Fronde sociale : on souffle le chaud et le froid

Derrière ces sourires du ministre de la Fonction publique et de la Modernisation de l’administration et des syndicats se cachent de mécontentements de part et d’autres.

La Côte d’Ivoire connaît, depuis l’accession à la magistrature suprême du Président Alassane Ouattara en mai 2011, de profondes réformes administratives, structurelles et sectorielles, qui visent à aller vers « un pays émergent à l’horizon 2020 ». Jugées nécessaires et primordiales pour l’avenir, ces réformes ne font pas toujours l’unanimité. La récente grève générale des fonctionnaires et agents de l’État en est l’illustration. Même si ces derniers ont accepté de suspendre leur mouvement, après des négociations et parfois des menaces, les points d’achoppement demeurent. Le gouvernement et la plateforme des associations syndicales de la fonction publique campent chacun sur leur position, tout en se montrant disposés à calmer le jeu.

Grève des instituteurs, suivie de celle généralisée des fonctionnaires et agents de l’État, menaces du gouvernement de fermer l’école et de suspendre les salaires des grévistes... La semaine dernière a été marquée par des va-et-vient, entre d’un côté le ministre de la Fonction publique et de la modernisation de l’administration, et de l’autre, l’intersyndicale des agents et fonctionnaires de l’État. Quatre revendications étaient à l’ordre du jour. Mais la principale demeure le retrait de la nouvelle réforme des pensions de retraite, décidée en 2012 et entrée en vigueur depuis mai 2015. Après un chassé-croisé, les deux camps ont fini par trouver un terrain d’entente pour faire cesser la grève, ce qui ne règle pas pour autant le problème.

Réforme

Pour l’État, afin d’éviter d’engloutir la moitié de la croissance du PIB dans le financement du déficit du système de retraite, il n’existe que deux leviers à disposition : augmenter les cotisations (taux des contributions, âge de la retraite) et diminuer les prestations (base salariale, taux d’annuité etc.). À la Caisse générale de retraite et des agents de l’État (CGRAE), pilotée par Abdrahamane Tiémoko Berté, l’on estime que pour une reforme juste et efficace, il faut faire reposer les nécessaires ajustements sur différents paramètres, et donc différents types d’individus, actifs et retraités. Eugène Yao Kouakou, responsable de l’agence principale IPS-CGRAE du Plateau explique que la réforme des régimes de pension est intervenue dans un « envi- ronnement global d’essoufflement des régimes de retraites basés sur le modèle de la répartition ». Un système de financement des pensions de retraite qui consiste à les alimenter directement par les cotisations prélevées sur la population active. Avec des recettes égales aux dépenses, les cotisations des actifs servent à financer les retra ites.

Déséquilibre

Toutefois, selon ce dernier, l’audit actuariel du régime de 2010 à 2057 a montré qu’en l’absence de réforme, les prestations à verser évolueraient de 125,3 milliards de FCFA à 473,6 milliards en 2057, soit une multiplication par 4 en 50 ans. Dans le même temps, les cotisations passeraient de 75,2 milliards de FCFA en 2010 à seulement 206,8 milliards en 2057, soit multipliées par 3. Cette évo- lution divergente entre les recettes et les dépenses, fait ressortir un solde technique négatif qui passera de -50,1 milliards en 2010 à -266,8 milliards en 2057. Les solutions trouvées ont été, d’une part, de faire passer l’âge de la retraite de 55 à 57 ans, puis à 60 ans pour les fonctionnaires des grades D à A3, et à 60, puis 65 ans pour ceux du grade A4 à A7. Et d’autre part, d’augmenter le taux de cotisation, qui est passé de 18% (6% pour l’agent et 12% à la charge de l’État) à 25% (8,33% à la charge de l’agent et 16,67% pour l’État). Le nombre de départs à la retraite baissera, ainsi que le nombre de retraités à payer, ce qui aura pour conséquence une augmentation des recettes et une baisse des dépenses.

Point d’achoppement

À en croire Théodore Gnagna Zadi, président de la plateforme des associations syndicales du secteur public, des obstacles ont été posés de sorte qu’il est désormais difficile de bénéficier du capital décès. Avant la réforme, après le décès d’un fonctionnaire, l’ayant droit touchait immédiatement la pension de réver- sion pour s’occuper des enfants et des charges familiales. Ce qui représentait 50% de la pension du retraité. Après la réforme, la veuve doit avoir le même âge statutaire que celui qui devait aller à la retraite pour pouvoir bénéficier de la pension. « Une veuve doit avoir, elle aussi 65 ans avant de bénéficier de la pension de son mari défunt, si ce dernier devait aller à la retraite à 65 ans », explique Théodore Gnagna. Pour les fonctionnaires, il s’agit d’une grave atteinte aux avancées sociales et humanistes qu’a connues la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi le directoire de la plateforme de l’Intersyndicale du secteur éducation-formation (ISEF) n’a pas tardé à monter au créneau. Pour Théodore Gnagna, ces réformes ne sont pas bonnes pour les fonctionnaires. « Nous demandons le retrait des dispositions antisociales de cette réforme. » Sur la même lancée, il appelle au paiement de 243 milliards de francs CFA représentant le stock des arriérés des mesures de 2009. L’intersyndicale a pris soin d’ajouter à ses revendications, l’intégration des agents journaliers du secteur public à la Fonction publique, et la question des libertés syndicales, notamment les précomptes. Pour cette structure, les fonctionnaires ont fait leur part de sacrifice en acceptant de travailler plus longtemps et de cotiser plus. Et ce, dans l’espoir de gagner plus. « Ils s’attendaient à ce qu’au niveau de leurs pensions, le chiffre soit maintenu, comme par le passé, ou à tout le moins revalorisé. Ce qui n’est pas le cas. La réalité est que leur pension a baissé de 30% à 50% selon le grade», s’indigne-t-il.

La carotte et le bâton

Mesmin Comoé, président du Mouvement des instituteurs pour la défense de leurs droits (MIDD) avait été le premier à proférer des menaces. « Si le gouvernement ne retire pas ces mesures, nous ferons une grève sauvage », avait-il lancé. La réponse ne s’est pas faite attendre. « S’ils font une grève sauvage, la riposte sera sauvage et inoubliable », avait rétorqué Kandia Camara, ministre de l’Éducation nationale. Même fermeté du côté de son collègue de la Réforme administrative, Pascal Abinan Kouakou, qui a menacé, vendredi 11 novembre, de suspendre le salaire des grévistes à la fin de ce mois. Mais au-delà de cette autorité affichée devant les caméras, les discussions se poursuivent. Et chacun espère obtenir la victoire sur l’autre, le tout sur fond de « deal » entre gouvernants et syndicats.

Ouakaltio OUATTARA

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