Russie - Afrique : Bousculer l’ordre établi ?

47 chefs d’État et de gouvernement ont répondu à l’appel de la Russie.

1992. Quand sonne la fin de la Guerre froide, Moscou annonce la fermeture de neuf ambassades et de quatre consulats en Afrique. 27 ans après, Vladimir Poutine veut changer la donne et marquer le retour de son pays en terre africaine. Devancée par l’Union Européenne et la Chine, la Russie, qui brille en Afrique uniquement dans la vente des armes, veut devenir désormais un partenaire économique incontournable du continent africain. Telle était la motivation essentielle de la Déclaration finale du 1er Sommet Russie – Afrique, qui s’est tenu le 24 octobre dernier à Sotchi, en présence d’une quarantaine de chefs d’États et de gouvernements africains. L’Afrique, continent de toutes les convoitises peut-être, mais à quel prix ? Si beaucoup reste à faire sur le continent, peut-il résister aux assauts conjugués de l’Europe, de la Chine et de la Russie ?

Pour la 1ère édition du Sommet Russie - Afrique, une quarantaine de chefs d’États et de gouvernements africains avaient effectué le déplacement. Dans un contexte économique hautement concurrentiel entre pays occidentaux, Chine et USA, la Russie dévoile ainsi sa stratégie africaine, qu’elle veut basée sur le « win win », contrairement aux méthodes occidentales qui, aux dires du Chef de l’État russe, se déroulent sur fond de domination des anciennes colonies. Mais ce sommet, réplique des forums sur la coopération sino-africaine qui ont permis à Pékin de devenir le premier partenaire du continent, montre déjà que la démarche russe ne sera pas différente de celle de la Chine : ne pas conditionner son aide au respect de la démocratie et des droits de l’Homme. Et la présence de géants étatiques aux côtés de Vladimir Poutine, avec lesquels les dirigeants africains ont échangé, démontre que le Kremlin souhaite désormais passer à une autre étape. Autant le dire, l’offensive russe vise à rehausser la barre en ce qui concerne les attentes des pays africains. Lesquelles attentes sont économiques, politiques, environnementales, juridiques, commerciales, scientifiques et sécuritaires. La Russie, membre du G8, a des multinationales et des capitaux. Et, depuis le démembrement de l’Union soviétique, des oligarques se sont enrichis et ont des capitaux à revendre à investir, explique Laurent Assouanga, enseignant à l’université de Cocody et spécialiste des questions de relations internationales. Pour les Russes, il s’agit d’intensifier les efforts pour faciliter le commerce, les investissements et le développement durable afin de soutenir les entrepreneurs russes et africains. Ce qui explique pourquoi la Fondation Roscongress, chargée de la promotion économique de la Russie, a signé plusieurs accords de coopération avec de nombreuses Chambres de commerce africaines, notamment avec l’Égypte, la République démocratique du Congo, le Niger, le Burkina Faso, le Mali, etc., pour améliorer la communication entre experts et monde des affaires russe et africains. « Nous sommes en train de préparer et de réaliser des projets d'investissements avec des participations russes qui se comptent en milliards de dollars », précisait le Président russe. Il faut dire qu'après cinq années de sanctions économiques occidentales, Moscou a un besoin crucial de partenaires et de débouchés pour améliorer sa croissance, atone actuellement.

Grand retour ? Mars 2006. Vladimir Poutine, qui entame son deuxième mandat à la tête de la Russie, fait une courte mais fructueuse visite d’une journée en Algérie. Il y signe de nombreux contrats d’armement, évalués à plus de six milliards de dollars, et Alger s’engage en échange de l’annulation de sa dette, évaluée à près de 5 milliards de dollars. Quatre mois plus tard, les géants gaziers russe et algérien, Gazprom et Sonatrach, concluent un accord de prospection et d’extraction. La Russie se propose également de remettre à neuf le réseau algérien de gazoducs. Cet épisode, vieux de quinze ans, préfigure ce que sera au cours des années suivantes le retour de la Russie sur le continent africain. Dès 2001, Vladimir Poutine avait envoyé le Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Russie, l’ancien Premier ministre Evgueny Primakov, effectuer une tournée en Afrique du Sud, en Angola, en Namibie et en Tanzanie. Au cours de cette même décennie 2000, le Président russe tentera de reproduire, sans grand succès, avec la Libye de Mouammar Kadhafi les accords conclus avec Alger en 2006. L’année 2013 sera marquée par d’énormes contrats d’armement entre Moscou et l’Égypte. Moscou se chargera aussi de construire près d’Alexandrie la première centrale nucléaire égyptienne, chantier estimé à près de 25 milliards de dollars, sous la forme d’un prêt.

Parts de marché La Russie, si elle ne vise pas dans l’immédiat à rattraper son retard sur l’Union Européenne, la Chine ou les USA, vise néanmoins à grignoter des parts de marché sur le continent africain. Surtout dans les domaines de l’armement, du pétrole et du nucléaire à des fins civiles, pour l’électricité. « Tant qu’il y aura des interlocuteurs soucieux de maintenir les conflits sur le continent, il va sans dire que la Russie aura des marchés d’armement », explique Laurent Assouanga. Selon lui, la Russie, de par sa structure économique, n’a pas de multinationales, excepté dans les secteurs pétrolier et de l’armement. Elle n’arrive pas à moderniser son économie et à proposer au monde des produits compétitifs. « Il sera difficile à la Russie de rivaliser avec les autres concurrents dans les domaines de l’automobile, des produits manufacturés ou de l’informatique ». Mais, au cours du sommet, la Russie a pris le soin de faire voir à ses hôtes ce qu’elle a comme armement et certains officiels africains n’ont pas hésité à se montrer devant les appareils photos des armes à la main. L’interaction pour l’assurance d’une sécurité a été passée à la loupe dans le but de combattre les défis traditionnels et modernes liés au secteur de la sécurité, notamment l’extrémisme, la criminalité transnationale et le trafic illicite des stupéfiants, des substances psychotropes et de leurs précurseurs. Dans un contexte d’expansion des réseaux terroristes au Nigéria, au Mali, au Burkina Faso et au Cameroun, la Russie ne pouvait espérer avoir un terreau plus fertile pour augmenter ses ventes d’armes.

Pour l’heure, l’Union européenne et la Chine sont les premiers partenaires commerciaux du continent, avec respectivement 270 000 et 200 000 milliards d’euros de volumes d’échange en 2018, contre seulement 18 milliards pour la Russie.

Offensive diplomatique Poutine, nostalgique de la Guerre froide, veut voir son pays jouer un rôle de premier plan, comme au temps de l’Union soviétique. Sur le continent, la Russie dispose déjà d’un solide réseau d’ambassades. Tout en s’engageant à convoquer un sommet tous les trois ans, Moscou a souhaité établir un organe suprême de coordination du développement des relations russo-africaines et développer un dialogue bilatéral. Des consultations politiques annuelles se tiendront entre son ministre des Affaires étrangères et ceux des États africains. Pour inverser la tendance, Vladimir Poutine vante une coopération sans ingérence « politique ou autre ». Mais la Russie de Poutine n'est pas celle l'Union soviétique. Elle manque de ressources, de l'idéologie et de l'attrait de son prédécesseur, notent certains observateurs. Dans un contexte de tensions exacerbées avec les pays occidentaux, le sommet de Sotchi se présente aussi comme l'occasion pour la Russie, après son grand retour au Moyen-Orient à la faveur de ses succès syriens, de montrer qu'elle est une puissance d'influence mondiale. « Parmi les principaux défis des pays africains, l’on compte le manque de démocratie et le non-respect des droits humains », rappelle M. Assouanga. « Ce même reproche est également fait à la Russie par les Occidentaux. Et Poutine, ancien patron des services secrets russes (KGB), compte bien surfer sur ces deux points, tout en en ne subordonnant pas ses investissements au respect scrupuleux des droits de l’Homme et des libertés publiques en Afrique ». Cela pourrait être de nature à redynamiser les relations entre la Russie et l’Afrique, que d’aucuns qualifient déjà de RussAfrique. « Il ne s’agit peut-être pas de conforter certaines dictatures, mais, selon la conception russe, c’est le développement qui peut impulser la démocratie, non le contraire », conclut le spécialiste Assouanga.

Ouakaltio OUATTARA

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