Le Ramadan est de retour ! Depuis le mois dernier, les encarts publicitaires balisent les rues d’Abidjan et les programmes télévisés s’entrecoupent de spots à l’atmosphère orientale. Sur les affiches, comme à l’entrée des magasins, c’est une importante campagne de communication qui vise à promouvoir les différents produits traditionnellement consommés pendant le mois de jeûne des musulmans. Une période durant laquelle commerçants et restaurateurs font feu de tout bois pour minimiser un passage à vide souvent inévitable.
Difficile de ne pas remarquer, à l’entrée du Prima Center de Zone 4, les panneaux « Offre spéciale Ramadan » qui accueillent les nombreux visiteurs pressés d’échapper à la pluie. Dattes, sodas en tous genres et autres aliments s’empilent sur les tables pour proposer un véritable festin aux clients qui viennent le dévorer des yeux en attendant la fin de la journée. « Jusqu’à 50% de remise immédiate du 7 au 26 juin », promet un petit catalogue à côté de l’étal. « C’est une période délicate, le Ramadan. On a l’impression que toute la ville est paralysée, donc on s’adapte», justifie Mohamed Ali Koudami, gérant de l’ensemble commercial rénové en début d’année. Une adaptation qui passe par diverses stratégies, avec la création d’un marché spécial Ramadan, ou d’un buffet qui attire des clients. « Nous sommes un espace de vie, donc les familles viennent passer du temps pour rompre le jeûne ici. Une première tranche entre 18h30 et 20h, une seconde pour la deuxième partie de soirée », complète son associé Marvin Hyjazi. Si les clients musulmans continuent à fréquenter l’espace, ce sont leurs habitudes qui changent, avec davantage de visites en famille et le soir, bien que les gérants assurent que le dimanche « reste toujours aussi fréquenté à toute heure ».
À quelques centaines de mètres de là, le Super-U du quartier ne désemplit pas, alors que la lumière du jour décline. « La rentabilité a légèrement diminué, le Ramadan est toujours un peu plus difficile », admet Mickaël Boursier, manager de la grande surface, entre deux courses parmi les rayons alimentaires. En conséquence, le marketing est renforcé pour attirer les clients jeûneurs, qui viennent acheter des «paniers ramadan » contenant jus de fruits, lait, thé, biscuits et autres aliments populaires lors des repas nocturnes.
Succès des « produits saisonniers »
Cet orientalisme annuel semble faire recette au-delà des rayons climatisés des supermarchés. «Depuis que le Ramadan a commencé, je vends du « tamarol», qu’on appelle aussi dattes. Il y en a de 50 et de 100 francs CFA. Les musulmans en mangent beaucoup lorsqu’ils rompent leur jeûne le soir après la prière», affirme une jeune vendeuse, son plateau de fruits sur la tête, dans le quartier commerçant d’Adjamé Mirador, dans le nord de la capitale économique, où vivent de nombreux musulmans. La vente de « womis », ces beignets à base de farine de mil, connait également un essor circonstanciel. « À Attecoubé, les produits qui marchent le plus en ce temps de carême sont généralement le lait, le sucre, le thé, les oranges, la banane douce. Les matins et après-midis, les femmes vendent des womis», renchérit non loin de là un jeune homme, gérant de cabine.
Le domaine des vêtements n’est pas en reste. Des boubous spécialement cousus sont exposés, en attendant la clientèle. « Nous les confectionnons nous-mêmes et ça marche pendant cette période. Les enfants dont l’âge est compris entre trois et cinq ans peuvent les porter et c’est moins cher », fait observer le jeune commerçant Mori Dosso. Même sur le web, les entreprises spécialisées dans le e-commerce ne sont pas en marge de cet engouement. C’est le cas d’Afrimarket, qui propose à sa clientèle des kits de rupture de jeûne, contenant entre autres de l’huile, du riz, de la pomme de terre, du lait, à partir de 25 000 francs CFA le panier.
Repos forcé Lorsqu’environ 40% d’une population est susceptible de bouleverser, le temps d’un mois, ses habitudes alimentaires, le secteur de la restauration est directement impacté, avec souvent une plus faible affluence dans les établissements de diverses communes de la ville. « C’est la pénitence pour nous, les restaurateurs », décrit Affua, 33 ans, gérante du Kokoma situé entre la gare de train et l’ex-pharmacie Mockey, à Treichville. Ici, les fins gourmets sont des salariés qui prennent d’assaut le restaurant, entre midi et 15h00. Hors Ramadan, ce sont environ 400 plats à 1 000 francs CFA l’unité qui sont servis chaque jour, en particulier des mets typiquement ivoiriens. Mais depuis le début du jeûne, la dynamique entrepreneure n’en sert plus que la moitié, soit un manque à gagner Business du Ramadan : entre péri ode faste et repos forcé quotidien de 200 000 francs CFA. Même son de cloche à Yopougon, où Mariam, 46 ans, tient une petite gargote, à une centaine de mètres de la mosquée Koudouss, où elle vend du riz au gras. « C’est Dieu qui donne l’argent. Je n’ai pas à pleurnicher parce que la majorité de mes clients, en jeûne comme moi, se gardent de venir manger », soutient la restauratrice elle-même musulmane, assise devant une grosse marmite de riz. Enfin, la consommation d’alcool en période de Ramadan étant proscrite, certains bistrots se retrouvent brusquement à sec.
À la Salsa comme au Tapis Rouge, à Abobo, les clients viennent au comptegoutte depuis le début du carême. Mais à force de voir passer les mois de Ramadan chaque année, les entrepreneurs se font une raison. Le mois est certes un peu plus compliqué, mais n’a rien d’insurmontable. Si certains restaurants décalent leurs horaires pour accueillir les familles en quête d’un lieu convivial où passer leur iftour (coupure du jeûne), d’autres prennent la situation avec fatalité ou philosophie. « On se prépare, on s’habitue à davantage travailler le soir que le midi », détaille Séraphin Yao, enthousiaste manager du Marrouche, restaurant libanais du quartier Zone 4. «Nous avons arrêté de préparer des plats du jour, pour faire souffler les cuisiniers. C’est une manière de se reposer », reprend-il, sous le regard approbateur de Stéphane Kouassi, serveur à l’établissement, qui qualifie la situation de « plutôt relax ». Une manière de se ménager qui n’est pas inopportune puisqu’elle permet aussi aux musulmans qui travaillent dans le secteur de rendre le carême plus supportable.
Noé MICHALON