvenu à poser les bases solides d’avancées futures en dépit des obstacles dressés par les États-Unis, le prochain cycle de négociations lors du sommet du G20 de Johannesburg, en novembre, constituera un exercice extrêmement difficile. Il n’est d’ailleurs pas prévu que Trump soit présent lors de l’événement, lui qui a par le passé qualifié de « pays de merde » les États du continent africain.

Par Adekeye Adebajo

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