Immigrés illégaux ivoiriens : Un piège sans fin

Les inondations n’épargnent plus aucune zone du District d’Abidjan

Phénomène mondial avant tout, l’immigration illégale touche de plein fouet la Côte d’Ivoire. Depuis quelques années, les autorités, en collaboration avec l’Organisation internationale des migrations (OIM), œuvrent pour ramener chez eux les Ivoiriens empêtrés dans cette pratique. Plusieurs retours volontaires ont été organisé un peu plus de 5 000 migrants ont pu regagner le pays. Mais sur place, à la maison, commence, sinon continue, une bataille pour ces jeunes. Celle de sortir d’un piège sans fin pour des conditions de vie meilleures.

Drissa Bamba fait-il souvent ce cauchemar dans lequel il est poursuivi par les esclavagistes libyens alors qu’il tente de traverser le désert ardent ? Dans son rêve, coule-t-il avec son navire rempli d’immigrants africains dépenaillés et entassés, telles des sardines, juste à quelques nautiques des côtes capricieuses de Lampedusa ? Ou parvient-il enfin en Italie ? Cela va faire bientôt deux ans que lui et plusieurs de ses pairs ont été rapatriés en Côte d’Ivoire, après 3 années passés à tenter l’aventure en Europe, sans succès. Ils ont fini par échouer sur les bords de la lagune Ebrié, comme des milliers d’autres ex-migrants avant eux. Recensés par le « Projet d’information et de sensibilisation des jeunes potentiels migrants sur les dangers de la migration irrégulière et la réintégration socio-économique des migrants de retour », aujourd’hui, ce contre quoi lutte Drissa Bamba, c’est la tentation. Celle de reprendre un jour le chemin de l’aventure. C’est aussi ce que veut éviter coûte que coûte le Forum de la société civile de l'Afrique de l'Ouest (FOSCAO), section Côte d’Ivoire, qui a répertorié tous les immigrés rapatriés afin de leur apporter des financements pour qu’ils puissent s’insérer. Et, enfin, c’est la pire crainte de l’Organisation internationale des migrations (OIM), qui fait des pieds et des mains pour ramener ces garçons et ces filles dans leurs pays d’origines. C’est donc grâce au soutien du FOSCAO que Drissa a pu ouvrir un magasin de couture à Anyama, après avoir reçu une formation de l’Agence nationale de formation professionnelle (AGEFOP). Avec lui, Mamadou Fanny, un autre ex-migrant pour lequel le proverbe « la fortune sourit aux audacieux » n’est que pur boniment. Les deux gaillards affirment avoir tout enduré, sans jamais réussir à voir ne serait-ce que la couleur des terres européennes, après trois ans passés à Sebha, une ville située à plus de 600 km de Tripoli, de 2012 à 2015.  

Difficile insertion « À mon retour au pays, je n’avais pas d’argent. Je travaillais pour d’autres personnes pour des miettes », raconte Drissa. Fauché et au fond du trou, il est approché un jour par le FOSCAO. Son atelier est un petit local avec trois machines à coudre. Flanqués de deux apprentis, Fanny et Bamba, qui en ont bavé sur le chemin de l’aventure en Europe, partagent aujourd’hui le nouvel espoir de pouvoir s’insérer. De vivre comme de bons Ivoiriens. Ce ne sont pas des génies de la mode, mais à les entendre, ils ont bien l’intention de faire leur trou dans le métier. La vie, manifestement, vient de leur offrir une seconde chance. Mais elle semble fragile. « Nous savons que beaucoup parmi eux, gagnés par le découragement, repartent à l’aventure. Et c’est notre plus grande crainte », explique Florentine Djiro, Présidente de l'ONG Realic, versée dans la lutte contre la migration clandestine. Selon Mme Dijro, ce sont à ce jour près de 5 000 rapatriés, de potentiels migrants en puissance, qu’il faut avoir permanemment à l’œil. « La plupart n’ont pas de soutien et sont livrés à eux-mêmes. Il faut faire en sorte qu’ils n’aient pas la moindre inhibition dans la réinsertion », ajoute la responsable de Réaltic. Des personnes, d’après elle, qui bénéficient de petits boulots, comme Drissa et Mamadou. Selon elle, ils sont environ 10% les ex-migrants qui reprennent le chemin de l’Europe, à leurs risques et périls. Ben Souleymane Coulibaly n’est que trop bien informé de la situation. En effet, le Président du « Projet d’information et de sensibilisation des jeunes potentiels migrants sur les dangers de la migration irrégulière et la réintégration socio-économique des migrants de retour » est celui-là même qui est chargé de les suivre sur le terrain, après leur insertion, afin d’éviter ce genre de choses. Au niveau d’Anyama, ce sont, dit-il, 17 personnes qui ont bénéficié de projets de réinsertion.

De potentiels récidivistes La couture, le commerce, l’élevage, la mécanique, etc. Sur l’axe menant au quartier Pk 18 d’Abobo, au niveau du quartier Gendarmerie, Amadou Sangaré, un autre ex-migrant qui a passé 5 ans au Maroc, vend des téléphones portables, grâce au FOSCAO et au projet de Ben Souleymane Coulibaly. « À Daloa, l’une des villes les plus touchées par le phénomène, 7 personnes sont en voie d’être réintégrées », explique-t-il. Mais que représente cela devant l’ampleur du phénomène ? s’interroge Florentine Djiro, très critique. « C’est comme une goutte d’eau dans la mer. De plus, on ignore les critères de sélection des personnes qui bénéficient de financements. Aujourd’hui, elles ne sont qu’autour de 900 à en avoir bénéficié, sur près de 5 000. Les autres se débrouillent. Et quand nous les approchons, tout montre qu’ils peuvent à tout moment repartir à l’aventure », souligne-t-elle. L’accompagnement, selon ses dires, n’est pas consistant et n’encourage pas les personnes rapatriées à rester. Pour les quelques ex-migrants qui en bénéficient, l’espoir laisse très vite la place au désenchantement. « Beaucoup abandonnent parce qu’il n’y a pas de suivi », souffle-t-elle.  Mais c’est de moins en moins le cas, assure M. Couibaly. « C’était quelque chose qui arrivait, mais nous avons adjoint aux personnes sélectionnées des encadreurs. Des gens qui les suivent sur le terrain. Ce problème a été résolu ». Le constat général, selon Drissa Soulama, représentant national du FOSCAO, c’est que le problème de l’immigration doit être résolu en amont. L’État, d’après lui, doit prendre à bras-le-corps la question de l’entreprenariat. « Il faut que dès l’école les jeunes soient incités à entreprendre. C’est une condition sine qua non pour lutter contre l’immigration clandestine et le chômage », propose-t-il. Parce que le financement apporté pour l’insertion des ex-migrants ne sera jamais conséquent. C’est aussi l’avis de l’ONG Réaltic. «Il n’y a pas de véritable budget au niveau de l’État pour financer l’insertion des ex-migrants. Ce sont les partenaires qui occupent ce vide », signale la présidente de la structure. Mais, devant la menace, les autorités ivoiriennes s’activent elles aussi. Il y a deux mois, le ministre de la Promotion de la jeunesse et de l’emploi des jeunes lançait le projet « Appuyer les capacités locales pour gérer efficacement la migration, à travers des initiatives communautaires en Côte d’Ivoire (SEMICI) ». Bien sûr, en collaboration avec l’OIM. Pour le ministre Mamadou Touré, il s’agit avant tout d’offrir des alternatives à la migration « irrégulière », par la promotion et la facilitation de l’accès aux opportunités économiques locales pour les jeunes issus des quartiers défavorables de la ville d’Abidjan et à Daloa. Il veut impliquer directement les communautés, les micro-entrepreneurs, les leaders communautaires et les membres de la diaspora ivoirienne dans la promotion et le développement des opportunités socio-économiques locales. Le projet est destiné aux jeunes, hommes et femmes confondus, dont l’âge varie entre 18 et 35 ans. Si Mamadou Touré affirme qu’à « travers ce projet, ce sont les actions du gouvernement dans la lutte contre l’immigration irrégulière qui sont en cours de consolidation », la vérité est qu’il tarde aux Ivoiriens que la mayonnaise prenne et que le discours laisse la place aux actions. Parce que les chiffres de l’OIM font froid dans le dos. Selon les statistiques de la structure, il y aurait environ 14 500 migrants se déclarant Ivoiriens en situation irrégulière en Libye, sur 704 142 migrants recensés toutes nationalités confondues. Des chiffres de janvier et février 2018. Pour la Côte d’Ivoire, près de 5 000 migrants sont rentrés au pays dans le cadre du projet de réinsertion. Seuls 935 parmi eux sont à date insérés.

Raphaël TANOH

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