Alors qu’il a été lancé en 2005 puis abandonné, l’Union Africaine a dépoussiéré le chantier de l’établissement d’institutions financières et monétaires africaines en mars dernier, avec un objectif précis : l’entrée en service d’une Banque centrale, d’un Fonds monétaire, d’une Banque d’investissement et d’une Bourse panafricaine pour accompagner la dynamique de l’intégration. Le projet est ambitieux, mais les obstacles semblent également être autant nombreux que complexes pour un continent qui représente un marché de plus d’un milliard de personnes et qui compte une quarantaine de monnaies. En juillet prochain, l’Union se réunira pour faire le point des avancées sur ce projet, censé aboutir en 2045. L’enjeu est de taille et les initiatives, encore balbutiantes, et les volontés politiques ne suivent pas toujours. Le plus grand défi est l’engagement des 54 pays de l’Union, ou du moins de ses principaux acteurs économiques.
À l’horizon 2045, l’Union Africaine (UA) espère l’entrée en service d’une Banque centrale, d’un Fonds monétaire, d’une Banque d’investissements et d’une Bourse panafricaine, afin d’accompagner la dynamique de l’intégration africaine. Un vieux projet, lancé en 2005 lors du Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l'organisation à Abuja, au Nigeria, qui depuis a été renvoyé aux calendes grecques. Réactivé à Yaoundé, au Cameroun, le 8 février dernier, à l’occasion de la réunion de la 3ème session du Comité technique spécialisé de l'organisation sur les finances, les affaires monétaires, la planification et l'intégration économiques, ce projet se présente comme un grand défi pour le continent dans la mise en œuvre de l'Agenda 2063 de l'organisation. Avec 54 États, l’Afrique compte au moins quarante monnaies, avec huit pays d’Afrique de l’ouest qui se partagent le CFA, tout comme six autres d’Afrique centrale. Au niveau de cette Zone franc, les débats ne cessent de s'amplifier sur la révision des politiques monétaires afin de permettre au continent d'affirmer et d'assurer sa souveraineté économique et financière. La machine se met aussi en place pour accélérer le processus de création de la Banque centrale Africaine (BCA), qui sera alors le seul émetteur de la monnaie unique africaine et deviendra le banquier de référence des gouvernements africains et des établissements bancaires privés et publics du continent. La BCA, telle qu'elle a été conçue, réglementera et supervisera le secteur bancaire africain et fixera les taux d'intérêt officiels et les taux de change, en liaison avec la Commission de l'UA.
Ambitieux et stratégique Les conclusions des travaux du Comité technique spécialisé de l'UA seront présentées lors du prochain sommet des chefs d'États et de gouvernement, en juillet prochain à Niamey, au Niger. L’UA semble cette fois-ci déterminée à accélérer le processus, d'autant que des préalables ont déjà été posés. C'est le cas des sièges des principales institutions financières panafricaines, notamment la Banque centrale africaine (BCA), qui devrait se situer au Nigeria, la Banque africaine d'investissements (BAI), en Libye, et le Fonds monétaire africain (FMA), au Cameroun. En avril 2018, l'UA et le Cameroun ont même signé un accord de siège pour accueillir le FMA. De quoi convaincre les plus sceptiques, malgré les réticences et le retard. Mais le chemin s’annonce long et semé d’embûches. Selon les projections des experts de l’organisation africaine, l’inflation devrait être inférieure ou égale à 3% d'ici 2038, avec un déficit budgétaire global également inférieur ou égal à 3% d'ici 2033. Le ratio de financement de la banque centrale aux gouvernements devrait être nul d'ici 2038 et chaque pays devrait disposer de réserves de change qui couvriront au moins six mois d'importation d'ici 2038. Ce qui s’annonce déjà difficile pour certains pays de l’union, car il est attendu de chaque État membre, de parvenir à un ratio dette publique / PIB inférieur à 65% et à un ratio recettes fiscales totales / PIB supérieur à 20% avant l'échéance. Le rapport note déjà que sur l'état d'avancement du respect des critères de convergence, seuls 18 pays remplissent à date tous les critères principaux en termes macroéconomiques. « Au niveau des critères de convergence, il faut que toute les économies aient la même structure. Or, pour que cela soit possible, il faut le respect par tous des normes, car ces structures doivent avoir une certaine homogénéité. Par exemple, au niveau de l’UEMOA nous respectons le taux d’inflation, qui est de 2%, alors qu’au Ghana et au Nigéria, les taux varient de 9 à 20% », explique l’expert économiste Séraphin Prao. Il en est de même pour la dette extérieure, qui ne doit pas excéder 70% et la masse salariale, qui ne doit pas dépasser pas 35% du PIB.
Nombreux obstacles Pour l’économiste Séraphin Prao, même si le projet fait l’unanimité, il y a un risque de craindre certains obstacles, notamment « pour des questions de leadership entre les deux grands pays anglophones que sont le Nigeria et l’Afrique du Sud ». D’ailleurs, le Nigérian Mouhamadou Buhari a toujours opté pour la prudence. « J'ai demandé aux pays membres de la CEDEAO de procéder avec prudence au sujet du processus pour une monnaie régionale d'ici à 2020. Notre avis est que les États membres ne sont pas encore pleinement préparés à une union monétaire. Nous ne devons pas diminuer les efforts pour le respect des critères ou nous presser tout simplement parce que nous voulons parvenir à une union monétaire. Il y a encore beaucoup de travail à faire », a-t-il prévenu. Un avis qu’il partage avec l’ex Président de la Commission de la CEDEAO, Marcel de Souza, qui s'est toujours montré sceptique sur l'effectivité d’une monnaie unique au sein de l’Afrique de l’ouest, qui envisageait pourtant de donner le ton en 2020. « Malgré des progrès sur la convergence macro-économique, les résultats sont faibles. Nous ne pouvons pas aller en 2020 à la monnaie unique », avait-il reconnu, car de 2012 à 2016, par exemple, aucun des pays de la CEDEAO n'avait pu respecter de manière continue les critères de premier ordre du programme de convergence macro-économique. Un échec qui laisse certains experts perplexes de voir l’exploit se réaliser au niveau continental. Selon ces derniers, la meilleure méthode est néanmoins d’évoluer par cercles concentriques, avec l’Afrique Centrale, Australe, de l’Est, du Nord et de l’Ouest. « Cela constituera une sorte d’apprentissage dans la marche pour la monnaie continentale », explique M. Prao. « Avec les lourdeurs que nous connaissons au niveau de chaque pays, et surtout au niveau continental, à moins d’un changement radical de cap nous serons encore en 2045 en train de parler de la mise en place effective des institutions monétaires et financières africaines », lance dubitatif un économiste ivoirien en poste à l’UEMOA. La « balkanisation monétaire » présente également un énorme frein, surtout avec des pays de l’Afrique du nord très protectionnistes et peu disposés à se fondre dans ce vaste mouvement, ajoute-t-il.
Craintes Pour les pays qui battent leur propre monnaie sur le continent, les craintes ne sont pas non plus dissipées. « Certains pays craignent de perdre leur souveraineté monétaire et financière en se faisant absorber par des pays plus puissants, qui sont parfois des voisins et rivaux », expliquent des experts, pour lesquels, au-delà des questions économiques, il faut rassurer les pays et les peuples. Selon eux, par exemple, si au niveau de la CEDEAO les choses sont encore à la traine, c’est bien aussi parce que les pays de la zone franc sont de « très bons élèves » du CFA. « La mise en place d'une union monétaire est à la fois une décision économique et politique. Les enjeux sont importants et les défis multiples et redoutables », explique Yves Mbra, spécialiste des questions financières, qui estime qu’il faudra aborder la question de l'échéance avec réalisme et responsabilité pour éviter des remises en question répétitives des dates de l'avènement de notre monnaie continentale.