Parc auto : Faut-il lancer la chasse aux pollueurs ?

Depuis maintenant plusieurs années, la question est sur la table : comment lutter contre la pollution des gaz d’échappement ? Avec les nouvelles problématiques mondiales liées au réchauffement climatique, il devient de plus en plus évident que c’est une bataille qu’il faut mener. Et la cible principale, ce sont les véhicules vieillissants.

Arrêtons-nous sur cette image : la benne débordante de ferraille rouillée, un camion de dix tonnes, qui a connu des jours meilleurs, vient d’être immobilisé par des policiers en faction sur l’autoroute du zoo. La fumée noirâtre qui fuse du pot d’échappement est si dense qu’elle a du mal à se dissiper dans l’air. Le policier, qui l’aborde par la portière, ne met pourtant qu’une poignée de secondes pour consulter les papiers du conducteur avant de le laisser partir en direction d’Adjamé, tandis que les piétons qui passent à côté se bouchent le nez. Pour un sujet d’école, si le maître de CP1 avait demandé à ses élèves : « qu’est-ce qui cloche avec ce véhicule ? », ils auraient probablement répondu « tout. Mais surtout, la fumée qu’il dégage ».

La raison pour laquelle il est parvenu à passer le contrôle n’est cependant pas si obscure que cela. Le fait en lui-même est d’une banalité hilarante pour de nombreux usagers. « On en rit et on passe son chemin », explique Ibrahim Diaby, le Président de l'Association des détenteurs de taxis compteurs de Côte d'Ivoire (ADTC-CI). Hélas, aujourd’hui, on rit d’un rire jaune parce que le problème devient national. La mesure du gouvernement de limiter l'âge des véhicules importés en Côte d'Ivoire en est l’un des premiers grands signes. « Il s’agit avant tout de lutter contre la pollution sur toutes ses formes. La pollution de l’air, par les gaz d’échappement des véhicules, conséquence des vieux véhicules mal entretenus, mais aussi celle liée au paysage, avec les carcasses que nous voyons ici et là », explique Samou Diawara, responsable de la Communication au ministère des Transports. En 2017 déjà, le gouvernement prenait un décret relatif à la qualité de l’air, définissant les valeurs limites des polluants ainsi que les dispositions prises pour la surveiller.

Vieux parc auto Depuis plusieurs années, le ministère de l’Environnement et du développement durable initie de son côté des campagnes de sensibilisation sur les dangers que représentent les gaz d’échappement. Et le ministre Seka Seka ne cesse de rappeler les engagements pris par la Côte d’Ivoire lors de la COP 23 en France, en vue de lutter contre le réchauffement climatique. C’est une drôle de guerre que beaucoup ont du mal à comprendre, avec la mondialisation et les questions liées au changement climatique. Mais les chiffres édifient : « près de 30 000 véhicules d’occasion entraient en Côte d’Ivoire par an avant la mesure du gouvernement. Soit 24 000 voitures de deuxième main, pour seulement 3 000 véhicules neufs » révèle Eric Yedoh, Président de l'association des vendeurs de véhicules d'occasion de Côte d'Ivoire. D’après les statistiques de la Société ivoirienne de contrôle technique automobile et industriel (SICTA), 75% des véhicules qui constituent le parc automobile ivoirien ont un âge moyen qui oscille entre 16 et 20 ans. « Notre parc automobile est vieux, c’est indéniable », reconnaît Adama Touré, Président de la Coordination nationale des gares routières de Côte d’Ivoire. « Personne n’a jamais nié cela », poursuit Eric Yedoh. « C’est juste que le problème est mal posé ». Qu’est-ce qui pollue l’air, les véhicules ou le carburant ? « C’est la question qu’il faut se poser aujourd’hui », ajoute M. Yedoh. Pour le ministère des Transports, il n’y a jamais eu de débat : la qualité des véhicules est clairement la cause principale. « C’est la raison d’ailleurs de la mise en vigueur de la mesure sur l’âge limite des véhicules importés », souligne M. Diawara.

Qui pollue ? « C’est une réalité que les véhicules fument beaucoup. La qualité des moteurs est en cause. Les pièces sont de mauvaise qualité, les pièces de rechange sont également de mauvaise qualité. Quand vous ajoutez à cela l’entretien, c’est grave », explique Ibrahim Diaby. Selon une source à la SICTA, moins de 40% des véhicules en Côte d’Ivoire passent leur visite technique. « Impossible de faire la police pour cette structure. C’est le travail de la Police», explique un proche collaborateur du Directeur général de la SICTA. « Les chiffres sont beaucoup plus bas que cela », assène Adama Touré. « Je dirais même que ceux qui font la visite technique en Côte d’Ivoire sont de l’ordre de 30% ». Et, parmi les 30% qui effectuent la visite, précise le transporteur, beaucoup utilise la supercherie. « Le jour de sa visite, si son moteur est de mauvaise qualité, il le remplace ; si les pneus sont vieux, il les remplace. Mais, dès qu’il finit sa visite, il remet les anciennes pièces. Les gens ne font pas leurs visites techniques car, que vous soyez prêts ou pas, vous allez payer de l’argent, des dessous de table. Ce n’est pas juste », regrette M. Diaby. La conséquence, pour Adama Touré, c’est non seulement la pollution dont on parle tant, parce que les moteurs agonisent, mais surtout les accidents et les maladies. D’après le service de Pneumologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody, dans les années 1990, environ 2% des malades hospitalisés étaient atteints de cancer des poumons. Aujourd’hui, ils seraient près de 10 %. Le Pr Bernard Koffi N’Goran, chef de service adjoint, pointe de l’index le tabagisme, mais aussi la pollution de l’air, qui cause aussi la résurgence des crises d’asthme. En Côte d’Ivoire, aujourd’hui, la polémique vient du fait qu’on manque de chiffres concernant la pollution de l’air et ses effets sur la santé, selon les experts. Aucune étude produite pour l’instant. Mais, récemment, dans un entretien accordé au journal Le Monde, Catherine Liousse, chercheuse et coordinatrice du pôle « Pollution de l’air et santé » au sein du projet Dacciwa, a évoqué les émissions en Côte d’Ivoire. En 2030, selon elle, les concentrations atmosphériques dans la ville d’Abidjan seront multipliées par trois. La chercheuse et son équipe ont notamment mesuré le niveau de particules fines dans l’air e la capitale économique et la pollution liée aux particules fines y est très importante, à l’entendre. Les niveaux de concentration sont au-dessus des normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La Pr Véronique Yoboué, qui travaille au Laboratoire de physique de l’atmosphère et de mécanique des fluides de l’Université de Cocody, ajoute que la présence des gaz dans l’air d’Abidjan a été relevée sur une vingtaine de sites. Si les autorités ivoiriennes n’ont pas encore communiqué sur ces résultats, les acteurs, eux, accusent le diesel. « Aujourd’hui, même si nous renouvelons le parc automobile, le même problème va demeurer : la qualité du carburant », insiste Eric Yedoh. « Tant que le diesel sera utilisé, ce sera la même chose. La solution est de faire en sorte que le prix du super baisse. Tout autre chose ne contribuera pas à lutter efficacement contre la pollution », ajoute le président de l'association des vendeurs de véhicules d'occasion de Côte d'Ivoire. Mais, pour le gouvernement, cette question n’est pas encore à l’ordre du jour. La hausse ou la baisse du prix du carburant est lié à un mécanisme automatique lié au marché international. Concernant la qualité du diesel, note une source au ministère des Mines et de l’énergie, pour l’instant aucune étude officielle de ce genre n’a démontré qu’elle n’était pas bonne. « Au niveau des consommateurs, nous avons toujours lié la pollution à l’état des véhicules. Nous nous sommes déjà rendus dans les hôpitaux pour voir des cas de cancers que les médecins ont liés à la fumée des véhicules. Mais avant d’affirmer dire que le diesel en est la cause, nous disons qu’on manque d’études », note Soumahoro Ben N’Faly, Président de la Fédération ivoirienne des consommateurs le Réveil (FICR).

Raphaël TANOH

À LIRE AUSSI

APPELS D'OFFRES
L’Hebdo - édition du 12/12/2024
Voir tous les Hebdos
Edito
Par KODHO

Pour les humains et pour la planète

La 27ème édition de la Conférence annuelle des Nations unies sur le Climat, la COP27, s'est ouverte il y a quelques jours à Sharm El Sheikh, en Égypte. ...


Lire la suite
JDF TV L'actualité en vidéo
Recevez toute l’actualité

Inscrivez-vous à la Newsletter du Journal d'Abidjan et recevez gratuitement toute l’actualité