« Je suis arrivée à 8 heures du matin, mais ce n’est qu’à 12 heures que les sages-femmes ont commencé à s’occuper de moi, après que mon mari ait été contraint de payer 15 000 francs CFA ». Les plaintes sont presque quotidiennes chez les usagers des hôpitaux publics depuis le début de la politique des soins gratuits, en 2011, puis de la gratuité ciblée, en 2012. Entre insuffisance de matériel et de personnel, les hôpitaux sont parfois débordés. La récente grève des agents de santé communautaire et la fermeture des urgences du CHU de Treichville et de certains hôpitaux pour réhabilitation, dans un contexte de saison pluvieuse où l’on enregistre un pic au niveau des consultations pour paludisme, ne sont pas pour arranger les choses.
De la gratuité totale entre 2011 et 2012, le gouvernement, face à certaines difficultés de divers ordres, a décidé de passer à la gratuité ciblée. Celle-ci concerne le couple mère - enfant (0 à 5 ans), avec des pathologies et actes restrictifs, le paludisme, les assujettis et les personnes démunies, de même que les urgences médicales et chirurgicales. Jugée « très bonne » par certains praticiens, comme Georges Kamon Meney, Secrétaire général du syndicat des agents de santé à base communautaire de Côte d’Ivoire (SYNASCOMCI), elle a « montré ses limites », selon Donatien Robé, spécialiste des questions de santé, ou « n’existe pas » selon certains usagers, qui se plaignent de payer plus face à l’intransigeance de certains membres du corps médical. Les plaintes et les accusations ne manquent pas envers eux. Les exemples sont légion et proviennent pour la plupart de femmes enceintes et de leurs parents, qui dénoncent des cas de racket, notamment le jour de l’accouchement. Pourtant, sur le plan financier, la gratuité des soins et des prestations a été, et est toujours une pilule amère pour l’État ivoirien. Les 45 premiers jours d’application de la mesure (mi-avril - début juin 2011) ont coûté plus de 4 milliards de francs CFA au Trésor public. La poursuite de cette politique a également créé des soucis aux responsables de centres de santé publics, qui avaient décidé de transgresser « la loi » de la gratuité. La gratuité ciblée coûte quant à elle 30 milliards de francs CFA à l’État, et les usagers se demandent encore « pourquoi payons-nous pour des soins déjà pris en compte ? Où va cet argent ? ».
Difficultés Les plaintes ne datent pas d’aujourd’hui, mais il est difficile de pointer du doigt un seul coupable. Accusé de détournements de médicaments par les populations, le corps médical se retranche plutôt derrière l’insuffisance en approvisionnement des hôpitaux. Mais il est aussi bon de relever que l’on a constaté des cas d’indiscipline de la part de certains malades, qui passaient dans différents centres de santé pour constituer leur stock de médicaments, qu’ils revendaient par la suite. La politique de gratuité des soins, qui devait permettre aux populations d’avoir accès à des soins de bonne qualité sans participation financière, est parfois perçue comme un calvaire pour les malades et comme un gâchis aussi bien sur le plan humain que financier, à cause du manque de volonté technique observée sur le terrain, explique le Docteur Mamadou Diomandé, médecin, économiste de la santé et du développement. Il est d’ailleurs convaincu que la politique de gratuité des soins a été « sabotée ». « Tout a été mis en œuvre pour qu’elle échoue ». Poursuivant, le Docteur Diomandé révèle que cela a contribué à empêcher l’accès aux soins à un grand nombre de personnes, à cause des tracasseries inutiles, afin de pouvoir bénéficier de la gratuité. Selon lui, cela a favorisé l’inéquité et l`inégalité en santé dans une société où les personnes pauvres ont déjà de très mauvais indicateurs en la matière. D’autres praticiens estiment également que cette politique a occasionné un manque d’attentions particulières envers les femmes, qui sont les soutiens de beaucoup de familles dans notre pays, et favorisé l’injustice et la discrimination entre les malades au niveau d’un même palier de soins de la pyramide sanitaire. Quand cela n’a pas « amené les malades pauvres à « mendier » leur accès aux soins, tout en favorisant des dépenses excessives et imprévues pour les malades. « L’État a décaissé plus de 30 milliards pour les soins d’une catégorie de personnes, mais ces personnes continuent de payer pour les mêmes soins. Cela fait une double facture », reconnaissent certains acteurs. Pour sa part, Donatien Robé est convaincu que « cette stratégie pour servir de politique de transition pouvant évoluer vers la couverture maladie universelle n’est pas la bonne, car elle est plus une option affairiste que sociale. Elle donne, tout comme la précédente politique de gratuité des soins, de mauvais résultats en termes d’indicateurs de santé et d’activités des services médicaux, avec encore trop de gâchis ».
Mal logés « La gratuité ciblée, c’est nous, les agents des structures à base communautaire. Nous sommes les premier contacts », se défend Georges Kamon Meney du SYNASCOMCI. Même s’il salue la politique de gratuité ciblée, il note cependant qu’elle touche directement la population (femmes enceintes et enfants de 0 à 5 ans) dont les consultations constituaient auparavant les principales sources de revenus des centres de santé à base communautaire. Dans la cour de l’hôpital Henriette Konan Bédié d’Abobo, où il nous reçoit, il nous présente les patients que ce centre accueille. « Ce ne sont que des femmes enceintes ou des nourrices et leurs enfants. Les autres préfèrent aller dans un centre hospitalier universitaire (CHU) ». Malheureusement, pour le secrétaire général du corps qui vient de mettre fin à cinq jours de grève, le vendredi 13 mai, ses collègues sont mal logés. « Nos salaires arrivent avec des retards de trois à quatre mois et cela se reproduit chaque année. En 2012, nous avons été obligés de faire une grève de 8 jours avant d’être pris en compte », déplore-t-il, ajoutant que dans un tel environnement, les professionnels de la santé ne peuvent pas donner le meilleur d’eux-mêmes. « La CIE et la SODECI viennent nous enlever les compteurs, les propriétaires de maisons nous mettent la pression. Jusqu’à maintenant nous n’avons pas encore reçu de primes d’ancienneté ». Là où l’on parle parfois de manque de médicaments, de kits d’accouchement absents ou incomplets, de laboratoires d’analyse défaillants, ce spécialiste estime que les choses se sont améliorées. Il note d’ailleurs que « même s’il peut y avoir des ruptures, il appartient aux gestionnaires de centres de santé de savoir optimiser ce qu’ils reçoivent ».
Vers la fin ? « Il est temps de passer à un système contributif moderne, avec des conditions que tout le monde connaîtra. On ne pourra pas pérenniser l’accès aux soins par une politique financée essentiellement par des aides internationales. Si demain ces aides font défaut, que feront les malades ? », s’interroge Donatien Robé. Pour lui, l’État ne peut pas indéfiniment supporter cette gratuité, quand on sait que d’autres charges existent. Il faut donc mettre en place, au plus vite, l’Assurance maladie universelle (AMU), parce que c’est une assurance maladie obligatoire et parce qu’elle a un caractère contributif. « Tant que la gratuité ciblée est un choix provisoire, il est bon. Mais si le provisoire devient définitif, ce sera un mauvais choix », conclut-il. Selon les responsables en charge de l’AMU, celle-ci devrait entrer en vigueur en 2019, après plusieurs reports. La nouvelle fait déjà grincer les dents parmi les populations, mais certains patients pensent qu’il est mieux « de savoir qu’on paye et de payer le juste prix plutôt que de payer là où c’est officiellement gratuit », comme nous a lancé un parent de patient.
Ouakaltio OUATTARA