Depuis août 2017 et l’expérimentation de la première trêve sociale, le gouvernement a donné la priorité au dialogue avec les travailleurs. Mais il existe une frontière entre cet accord et le discorde. Du côté des autorités, c’est le sentiment qu’on a déjà tout fait. Chez les travailleurs, c’est plutôt le besoin constant de rappeler qu’on sait encore faire la grève.
Le gouvernement a signé le 8 août dernier, la seconde trêve sociale avec les syndicats de la Fonction publique. Une trêve qui va couvrir la période 2022–2027. Elle prend en compte les points annoncés par le président de la République, lors de son discours du 7 août. Il s’agit de la revalorisation de 20 000 FCFA de l’indemnité contributive au logement pour l’ensemble des fonctionnaires de Côte d’Ivoire. Une indemnité restée inchangée depuis 1993. La revalorisation de l’indemnité mensuelle de transport restée inchangée depuis 2008, passant 7 000 FCFA à 20 000 FCFA, pour les fonctionnaires et agents de l’Etat résident à Abidjan ; de 7 000 à 15000 FCFA pour ceux qui résident à Bouaké ; de 5000 à 15 000 pour les travailleurs qui résident dans les autres chefs-lieux de région. Enfin, de 5 000 à 10 000 pour les fonctionnaires et agents se trouvant dans les autres localités.
La trêve concerne également la revalorisation de l’allocation familiale, qui passe de 2500 à 7500 FCFA par mois et par enfant, pour tous les fonctionnaires et agents de l’Etat. Une allocation qui n’avait pas changé depuis 1963. Sans oublier, l’instauration d’une prime exceptionnelle payable chaque début de mois de janvier, et représentant 33% du salaire mensuel indiciaire de base, du mois de décembre. Des mesures qui représentent un effort additionnel de l’Etat de 227 milliards FCFA par an.
En contrepartie, les syndicats honoreront leur engagement qui est essentiellement l’apaisement du climat social.
Désaccords
Mais s’il y a un point sur lequel les faîtières tablaient, c’est l’indice référentiel de base, fixé à 223,45. Les salariés du secteur public voulaient dans un premier temps le hisser à 500, puis à 300. Mais le gouvernement n’a pas cédé d’un iota. La raison est simple. Si l’indice référentiel de base avait bougé, cela reviendrait à effectuer une hausse générale des salaires, de l’ampleur de celle faite en 2013 puis en 2015. Voire plus. Ce point a été d’autant plus discuté que les avantages d’une hausse de cet indice auraient suivi les fonctionnaires jusqu’à la retraite. Une augmentation des salaires entraînant systématiquement une hausse de la pension de retraite.
Enchères
Or, ce n’est pas le cas pour l’allocation familiale ni pour l’indemnité de logement, qui ont été revalorisées. S’agissant du second point, par ailleurs, les fonctionnaires avaient misé sur une indemnité de 100.000 FCFA pour les instituteurs et 300.000 FCFA pour les enseignants du supérieur. Des hausses d’environ 300%. Ces enchères avaient été expressément élevées pour espérer à la fin obtenir une revalorisation conséquente. Aujourd’hui, l’instituteur est passé de 40 000 à 70 000 FCFA. Pareil pour le professeur de collège. Là où le professeur de lycée est passé de 50 à 70 000 FCFA. Les profs d’université passent de 70 000 à 90 000 FCFA.
Problèmes sectoriels
Enfin, parmi les négociateurs, certains désiraient un dialogue social et non une trêve sociale. La nuance est de taille. Dans la trêve sociale, une fois l’accord conclu, les syndicats sont obligés de s’en tenir aux termes. Or, les problèmes de 2022 ne sont pas ceux de 2023. Dans le dialogue social, en revanche, les discussions se poursuivent autour de nouveaux points. L’autre crainte pour les travailleurs étant qu’une fois le document de la trêve paraphée, les autorités ne veuillent plus les écouter sur les problèmes sectoriels. Car, les points accordés par le chef de l’Etat le 7 août 2022 étaient transversaux. Et, conscient de cela, Alassane Ouattara a donné son accord pour que les discussions se poursuivent sur les points sectoriels.
L’autre amalgame qu’entraine la trêve sociale, c’est le chevauchement de certains points avec les états généraux de l’éducation nationale. Prise en compte par le Chef de l’Etat, l’indemnité de logement est du coup extirpé du contenu des états généraux. Ce qui relègue les autres points au second plan. La suppression des cours le mercredi, la suppression du concours des instituteurs adjoints, etc. La question est donc : que faire du document sur la trêve remis le 11 avril 2022 au Premier ministre Patrick Achi ? Ouvrir un second cadre de discussion en dehors des discussions censées se tenir dans le cadre de la trêve social ?
Discussions
« Pour le moment, nous n’avons pas encore de retour sur cette préoccupation », indique Bertoni Kouamé, ex-porte-parole de la Coalition des syndicats du secteur éducation/formation (Cosefci). Sans un cadre formel encore défini pour débattre du contenu du livre de revendications remis au chef du gouvernement, le personnel éducatif craint que ceux-ci n’aient été noyés par les points pris en compte dans la trêve sociale.
Enfin, il y a les discussions sectorielles censées s’ouvrir après la signature de la trêve sociale. Selon Kouamé Bertoni également secrétaire général du Réseau des instituteurs de Côte d’Ivoire (Rici), ce n’est pas le cas dans tous les ministères. Une situation qui a amené le Rici à menacer d’entrer en grève. Jean-Yves Abonga, Président de la Centrale Intersyndicale des travailleurs de Côte d’Ivoire (ITCI) abonde dans le même sens. « L’une des recommandations fortes de ce protocole d’accord portant trêve sociale était la mise en place des comités sectoriels dans les différents ministères techniques dont est composé le Gouvernement. Cette mesure a été matérialisée par la prise du décret N° 2022-829 du 26 octobre 2022 instituant un comité sectoriel de dialogue social dans les ministères par le Président de la République en Conseil des ministres. Lequel décret devrait être traduit par un arrêté pour l’instauration d’un comité de dialogue social spécifique dans chaque département ministériel, composé de quatre membres des organisations syndicales issues dudit ministère et quatre membres de l’Administration », fait savoir Abonga. Avant d’ajouter : « à ce jour, certains ministères se sont conformés à cette instruction qui, je le rappelle, était soumise à un délai d’exécution. Mais force est de constater que bon nombre de ministères restent encore à la traine. Pis, il faut noter que même parmi ceux qui l’ont instauré, certaines difficultés demeurent dans le traitement proprement dit des revendications. La mise en place des comités sectoriels de dialogue social est une décision qui émane de la plus haute autorité de ce pays, son Excellence le Président Alassane Ouattara et traduit par son premier Ministre, Patrick ACHI qui, tous deux, attachent du prix à sa mise en œuvre ».
Pour terminer, quelques syndicats estiment que les faitières qui les représentent des les discussions, manquent d’efficacité. Ces syndicats n’hésitent pas à se désolidariser de la trêve sociale. Pour le Président de la Plateforme nationale des organisations professionnelles du secteur public et privé de Côte d’Ivoire, Gnagna Zadi, c’es de la mauvaise foi. « Je ne peux pas donner de garanti qu’il n’y aura pas de grève. En tant que président, je fais en sorte que les syndicats de la Plateforme respectent la signature. Personne ne nous a obligés à signer. Quand vous le faites, il faut assumer cette responsabilité. Mais le plus important avec la trêve sociale, c’est que lorsqu’il y a des préoccupations, il faut se retrouver pour les régler. On a vu cela avec la Coordisanté », note-t-il.
Quoi qu’il en soit, il vaut mieux une trêve que pas du tout. Depuis 2017 et la signature de la première trêve le climat social connait une relative embellie en Côte d’Ivoire.
Jonathan Largaton