Avant le coronavirus, le niveau des élèves en Côte d’Ivoire faisait déjà polémique, avec notamment un rapport de la Banque Mondiale paru en 2017. « Mon école à la maison », initié pour pallier la fermeture des écoles et sauver une année scolaire censée être achevée à cette date, fait lui aussi couler beaucoup d’encre et de salive. Les autorités de l’Éducation nationale veulent maintenir les examens de fin d’année, mais les difficultés liées aux technologies de l’information et de la communication (TIC), les mesures sanitaires relatives au Covid-19, l’oisiveté des élèves et la fraude, par-dessus tout, laissent présager d’une mission beaucoup plus périlleuse qu’elle n’en a l’air.
Cela fait plus d’un mois que Michel Bidi, en classe de terminale D au lycée moderne d’Abobo, est à la maison. Comme des millions d’autres élèves du primaire et du secondaire, congédiés pour cause de coronavirus, Michel a très vite déchanté en apprenant que ces congés seraient mis à profit pour achever le programme scolaire. Le slogan, « écoles fermées, cahiers ouverts » l’a tiré de son oisiveté depuis début avril. « Certains disaient qu’avec la situation c’était sûr qu’on allait vers une année blanche. D’autres affirmaient qu’on allait procéder au cumul de nos moyennes, déjà calculé, pour l’admission au baccalauréat. Il y avait beaucoup de rumeurs. Mais rien de tout cela n’était vrai », raconte Michel. Lorsque les autorités lancent le programme, « Mon école à la maison », la première cible ce sont évidemment les élèves en classe d’examen : CM2, BEPC, BAC. Les classes intermédiaires sont censées suivre au fur et à mesure. « C’est à partir de mi-avril que j’ai commencé à suivre les horaires à la RTI (La radiotélévision ivoirienne). Mais c’était difficile de comprendre parce qu’on avait jamais vu ça. En classe, l’enseignant revient sur les explications et on peut lui poser des questions, mais pas à la télévision ou à la radio. Ce qui nous aide surtout, ce sont les cours en ligne. Là, on peut se concentrer », explique l’élève. C’est le 9 avril que les cours en ligne et télévisuels ont démarré à l'intention des élèves en classe d’examen, du lundi au vendredi. Grâce à l’École primaire numérique, le Collège numérique et le Lycée numérique, Ils sont en ligne, exercices en appui. Pour l’instant, il y a pour les terminales D des calculs d’intégrales, des équations à deux inconnues, etc. Toutes les matières sont affichées, avec le ou les cours prévus.
Groupes d’études Mais, quoi qu’on fasse, à entendre Michel Bidi, rien ne vaut l’apprentissage en classe. « C’est pour cela qu’on a décidé de faire des groupes d’études avec des redoublants qui ont déjà fait ces cours », ajoute l’élève. Pour des élèves comme Bema Sissoko, en 3ème au lycée moderne d’Adjamé, le temps consacré aux cours à la télévision n’est pas suffisant. De plus, il ne dispose pas d’ordinateur et son téléphone portable ne peut pas être connecté à Internet. « Mon père me donne de l’argent pour aller consulter les cours dans un cybercafé du quartier ». Aux dires de Bema, la formule n’est pas profitable à tous. « On ne peut pas aller faire les examens en étudiant comme ça. Il faut faire de vrais cours de mise à niveau avec les enseignants, en classe », fait-il savoir. Tout le monde n’a pas la même manière d’appréhender le problème. Mory Diabagaté a décidé d’engager un « maître de maison » pour son fils, en classe de CM2. « Il est vrai que tous les élèves n’auront pas les mêmes chances avec le coronavirus. Les autorités veulent sauver l’année et chaque pays fait avec les moyens dont il dispose. Plutôt que de nous lamenter, il faut aider le gouvernement dans sa tâche. Il faut que nous, parents d’élèves, nous nous impliquions», exhorte ce salarié dans le secteur privé, touché par la crise mais qui préfère sacrifier une partie de son argent pour l’éducation de son fils. Même si tous les parents d’élèves ne sont pas du même avis que lui. « Dans la capitale et les grandes villes, Mon école à la maison peut marcher. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) y sont accessibles. Mais ce n’est pas le cas pour de nombreux élèves à l’intérieur du pays et dans les zones rurales. Il y a des endroits du pays où on ne peut pas avoir accès à Internet, où il n’y a pas d’électricité pour regarder la télévision », souligne Claude Kadio Aka, Président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (OPEECI). Tout comme Mory Diabagaté, le Président de l’OPEECI est néanmoins d’accord que cette année l’implication des parents d’élèves dans la réussite de leurs enfants sera primordiale. « Il faut permettre aux élèves en classe d’examen d’accéder aux programmes à la télévision aux horaires indiqués. Puisque tout le monde est à la maison, il faut faire en sorte que l’élève ne puisse pas être dérangé par ses frères et sœurs. Malgré tout, chaque parent doit trouver soit un maître de maison, soit s’impliquer lui-même pour que l’enfant puisse mieux assimiler les cours », ajoute Claude Kadio Aka.
Propositions Pendant ce temps, que font les enseignants ? Ils observent, ils contextualisent, ils relativisent. « Nous félicitons l’esprit de Mon école à la maison. Ce virus n’a permis à aucun pays de se préparer. Mais, en temps qu’enseignants, nous avons un droit de regard sur ce programme », commence Innocent Koffi, Président de la Coordination des syndicats de la Fonction publique (COSYFOP) et également Secrétaire général de la COORDINATION, un syndicat d’enseignants. Et M. Koffi de poursuivre : « ce que nous observons, c’est que les horaires prévus pour les cours sont insuffisants. Faire un cours de philosophie en 15 ou 30 minutes ne peut pas permettre à un élève de comprendre. Pour les élèves du primaire, nous proposons une heure de plus au programme. En ce qui concerne les élèves du secondaire, un ajout de deux heures serait judicieux ». Ce n’est pas tout. Innocent Koffi pense qu’une ouverture des écoles pour les élèves en classe d’examen leur permettrait d’y participer avec un niveau acceptable. « Si on ouvre les écoles uniquement pour les CM2, 3èmes et Terminales, cela permettra d’observer les gestes barrières contre le coronavirus. Avec un mois de cours de mise à niveau avant les examens, ils pourront aller composer en toute tranquillité », insiste le Président de la Coordination. Une idée que ne cesse de ressasser la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). Depuis la fermeture des écoles, le 16 mars dernier, la faitière explique qu’il n’a jamais été question de faire une année blanche. C’est ce que pense encore aujourd’hui Saint-Clair Allah, alias général Makélélé, Secrétaire général de la FESCI. « Nous avons déjà fait plusieurs déclarations à ce sujet. Avant que les écoles ne soient fermées, les élèves avaient déjà fait deux trimestres. Il n’en reste qu’un seul, alors trouvons le moyen de le faire. On prendra également un mois pour une remise à niveau à l’endroit de tous les élèves avant la reprise des cours », énumère le général Makélélé. Kokounseu Madé Benson, inspecteur pédagogique de formation, va même jusqu’à proposer que les autorités amènent chaque école à achever son programme. L’inspecteur propose aussi d’octroyer une prime d'assistance et d'appui aux différents acteurs impliqués dans ce processus. « En ce qui concerne le secondaire, il faut réduire l'exécution du programme et de la progression aux leçons essentielles dans les disciplines telles que SVT, PC, mathématiques et histoire - géo », fait savoir Kokounseu Madé Benson. Beaucoup d’idées, mais la seule chose sur laquelle tous s’accordent est que cette nouvelle formule fait planer l’incertitude sur les résultats attendus.
Raphaël TANOH