Le dernier mouvement d’humeur des policiers, pour réclamer le remboursement de leurs cotisations de retraite, a étalé devant les Ivoiriens les difficultés que rencontre aujourd’hui le Fonds de prévoyance de la police nationale (FPPN). Si le bien fondé du FPPN n’a jamais été remis en cause, la confiance que les policiers plaçaient en cet instrument en a, quant à elle, pris un sacré coup. Comment l’argent a-t-il disparu des caisses ? Pendant ce temps, les policiers à la retraite ne savent plus à quel saint se vouer, quand ceux qui sont en fonction vivent dans la crainte d’un avenir hypothéqué. Retour sur un phénomène qui est encore loin de connaître son dénouement.
Ils ne portent ni pancartes, ni banderoles. La soixantaine pour la plupart, ce sont des policiers à la retraite qui ont décidé d’investir les alentours du ministère de l’Intérieur au Plateau, le mardi 27 août 2019. Les plus nostalgiques arborent sur leur tête des coiffes à l’effigie de la police nationale. Flanqués de bandoulières pour quelques uns, les visages fermés, ils mènent un sit-in, l’un des plus singuliers de ces dernières années. Un mouvement d’humeur organisé par plusieurs dizaines de policiers à la retraite pour réclamer leur argent, les cotisations issues de leur adhésion à une assurance retraite dénommée Plan épargne plus (PEP) et un fonds d’entraide de fin de carrière, le tout géré par le Fonds de prévoyance de la police nationale (FPPN). Réunis au sein du Collectif des policiers retraités de 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018, ils annoncent près de 2 milliards de francs FCFA comme montant cumulé des fonds dus aux policiers retraités, ainsi qu’à ceux encore en exercice mais qui sont en fin de contrat. Ils sont près de 300 à être concernés. Le général Émile Troh Gondo, Président de la Mutuelle de retraite de la police nationale de Côte d’Ivoire (MUREPOCI) est déterminé à sortir ses camarades de cette impasse. C’est une situation, dit-il, que la MUREPOCI a portée devant les autorités et elle attend qu’elle trouve une solution dans les plus brefs délais. Après la manifestation de 2012, contre le projet Azuréenne de promotion, au cours de laquelle des policiers avaient réclamé leurs cotisations pour avoir souscrit à un projet de logements qui n’a jamais vu le jour, les Ivoiriens n’étaient pas prêts à revoir des flics ou ex flics en colère dans les rues. « C’est une situation regrettable, que la Mutuelle porte aujourd’hui. Nous espérons qu’elle va être bientôt réglée », note le général Émile Troh Gondo.
Missions La vérité ? Eh bien, elle est simple : la situation du Fonds de prévoyance de la police nationale (FPPN) inquiète. En le créant, en juillet 2000, les policiers ont voulu mettre en place une société de secours mutuels et de prévoyance sociale. Un outil censé pallier les insuffisances de l'État de Côte d'Ivoire vis-à-vis de son agent, le policier. C’est pour cela que le fonds assure une couverture médicale à ses adhérents, des allocations de décès et d'invalidité ainsi qu’un plan épargne plus. Ce plan épargne plus (PEP), qui pose problème aujourd’hui, a pour objet d'inculquer, de développer et d'entretenir l'esprit d'épargne chez tous les policiers, afin de leur assurer une retraite agréable. La cotisation mensuelle minimale est de dix mille francs CFA et le maximum acceptable serait la moitié du tiers du salaire de base de chaque policier. La durée minimale du contrat est de trois ans. Dans ses travaux, « Problématique du Fonds de prévoyance de la police nationale », le chercheur Barthélémy Grey Nogbou souligne que le bien fondé du FPPN a surtout été démontré après les problèmes survenus chez les policiers suite à la crise de 2002.
Hélas, la structure va connaître des problèmes, dont les prémices auront été la manifestation de plusieurs centaines de policiers en 2012 pour réclamer les montants de leurs souscriptions à un projet immobilier qui a rencontré d’énormes difficultés.
Problèmes En 2014, la première vague de policiers qui partent à la retraite désire toucher son Plan épargne plus. On les fait patienter. Ceux de 2015, de 2016, puis de 2017 viennent grossir les rangs. « Là, on a véritablement compris que quelque chose clochait », explique un officier à la préfecture de police d’Abidjan. Effectivement, le fonds est quasiment à sec. Où est passé le magot ? Commence alors une intrigue qui durera des années. La grogne monte chez les policiers, qui accusent les responsables du FPPN. Mais, selon un document émanant d’un officier du FPPN, cette grosse mutuelle aurait simplement dérogée à ses principales missions, en assumant un rôle qui n’était pas le sien. En effet, il note que depuis 2002 l’État a demandé au FPPN de préfinancer les soins des agents malades ou blessés dans le cadre de leurs missions ou en service. Un préfinancement qui devait être remboursé par la suite. Problème : cela n’a jamais été fait. « La conséquence, ce sont des milliards de francs CFA que le fonds a enlevé de ses caisses, c’est-à-dire les cotisations des policiers, pour faire ce travail qui devait être celui de l’État. Nos partenaires médicaux, avec lesquels nous avions des contrats, ont cessé leur collaboration. Plusieurs policiers menaçaient depuis 2015 de manifester », rappelle notre source au sein du FPPN. Aujourd’hui, sans financement, le fonds pourrait tout bonnement s’écrouler. Certains partenaires du FPPN, d’après notre informateur, ont engagé des actions en justice contre la grande mutuelle des policiers, qui leur doit de l’argent. À l’entendre, la quasi-totalité des comptes du FPPN a même fait l’objet d’une saisine après des plaintes judiciaires. Plusieurs policiers ont signalé avoir été refoulés dans des hôpitaux parce que le FPPN devait à ses prestataires médicaux. D’après la documentation que nous avons reçue, pour régler ce problème, le FPPN aurait adressé des courriers au chef du gouvernement, dans lesquels il réclame environ 4 milliards FCFA en guise d’apurement des arriérés concernant la prise en charge des policiers blessés en service de 2001 à 2017 ; 1 milliard pour la prise en charge des policiers malades ou blessés pour l’année 2018 et près de 800 000 francs pour la prise en charge des pathologies détectées sur plusieurs milliers de policiers. Ce qui fait environ 6 milliards de francs CFA. « Au vu des textes, il est du devoir de l’État de prendre en charge les prestations médicales des policiers blessés ou malades, en mission ou dans le cadre de leur service. Le FPPN a joué ce rôle jusque-là, à la demande de l’État. Il faut lui venir un aide», signale notre source. Les 6 milliards exigés devraient remettre le FPPN à flot et lui permettre de poursuivre ses missions.
Confiance perdue Après la manifestation des policiers à la retraite, en août dernier, les choses ont évolué, informe un haut cadre du ministère de l’Intérieur. Avant même ces mouvements d’humeur, note-il, l’État s’était déjà penché sur la situation du FPPN. Certaines personnes, à l’entendre, ont simplement voulu faire du zèle. Le fonds sera-t-il remis à flot ? Rien ne filtre à ce niveau. Ce qui est certain, par contre, c’est que la confiance des policiers à l’égard de leur mutuelle, tant chérie auparavant, s’est effritée. Beaucoup exigent un audit du FPPN. Au cours d’une assemblée générale ordinaire tenue le 28 novembre dernier, cette option a été mise sur la table, devant 174 délégués, 15 membres du Conseil d’administration et 3 membres de la Commission de surveillance et de contrôle. « Les gendarmes et les militaires ne connaissent pas de tels problèmes. Quand il s’agit de payer les baux ou de faire des projets immobiliers, ils sont mieux lotis. Il n’y a que chez les policiers que l’on voit ces dysfonctionnements. Même si le fonds rembourse l’argent des retraités, nous, qui sommes encore en service, devons-nous encore avoir confiance en cette structure ? », s’interroge un policier. Question judicieuse!
Raphaël TANOH