Il y a cinq ans, les prix des matières premières, telles que le cacao et la noix de cajou, avaient prix l’ascenseur, au grand plaisir des producteurs. Dépendants des cours mondiaux, ils sont frappés de plein fouet depuis 2017. La volonté politique de passer à l’étape de la transformation afin de résister aux chocs mondiaux tarde à donner ses fruits. Les paysans encaissent les plus grosses pertes face à un État qui voit ses recettes baisser et qui doit faire face à l’incompréhension des producteurs. Principales sources de revenus des paysans ivoiriens, le cacao et la noix de cajou font l’objet de beaucoup de spéculations et les solutions ne semblent pas à portée de main.
Juillet 2016, les cours du cacao, principal revenu des paysans et socle de l’économie ivoirienne, s’effondrent de plus de 30%. Les prix bords champs de la campagne qui s’ouvre trois mois après (octobre 2016) en sont sévèrement impactés. De 1 100 francs CFA, le prix aux producteurs baisse à 700 francs. Certains pointent du doigt la surproduction et d’autres les effets pervers de la spéculation. La noix de cajou, qui avait atteint 500 francs CFA en 2016, a connu une baisse pour la campagne qui s’ouvre le 15 février, à 375 francs contre 440 en 2017. En augmentant sa production, la Côte d‘Ivoire, selon certains traders, a généré une crise de surproduction. Mais pour l’économiste Youssouf Carius, lorsqu’on évalue la production et la demande, on est encore en situation de pénurie. La production mondiale, notamment ivoirienne, est faible par rapport à la demande potentielle sur le chocolat et les produits dérivés du cacao, par exemple. Les ressources procurées par le cacao participent à hauteur de plus de 20% du PIB national, représentent près de 50% des recettes d'exportation de la Côte d'Ivoire et font vivre plus de six millions d'Ivoiriens. La noix de cajou est également aujourd’hui un secteur stratégique, avec une production d’environ 23% de l’offre mondiale, en tant que troisième produit d’exportation du pays, selon la Banque mondiale.
Craintes La situation des paysans s’était nettement améliorée pourtant depuis 2012. Selon le Conseil café cacao (CCC), les planteurs se sont partagé 1 500 milliards de francs CFA en 2015, contre 1 003 milliards en 2012. Le revenu brut global perçu pour la campagne 2017 - 2018 est ressorti à environ 1 356 milliards de francs CFA, contre 2 024 milliards pour la campagne 2016 - 2017, soit une baisse de 33%. Pour ce qui est de la noix de cajou, la quantité totale commercialisée est passée de 649 587 tonnes en 2016 à 673 236 en 2017, soit une évolution de 3,72%. En ce qui concerne les revenus des producteurs, ils sont passés de 338 milliards de francs CFA en 2016 à 481 en 2017. En 2018, le volume de la production marquait une hausse de 6,7% par rapport à 2017 (711 236 t) et dépassait l’objectif fixé en début de campagne (750 000 t). Cette performance en termes de production n’a toutefois pas profité aux exploitants. Avec la dégradation de la conjoncture mondiale et les difficultés de commercialisation, les producteurs n’ont encaissé que 404 milliards de francs CFA en 2018, contre 509 milliards en 2017, selon le gouvernement. Des baisses de revenus qui les inquiètent de plus en plus. Cette situation a contribué à alimenter les ports du voisin ghanéen. Les mesures de sécurité prises contre la fuite illégale de la production ivoirienne n’ont pas de tous temps été très efficaces. Quand les moyens humains sont déployés, il faut compter avec la porosité des frontières, la dextérité des acheteurs, les complicités et la corruption. Dans l’ensemble, selon les chiffres officiels, en termes de volumes, plusieurs cultures d’exportation ont vu leur production baisser, notamment le café (-16,6%), le cacao (-26,5%), la noix de cajou (-7,5%) et l’ananas (-27%).
Transformation balbutiante Le pays se tourne de plus en plus vers la recherche de plus-values réelles pour ses matières premières. Ainsi, en 2015, un objectif de 50% de transformation des fèves sur le territoire ivoirien à l’horizon 2020 a été fixé, contre seulement 33% à date. Une volonté sans cesse réitérée, mais qui peine à décoller. Ce sont 580 000 tonnes de cacao qui ont été transformées localement sur les 2,1 millions de tonnes produites par la Côte d'Ivoire lors de la campagne écoulée, selon des chiffres du ministère de l'Industrie. Et encore, il s’agit non pas de produits finis de transformation, mais juste semi-finis. Au total, douze unités industrielles ont été installées pour la transformation locale. Le gouvernement a pris des mesures pour améliorer la compétitivité des entreprises de broyage et promouvoir les investissements privés. Elles englobent notamment la facilitation et des arrangements fiscaux en faveur des unités industrielles de broyage de cacao et la réservation d'une proportion des droits d'exportation à ces unités au cours de chaque campagne intermédiaire. Mais les résultats sont toujours à la traine. Selon Ahmed Diomandé, directeur de cabinet du ministre du Commerce, pour ce qui est de la noix de cajou, en matière de transformation les résultats sont en deçà des attentes car la Côte d’Ivoire occupe le quatrième rang mondial derrière l’Inde, le Vietnam et le Brésil. Les 24 entreprises de transformation d’anacarde qui exercent sur le territoire ivoirien totalisaient une capacité installée de 167 300 tonnes en 2018 contre 90 900 tonnes en 2017. Des progrès qui sont insuffisants dans l’ensemble. Selon M%. Diomandé, il est nécessaire d’évaluer l’impact des mesures mises en œuvre pour la transformation locale de l’anacarde, de mener des réflexions sur leurs opportunités et d’identifier d’autres actions, qui pourraient être plus efficaces, pour l’atteinte de l’objectif de transformation de 50% de la production en 2020. La question du financement est cruciale pour les petits producteurs et le coût de la production au niveau local est un frein à la compétitivité sur le plan mondial de l'anacarde made in Côte d'Ivoire. Par exemple, le coût de revient de la transformation d'une tonne de noix de cajou en Côte d'ivoire est de 575 000 francs CFA, contre 250 000 francs CFA en Inde et 175 000 francs CFA au Vietnam.
Une agriculture vivrière plus performante Selon les chiffres officiels croisés de la Banque mondiale et du gouvernement ivoirien, la croissance économique entre 2016 et 2018 a été portée par à peu près les mêmes secteurs d’activité qu’en 2015, à l'exception de l’agriculture, qui a marqué le pas. L’énergie, la construction, les mines, les services - portés par le commerce, le transport et les communications - ont été les plus dynamiques. À noter que, comme la Côte d’Ivoire est aussi exportatrice de produits pétroliers raffinés, l’impact sur la balance commerciale de la hausse du prix du pétrole a été relativement neutre. Quant au secteur primaire, sa performance s’est donc dégradée, avec un taux de croissance quasiment nul, alors qu’il avait atteint presque 3% en 2015. Une baisse qui est la conséquence, en partie, de mauvaises conditions climatiques, mais aussi de la chute du prix de plusieurs produits d’exportation pendant l’année. En revanche, la production vivrière a augmenté en moyenne de 6%, avec une hausse de 8,9% pour les tubercules et de 2,6% pour les céréales. Toutefois, la production de riz a baissé de 5%. La croissance du secteur agricole, qui compte pour 25% du PIB ivoirien et emploie encore la moitié de la force nationale de travail, devrait rester en moyenne autour de sa moyenne historique, soit 2 à 3%, entre 2016 et 2020, même si le secteur reste vulnérable à des chocs extérieurs et climatiques, comme cela a été expérimenté par la filière du cacao.
Ouakaltio OUATTARA