La modification de la constitution survenue en 2016 et faisant sauter la limitation d’âge à 75 ans pour être candidat à la présidentielle, remet en jeu tous les leaders de la classe politique. Face à la pression des autres générations à prendre le flambeau, l’on assiste à une résistance des plus anciens qui n’entendent pas pour autant prendre leur retraite de sitôt. Même s’ils reconnaissent avoir des héritiers compétents et aptes à prendre le flambeau, chacun observe les mouvements de l’autre avant de se décider. C’est dans un tel contexte, qu’un groupe de députés, de par la voix de l’un d’entre eux, annonce qu’il déposera en avril prochain un projet de loi visant à fixer un âge pour la retraite politique.
Après 2020, tous les regards sont désormais tournés vers la présidentielle de 2025. Dans chaque camp, le débat se fait mais l’on garde une marge de manœuvre afin de ne pas heurter ceux qui estiment que leur leader politique (Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara ou Laurent Gbagbo), peut encore prétendre gouverner la Côte d’Ivoire entre 2025 et 2030. Cette fois, la proposition de modification de la constitution ne vient pas de l’exécutif mais plutôt des parlementaires, du moins d’un groupe de députés sous la houlette d’Assalé Tiémoko. Selon ce dernier, à l'ouverture de la session parlementaire d'avril 2022, « un texte de loi d'origine parlementaire portant modification des conditions d'éligibilité à la présidence de la république avec limitation de l'âge à 75 ans et visite médicale, sera sur la table des députés. » Poursuivant, il indique que dans ce texte, il sera clairement affirmé que « l'âge de la retraite politique est fixé à 75 ans plus un jour. » Pour ce parlementaire, cette limitation sera étendue à toutes les fonctions électives et aux fonctions à la tête de toutes les institutions de la république et des conseils d'administration des sociétés publiques. Et celui qui porte ce projet se veut confiant. « Ce texte sera voté par les deux chambres réunies du parlement. » Un projet ambitieux qui devra passer à loupe d’abord de l’exécutif, sûrement des partis politiques et les parlementaires auront le dernier mot. Mais le projet n’est pas anodin. Il intervient dans un contexte où les conditions pour que le Président Alassane Ouattara affronte dans les urnes dans quatre ans, Henri Konan Bédié (PDCI) et Laurent Gbagbo. Une sorte de remake de 2010 que les ivoiriens ne sont pas prêts à revivre.
Ballon d’essai ? Selon le député Assalé Tiémoko « en ce moment précis, l’histoire du pays s’écrit et c’est très souvent les minorités qui font l’histoire. La tendance majoritaire est que les ivoiriens sont fatigués de ses histoires de trois leaders et les députés le savent également. » En mettant ainsi le pied dans le plat, il apporte de l’eau au moulin de ceux qui se rasent en pensant à une passation de flambeau et les met dos à dos avec les conservateurs. En attendant que l’exposé des motifs soit public plusieurs parlementaires, qu’ils soient proches de l’opposition ou du pouvoir, interrogés, ont indiqué ne pas avoir connaissance d’un tel projet en gestation. Se prononçant sur la procédure de dépôt d’un avant-projet de loi, le député Tilkouét Dah Sansan explique que « L’auteur du projet, dépose son texte dans sa chambre auprès du secrétaire général. Celui-ci se charge de le transmettre à l’exécutif qui transmet une copie à l’autre chambre. Une programmation se fait ensuite afin que le porteur du projet puisse statuer. » Même s’il se dit très confiant de voir ce projet passer haut les mains dans les deux chambres (sénateurs et députés), les choses ne s’annoncent pas pour autant assez simples. Ce projet de loi qui pourrait mettre hors-jeu tous ceux qui ont plus de 75 ans, dans toutes les fonctions politiques, est une proposition inédite et soulève des questions. Qu’est ce qui est reproché aux séniors ? Les chasser de l’espace politique est-il une solution au mal ivoirien ? Ce projet de loi ne porte-il pas en lui des germes d’un conflit de générations s'ouvre ? Ne vise-t-il pas à exclure d’office des candidats de la course ? Pour Assalé Tiémoko, la réponse est simple. « Toute constitution porte en elle de l’exclusion. » Un avis que ne partage pas l’historien Arthur Banga qui pense que ce serait « amputer les plus de 75 ans de leur citoyenneté en leur interdisant un droit civique.» Expliquant que le monde compte plusieurs présidents de plus de 75 ans dont celui des Etats-Unis d’Amérique, Jo Biden, il estime qu’il ne faut nullement « imposer un âge pour s'engager en politique. » partageant les mêmes avis avec certains députés de l’opposition, il estime que si tous les ans une modification de la constitution doit intervenir pour régler « un problème ponctuel » ce serait un échec car celle-ci ne pourra jamais être « impersonnelle ».
Conflit de générations Il est clair pour certains que ce qui joue est un conflit de générations. Au PDCI, Jean Louis Billon en fait son cheval de bataille mais se retrouve déjà confronté à une levée de bouclier. Au sein de la gauche, le conflit entre Pascal Affi N’Guessan et Laurent Gbagbo trouve une source dans ce passage de flambeau. Au sein du RHDP, les interrogations ne manquent pas. Qui pour succéder à Alassane Ouattara ? Ce ne sont pas les noms qui manquent sur la table mais l’avenir dans chaque camp reste assez flou sans le « leader charismatique ». Pour certains observateurs, il faudra qu’à l’image d’Emmanuel Macron, ou encore comme au Sénégal avec Macky Sall, les jeunes générations aient le courage d’affronter dans les urnes les seniors. Mais autant l’âge de la majorité pour prendre part au vote est de 18 ans, autant l’âge minimum pour être candidat à la présidentielle est de 35 ans, certains estiment qu’il serait plus correct d’avoir un âge limite pour être candidat à la présidentielle. « Si l’on s’en tient à ce que propose Assalé Tiémoko, il est clair que tous ceux qui ont plus de 75 ans ne devront plus prétendre à un poste que ce soit à la tête d’une institution ou encore à un poste électif. Cela ne repose sur aucune logique » pense le sociologue Rodrigue Koné. Mais, déjà en début d’année 2021, le chef de l'État, Alassane Ouattara indiquait que « les réformes institutionnelles vont se poursuivre cette année pour consolider davantage l'État de droit et rapprocher les institutions des concitoyens ». Mais au sein de l’opposition proche de Laurent Gbagbo, l’on voit d’un mauvais œil cette manœuvre. Et c’est pourquoi certains de ces cadres mettent en garde le pouvoir contre une réforme constitutionnelle qui limiterait l'âge des candidats, ce qui pourrait avoir pour effet d'éliminer de la course ses rivaux historiques, dont leur champion, Laurent Gbagbo. Dans un contexte de renouvellement de la classe politique, les jeunes souhaitent avoir de plus en plus de places dans leurs différents partis. Ce qui sonne comme la fin d’une génération qui, depuis une trentaine d'années, monopolise et cristallise le débat politique. Après le rendez-vous manqué de 2020, certains haussent de plus en plus le ton. Le débat sans cesse reporté, finira surement par s’imposer dans chaque parti et il faudra du cran aux « jeunes loups » pour imposer leur vision et remporter la bataille face à des seniors qui ne comptent pas se laisser faire.
Yvan AFDAL