Attendu par ses sympathisants tel un héros, Laurent Gbagbo, selon ses proches, foulera le sol ivoirien le 17 juin à 14 heures. Une annonce qui en a surpris plus d’un, même certains membres du Comité d’organisation. Ce retour acté, les débats tournent plutôt autour de ses conditions. Accueil triomphal, souhaitent ses partisans, rentrée sobre et sans mouvement de foule, souhaite le gouvernement. Assoa Adou a donc décidé de passer à la vitesse supérieure en prenant à contre-pied partisans et opposants. Profitant de la célébration de l’anniversaire de Laurent Gbagbo, le 31 mai, il a lancé l’information dans un tonnerre d'applaudissements. Ce n’est pas la première fois qu’il annonce une date de retour de Laurent Gbagbo et l’on s’interroge; cette fois-ci sera-t-elle la bonne?
Le 31 mai dernier, les partisans de Laurent Gbagbo se sont donné rendez-vous dans un espace à Cocody Riviera 3, en vue d’y célébrer son anniversaire. Assoa Adou, qui gère le parti au quotidien depuis bientôt deux ans, est à la manœuvre. Dans la salle, les regards cherchent Simone Gbagbo parmi les femmes présentes. Point de Simone. Mais cela n’entache en rien le caractère festif de la cérémonie qui les réunit. Elle est depuis longtemps écartée de ce genre d’activités à la gloire de son époux. Mais, pour elle, ce n’est pas là le plus important. « Le retour de son mari est sa principale préoccupation. Le reste n’est que secondaire », tente de minimiser l’un de ses collaborateurs. Assoa Adou sait qu’elle guette ses faits et gestes et avance prudemment, tout en prenant soin de l’éviter. Quand vient son tour de prendre la parole, Assoa Adou annonce dans la foulée la date du 17 juin pour le retour de son mentor Laurent Gbagbo, sous un tonnerre d’applaudissements suivis de pas de danse. Les partisans n’attendaient que cela et l’organisation de cet anniversaire n’était qu’un prétexte. Au même moment, dans un autre lieu et dans un autre décor, Laurent Gbagbo était aussi à l’ordre du jour. Cette fois pas pour lui dresser un tapis rouge, mais plutôt pour dépoussiérer des dossiers judiciaires à son encontre. Après deux semaines de mobilisation, Issiaka Diaby, du Collectif des victimes de la crise post électorale, venait d’obtenir un rendez-vous avec le procureur et le juge d’instruction et en ressortait l’air heureux. C’est qu’il venait d’obtenir du juge d’instruction l’assurance de poursuites à l’encontre de Laurent Gbagbo dès son retour en Côte d’Ivoire. Pas pour les faits déjà jugés par la Cour pénale internationale (CPI), mais pour d’autres, liés à la crise post électorale de 2011. En somme, une centaine d’actes commis dans les communes d’Abobo, de Treichville, de Yopougon et dans des villes de l’intérieur du pays.
Retour triomphal ? Pour Laurent Gbagbo et ses partisans, pas question que leur leader, qui a gagné son procès à la CPI, rentre sur la pointe des pieds. D'ailleurs, alors que le gouvernement est intransigeant sur un quelconque rassemblement à l’arrivée de Laurent Gbagbo, Assoa Adou a mis le pied sur l’accélérateur. « Nous allons les mettre devant le fait accompli et nous allons tout assumer », confiera-t-il à l’un de ses proches avant de prendre la parole ce 31 mai. Coup de bluff ou forcing ? En tout cas, l'annonce de cette date n’a pas laissé les partisans de l’opposition indifférents. Ces derniers ont laissé exploser leur joie et attendent déjà ce jour avec impatience. Cette annonce, qui a surpris même certains hauts membres du Comité d’organisation, laisse entrevoir une sortie peu préparée. Deux jours auparavant, Emmanuel Monnet avait au cours d’une réunion annoncé la suspension de toutes les activités de mobilisation. Ce qui avait fait monter le ton entre lui et d’autres cadres, dont Marie Odette Lorougnon. Si pour certains membres de ce Comité d’organisation le plus important est l’arrivée de leur chef, avec ou sans mobilisation, la question divise profondément. Pour des cadres comme Justin Katinan Koné, Marie Odette Lorougnon et Sébastien Danon Djédjé, pas question que Gbagbo « rentre en catimini ». « Il faut nous laisser l’accueillir comme on le souhaite et comme on le veut », avance Assoa Adou. Ce dernier n’a pas manqué d’inviter ses partisans à ne pas verser dans les provocations et à rester sobres dans « la célébration ».
En embuscade Face à toute cette mobilisation, le Collectif des victimes et des parents de victimes de la crise post électorale joue les trouble-fête. Issiaka Diaby, son Président, qui suit tous les procès depuis 2012, milite pour une arrestation de Laurent Gbagbo dès son retour en terre ivoirienne. Dans son placard, des dossiers judiciaires contre Laurent Gbagbo ouverts en juin 2013. Comme Charles Blé Goudé, il est accusé de plusieurs faits. « J’ai pu m’assurer de la réalité de cette procédure devant le Doyen des juges d’instruction du tribunal de première instance d’Abidjan Plateau », clame Issiaka Diaby. Du côté du juge d’instruction, on confirme en termes à peine voilés l’existence de cette procédure, « qui somnole depuis juin 2013 », indique un membre du cabinet. « J’ai été heureux d’apprendre qu’une information judiciaire était ouverte contre Monsieur Laurent Gbagbo depuis juin 2013. C’est celle-ci qui a permis le jugement de Madame Simone Ehivet Gbagbo et la condamnation de Monsieur Charles Blé Goudé à 20 ans d’emprisonnement », dévoile Issiaka Diaby. Selon nos informations, dans le cadre de cette procédure, qui concerne des faits différents de ceux jugés par la CPI, plusieurs victimes ont déjà été entendues. Il s’agit entre autres de faits liés à « l’article 125 » (personnes brûlées dans les communes de Yopougon et de Koumassi lors de la crise) et de meurtres et assassinats commis par des combattants libériens tant à Abidjan qu’à Dabou ou à Oukroyo (ouest) lors de leur fuite. « La procédure étant déjà ouverte, il revient à la justice ivoirienne d’entendre Monsieur Laurent Gbagbo à son arrivée en Côte d'Ivoire afin que justice soit rendue aux nombreux morts de la crise post électorale de 2010 », explique Issiaka Diaby.
Pressions En tout état de cause, la pression monte dans les deux camps. Le camp Gbagbo n’a plus le choix, il doit travailler pour que cette date soit maintenue. Après l’annonce de son retour pour la mi-mars, reportée sans explication, ce retour est très attendu par la classe politique ivoirienne, explique le sociologue Roger Coulibaly. « En face, la réaction du gouvernement est attendue depuis cette annonce », poursuit-il. Mais le gouvernement maintient sa position, comme dans les dossiers judiciaires antérieurs. « Nous n’avons pas l’habitude de nous mêler des dossiers judiciaires », avance une source gouvernementale, qui s’empresse de préciser que le gouvernement « a déjà démontré sa bonne foi. Et le Président de la République est toujours disposé à payer le billet d’avion ». Selon d’autres sources au sein de la Primature, qui pilotent avec l’opposition le retour de l’ex Président, tout le monde a été surpris par cette annonce, « alors que les échanges se poursuivent encore ». Mais, de source proche d’Assoa Adou, les discussions n’ont presque pas avancé avec la Primature, qui souhaite leur « imposer un calendrier et les modalités de l’accueil ». C’est, selon cette dernière, ce qui a poussé le camp Gbagbo à faire cette annonce, afin de « prendre ses responsabilités ».
Yvan Afdal