Ils sont autour de 220 000 à assurer les services de l’administration publique, pour une population d’un million de salariés, dont 780 000 dans le privé. Bouillonnants en 2017, avec notamment la grève historique de janvier, divisés en 2018 et plutôt modérés en 2019, les fonctionnaires veulent faire l’actualité cette année. Deux raisons motivent cela. D’abord, la pandémie à coronavirus, qui s’est signalée en mars sur le sol national. Ensuite, et naturellement, la présidentielle d’octobre prochain. Ce qu’ils veulent ? Plus et encore. Le moment, pensent-ils, est favorable pour qu’une oreille attentive soit accordée à leurs revendications.
À l’Intersyndicale de la Fonction publique de Côte d’Ivoire (IFCI), dans les coulisses, on fait des pieds et des mains pour se faire entendre. Il y a quelques semaines, l’IFCI a adressé des courriers à plusieurs instances de la République. Leur contenu ? La question des factures d’électricité et d’eau délivrées aux Ivoiriens au cours de cette période de Covid-19. « Nous avons demandé au Président de la République que les factures reportées soient annulées, vu la situation économique. Le report des factures signifie juste qu’elles doivent être payées tôt ou tard », explique Jean-Yves Abonga, Président de l’IFCI. Sur cette question, la Plateforme nationale des organisations professionnelle de Côte d’Ivoire a également pris position. « Nous pensons que ces factures doivent être annulées pour tout le monde. C’est notre souhait. Il faut mettre cela au compte de la pandémie et le pays a les moyens de le faire », renchérit Théodore Gnagna Zadi, Président de la structure. Ces deux organisations avaient à elles seules contribué à la réussite de la grève de janvier 2017, qui reste un modèle de levée de boucliers en soi dans l’arène sociale. Pour ceux qui l’ignoreraient, de ces structures est issue une troisième : la Coalition des syndicats du secteur public de Côte d'Ivoire (CSSP-CI). Peut-être la plus acerbe au le front. Une organisation composée de travailleurs déçus, issus de l’IFCI et de la Plateforme nationale, pour lesquels la lutte n’est pas allée à son terme en 2017, d’après son Président, Pacôme Attaby. Non seulement il exige plus de social pendant cette pandémie, mais il veut aussi un audit de la gestion de la Covid-19. « C’est une obligation, car les Ivoiriens voudraient savoir comment tous les milliards annoncés ont été utilisés », se justifie le porte-parole de la CSSP-CI. Lésés ? Non, mais pas assez ménagés. C’est en tout cas la réponse commune de la plupart des fonctionnaires dans ce climat grippé. Et la faitière qui l’exprime le mieux, c’est bien la Confédération des syndicats des fonctionnaires de Côte d'Ivoire (COSYFOCI).
Primes Covid-19 « Chaque corporation a ses réalités. Les inspecteurs de travail sont en première et en dernière ligne dans l’indemnisation des travailleurs de la Covid-19. Nous nous exposons. Il a été dit que les autres travailleurs allaient être pris en compte dans ces primes. Mais il fallait le spécifier. Qui sont ces autres travailleurs ? Les assistants sociaux dans les hôpitaux ne sont pas pris en compte. Les agents du commerce, qui sont aussi sur le terrain pour contrôler les prix, ne sont pas pris en compte », explique Apollinaire Tapé Djédjé, Président de la COSYFOCI. Attribué jusque-là aux personnels de santé et aux forces de l’ordre, les primes de la Covid-19 sont la pierre d’achoppement, l’obstacle sur lequel il faudra éviter de buter. Selon Valentin Koulahi, Secrétaire général du Mouvement des agents pour un système de santé ivoirien performant (MASSIP), ce sont environ 7 000 agents du secteur santé qui ont été omis dans l’attribution des primes. Au terme d’une rencontre, samedi dernier, le MASSIP a convenu d’observer une grève, dont la date n’a pas encore été déterminée. Sortis fraîchement de l’Institut national de formation des agents de santé (INFAS), plusieurs travailleurs, infirmiers comme médecins, affirment avoir été aussi oubliés. « Nous prenons les mêmes risques que les autres personnels de santé. Mais on nous a dit que si nous n’avons pas de prime c’est parce que notre promotion vient de sortir. Quand le virus arrive, il ne ménage pas ceux qui viennent de sortir, il s’attaque à tout le monde », s’insurge Arsène Kouadio, ancien Secrétaire général du syndicat de l’INFAS, aujourd’hui sur le terrain pour crier haro.
Procédures administratives Pour le Dr Guillaume Apkess, Secrétaire général du Syndicat des cadres supérieurs de la santé de Côte d’Ivoire (SYNACASS-CI), c’est un fait qui vient juste d’être porté à leur connaissance. « Nous avons prévu de les rencontrer pour comprendre la situation. Pour l’instant, nous n’en savons pas plus sur les raisons de cette omission », dit avec circonspection le médecin. La tutelle, qui suit cette affaire d’un œil attentif, donne ses raisons. Selon un proche collaborateur du ministre de la Santé et de l’hygiène publique, Dr Aka Aouélé, cette situation est tout à fait compréhensible. « Ce sont des gens qui viennent de sortir de l’INFAS. Ils n’étaient même pas encore en service pour la plupart lorsqu’on parlait de primes Covid-19 attribuées au personnel de santé. Ils sont sortis début avril, alors que les premières primes ont été attribuées fin avril. Je ne vois pas comment est-ce qu’on pouvait les prendre en compte à ce moment-là », explique notre source.
Notre interlocuteur mentionne toutefois que des échanges sont prévus afin de trouver la solution à apporter. « Mais, pour l’instant, il ne s’agit pas d’une erreur ou d’une omission, ce sont des procédures administratives. Ce n’est pas parce que c’est une question d’argent qu’il faut tout survoler », prend-il soin d’ajouter. Dans le lot des fonctionnaires réclamant des primes, d’autres corporations, en embuscade, commencent à grogner. Comme le Syndicat national des enseignants du second degré de Côte d’Ivoire (SYNESCI). « Pour l’instant, ce que nous disons, c’est de travailler. Travaillons, et si les autorités estiment qu’après cela nous méritons des primes, nous en reparlerons », martèle Ekoun Kouassi, le Secrétaire général du SYNESCI.
Ligne de mire Chapeau pour les salaires assurés pendant cette période ! Chapeau pour la distribution des masques de protection aux fonctionnaires ! Sur ces deux points, toutes les faîtières applaudissent les autorités. Les conditions sont réunies pour travailler au bureau, se félicitent-elles. « Mais nos revendications sont toujours là », rappelle Gnagna Zadi. Qui détaille : « le point le plus important, c’est l’instauration d’un 13ème mois pour les fonctionnaires. Ensuite, nous pensons qu’il faut une véritable réflexion sur les salaires. Nous voulons une réforme, avec l’annulation de l’impôt sur salaire et la revalorisation de l’indice référentiel de base ». À 90%, les revendications d’ordre général des fonctionnaires ont été satisfaites, selon Apollinaire Tapé Djédjé. Il s’agit notamment du stock des arriérés, des 150 points, des 100 points. « Mais la question de l’obtention de l’indemnité de logement et de la valorisation de l’indemnité de transport reste à régler », affirme-t-il. Il n’y a pas cause plus unificatrice au sein de la Fonction publique en ce moment que la revalorisation de l’indemnité de logement. Elle est ce que la réforme de la retraite avait été pour les travailleurs en 2017. « Ce sont des questions transversales », souligne M. Tapé. Avant de citer les revendications corporatistes. « À ce niveau, elles ont été plutôt insatisfaites à 90%. Il y a, entre autres, la signature du décret accordant des indemnités spécifiques aux inspecteurs de travail ». La pandémie a pour l’instant gelé les négociations sur ces différents points. Mais l’approche de la présidentielle change la donne, à entendre Théodore Gnagna Zadi. C’est selon lui le moment de donner satisfaction à leurs doléances. « Nous lançons dans ce sens un appel aux candidats à la présidentielle. Les fonctionnaires seront regardants sur le candidat qui va leur offrir le 13ème mois ». 13ème mois d’accord, mais il y a, pour Jean-Yves Abonga, d’autres points de revendication qui ne sont pas moins importants. En attendant, « le syndicaliste est un chasseur patient, qui attend le bon moment pour frapper », rappelle Gnagna Zadi.
Raphaël TANOH