C’est par une manifestation médiatisée, réunissant une centaine de personnes à Abidjan et Bouaké, jeudi 16 juin, que le personnel local de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) est venu rappeler la fin de la mission dans un an.
Une décision acceptée par les employés, qui réclament cependant le versement d’indemnités de licenciement, ce que conteste leur administration, qui évoque un « non-renouvellement de contrat ». « D’accord pour le départ de l’ONUCI, mais payez nos indemnités ! », scandaient les banderoles affichées à l’entrée des locaux des dans les deux plus grandes villes du pays. Les représentants de Ban Ki-Moon se seraient volontiers passés d’une telle perturbation, alors que leur départ prochain laisse planer certains doutes quant aux défis sécuritaires auxquels doit encore faire face la Côte d’Ivoire.
Devenus familiers après treize ans de présence dans le pays, les 5 500 Casques Bleus de l’ONUCI, de 48 nationalités différentes, vont préparer leurs valises d’ici 12 mois, après une décennie tumultueuse. Créée en 2004 en tant que force d’interposition à la suite de la rébellion de 2002 et à la partition du pays, la mission onusienne doit agir sur de nombreux plans : la sécurité, l’appui à l’organisation d’élec-tions, l’aide humanitaire ou encore la reconstruction. Prolongée à plusieurs reprises malgré la fin du conflit en avril 2011, l’ONU a estimé après une mission d'expertise menée en février, que les conditions étaient enfin réunies pour son départ dans un an.
Satisfecit offjciel « Saluant les progrès remarquables accomplis par la Côte d'Ivoire sur la voie d'une paix et d'une stabilité durables ainsi que de la prospérité économique », le Conseil de sécurité de l’ONU a pris acte d’une amélioration générale de la situation. Si la porte-parole de l’ONUCI, Kadidia Ledron, préfère botter en touche concernant le bilan, en recommandant de « poser cette question aux Ivoiriens », celui-ci est vanté comme «positif» par la plupart des sources officielles, tout comme par les employés de la mission, qui disent avoir « fait tout ce qu’il fallait faire ». Selon Kalilou Dramé, chargé de communication au sein de l’armée ivoirienne, « les armes étaient omniprésentes de 1999 à 2010, et grâce au travail de longue haleine réalisé par l'ONUCI, la confiance a été restaurée en de nombreux endroits du pays ».
Une armée encore en refondation Mais au-delà des déclarations officielles, beaucoup s’avèrent moins sereins, même s’ils reconnaissent des avancées importantes. « Il reste du travail pour réformer l’armée », prévient Valentin Robiliard, analyste pour Control Risks, une société de conseil basée à Londres. « Les décisions d’ampleur traînent, et les discussions sur le sujet sont devenues une source de tensions, sans que l’ONU n’ait pu jouer un rôle important, à cause de pressions domestiques », reprend-il. Dans sa récente résolution, l’organisation internationale elle-même reconnaît des « progrès limités » dans cet objectif de réforme de l’armée, mais aussi dans ses missions de désarmement et de réconciliation nationale. Depuis les casernes de l’armée, Kalilou Dramé ne nie pas le défi à relever. « Il n’y a plus de violence politique dans le pays. Maintenant, la priorité est d’assu-rer la sécurité au sein de l’armée, où demeurent des problèmes d’organisation.
C'est un défi à prendre au sérieux, cer-tains soldats ont profité de la crise pour revêtir un treillis, et il nous faut moraliser ces éléments ».
L’Ouest bientôt renforcé ? De toutes les régions ivoiriennes, c’est l’Ouest qui sera probablement le plus impacté par le départ des Casques Bleus, qui effectuaient fréquemment des reconnaissances. « L’ONU nous aidait avec leur surveillance aérienne. Leur mandat a expiré, et ils vont devoir regagner leurs bases », explique une source sécuritaire à Grabo, ville frontalière avec le Libéria, ciblée au moins trois fois par des inconnus armés depuis 2012. « Il est temps pour eux de rentrer, mais on reste en alerte. Des renforts devraient arriver prochainement dans les différentes bases pour compenser les départs », fait observer une source sécuritaire. « Les autorités ont pris leurs dispositions pour que les forces de police et de gendarmerie soient bien préparées», complète Kalilou Dramé, qui rappelle que les problèmes de l’Ouest sont avant tout de nature « sociale et environnementale ». Mais la sérénité n’est pas au rendez-vous pour tous. « Ce n’est pas encore le moment de partir ! », assène un employé de l’ONUCI, dans l’Ouest du pays. On note des attaques dans cette région ou encore à Bouna. Récemment, plusieurs tonnes d’armes ont été découvertes, c’est bien la preuve qu’il y a des problèmes à régler. N’oublions pas non plus le phénomène préoccupant des “microbes” et des poches d’insécurité qui s’étendent à Abidjan », soulève-t-il sous couvert d’anony-mat. « Le départ de l’ONUCI n’enlève rien aux problèmes sécuritaires dans l'Ouest et au Nord du pays, reprend Valentin Robiliard. Mais il est indéniable que les forces de l’ONU apportaient un soutien et un sentiment de sécurité ».
Le défi du terrorisme en question Un simple « sentiment de sécurité » n’est pas indissociable de la sécurité elle-même. Si l’ONUCI n’a « aucun mandat concernant le terrorisme », rappelle sa porte-parole, son absence pourrait pourtant avoir des conséquences sur ce risque, selon d’autres analystes. Depuis l’attaque de Grand-Bassam le 13 mars, revendiquée par le groupe djihadiste Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), le risque terroriste est sévère dans toute la sous-région. « Quand l’ONUCI est là, le risque est amoindri par leur simple présence, les terroristes osent moins », diagnostique une source sécuritaire de Da-loa (Ouest). La situation ne devrait pas stagner : avec des renforts qui devraient porter leur effectif à 900 hommes au cours de l'année 2016, les Forces fran-çaises en Côte d'Ivoire (FFCI) devraient compenser, au moins en partie, le vide laissé par les Casques bleus. « En termes de lutte contre le terrorisme, la priorité reste donnée aux autorités ivoiriennes et à la coopération avec la France et les pays du G5 Sahel » (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), rappelle Valentin Robiliard. En attendant, il est un secteur que les derniers événements font prospérer, celui de la sécurité privée. Depuis mars, « les demandes ne cessent d'afnjuer », garantissait le mois dernier à Jeune Afrique Edy Koula, président de l’Union nationale du patronat des entreprises privées de sécurité de Côte d’Ivoire (UNAPEPSCI). Les prétendants ne semblent pas manquer pour combler le vide sécuritaire que pourrait causer le départ de l’ONUCI, dont le budget 2015 s’élevait à 402 millions de dollars US.
NOÉ MICHALON