Une journée de grève des minicars, communément appelés « Gbakas », et c’est la galère pour de nombreux Abidjanais, dont les déplacements dépendent entièrement de ce type de transport. Avec de moins en moins en conflits avec les policiers depuis la fin de la crise, on pourrait dire qu’ils ont ouvert « d’autres fronts », celui des querelles interminables avec leurs clients et celui des accidents spectaculaires. Premier moyen de déplacement dans la capitale économique, Abidjan, avec des prix qui varient en fonction de l’affluence et des heures, ils sont incontournables. Et ce malgré le fait que leur environnement soit marqué par de nombreux désagréments, allant de la bousculade à l’insécurité, en passant par le non-respect des destinations...
Selon les chiffres de l’Institut national de la statistique (INS), les minicars, communément appelés « Gbakas » représentent le moyen de transport le plus utilisé, avec 22% des déplacements quotidiens dans le district d’Abidjan. Les gbakas représentent beaucoup en termes de déplacements dans les communes populaires d’Abobo (18,9%), Adjamé (22,2%), Attécoubé (10,4%), Yopougon (14,8%), Anyama (14,3%), Bingerville (24,3%) et Songon (15,3%). Au nombre d’environ 8 000, ils assurent le transport quotidien de plus 2,2 millions d’Abidjanais. Avec une population estimée à 5 000 000 d’habitants et un taux de croissance démographique annuel moyen de 3%, la ville est caractérisée par un déséquilibre entre une forte demande en matière de transport et une offre limitée. L’adaptation de cette offre à la demande, afin de garantir au mieux la liberté de choix du mode de transport, est encore un vaste chantier qui tarde à voir le jour. Alors que l’INS estime que près de 70% des individus de 6 ans et plus se déplacent par jour, soit un peu plus de 3,1 millions de personnes, pour un nombre de voyages journaliers de 5 084 165, les grands projets, comme le train urbain, et une exploitation optimale du plan d’eau lagunaire avancent à pas de caméléon.
Anarchie et violence C’est peu de dire que les gbakas évoluent dans un environnement sans règles ni lois. Une sorte de jungle dans laquelle chauffeurs, apprentis et syndicalistes (Gnambro) prospèrent dans le désagrément des usagers. L’assassinat d’un apprenti par un « gnambro », le 8 novembre dernier, pour un différend portant sur la somme de 50 francs CFA a ému les Abidjanais, mais pas ceux qui évoluent dans cet univers violent. Le cas est loin d’être isolé et, en général, ces meurtres restent sans suite. C’est que, dans ce milieu, les gnambro imposent une sorte d’omerta et échappent au contrôle des autorités policières et judiciaires. « Plusieurs apprentis gbaka ont perdu la vie dans des circonstances troubles après des conflits avec les gnambro. Malheureusement, ces derniers ne sont jamais poursuivis et, parfois, la famille du défunt préfère laisser tomber l’affaire par peur des représailles », nous confie un gendarme en fonction au camp d’Agban, qui s’explique difficilement cette puissance des gnambro dans le transport abidjanais. La réponse, selon Adama Bamba, chauffeur de gbaka est pourtant simple. « Sans gnambro, nous ne pouvons pas rouler. Ce sont eux qui créent les gares et ils sont l’interface entre les chauffeurs et la police », lance-t-il, en précisant que quand ils ne sont pas de service apprentis et chauffeurs « deviennent gnambro ». Dans ce véritable labyrinthe, le désordre est profitable. Régnant en maitres absolus, ce sont eux qui, en fonction de l’affluence des usagers, font grimper les enchères, faisant passer les prix des trajets du simple au double, au triple parfois. Des hausses qui n’empêchent pas pour autant les bousculades aux heures de pointe, entrainant des vols et des bagarres. Prendre un gbaka à Abidjan, c’est être presque sûr que le conducteur n’atteindra pas sa destination, obligeant les passagers à faire appel à un autre véhicule pour couvrir le reste de la distance ou, le cas échéant, à continuer à pied. « Nous n’avons pas le choix. Non-respect des distances à parcourir, problème de monnaie à la descente et, par-dessus tout, injures des apprentis sont notre quotidien. Sans avocats, nous sommes livrés à nous-mêmes », lance, désarmée, Dame Aminata Koné, qui n’espère pas en des lendemains meilleurs dans le secteur des transports abidjanais. À cette amertume et aux galères, il faut ajouter le non-respect du Code de la route. Rouler en sens inverse, prise d’excitants, conduite sur les trottoirs, etc. tout y passe, pourvu que le chauffeur puisse « faire sa recette journalière », avec tous les risques d’accidents que cela peut entrainer.
Décisions foulées aux pieds En janvier 2015, la Police nationale, alors dirigée par le général Brédou Mbia, en collaboration avec les principales organisations du secteur du transport urbain, rendait publique une décision d’interdiction de circulation des gbakas et taxis intercommunaux, appelés wôrô wôrô, sur certains axes dans le district d’Abidjan. La circulation sur les trois ponts et les boulevards Valéry Giscard d’Estaing, Mitterrand (route de Bingerville), de Gaulle, des Martyrs, Latrille était règlementée par cette décision. Plus de deux ans après, cette mesure n’a jamais connu de début d’exécution, sans répression des contrevenants ou sensibilisation des acteurs. « Cette situation contribue à aggraver les embouteillages à Cocody et sur le VGE, entre Marcory et Port-bouët. Même les interventions de l’unité de la police pour la régulation de la circulation (URC) sont parfois inefficaces et on fait appel aux gendarmes », explique l’officier de gendarmerie. Il révèle par ailleurs que les gbakas sont impliqués dans plus de deux accidents sur cinq dans la ville d’Abidjan. « Ils n’ont, pour la plupart, pas de bonne assurance auto, roulent parfois sans permis de conduire et il est fréquent de voir un chauffeur prendre la fuite après un accident », renchérit-il. « Il y a par moment des opérations inopinées de la police sur les axes concernés par l’interdiction », se défend un policier en service à la préfecture de police du Plateau. Sur le terrain, le constat est tout autre. « Il faut se rendre compte qu’à l’évidence ces gbakas rendent d’énormes services aux populations les moins nanties, qui doivent parcourir de grandes distances. Il faudrait plutôt les encadrer que de leur interdire certains axes », finit-il par soutenir, en regrettant le fait qu’aucune auto régulation n’existe chez les transporteurs.
Épaves roulantes Parfois sans plaque d’immatriculation, ni phare, les gbakas sont des tombeaux roulants. Lacina Sylla, mécanicien de son état, en sait quelque chose. Pour lui, dont l’expertise est souvent sollicitée dans le montage de certains gbakas au sein de la ferraille d’Abobo, « ces véhicules rencontrent de sérieux problèmes mécaniques ». Des phares qui tiennent parfois grâce à un fil de fer, le bitume visible sous les pieds des passagers, des tableaux de bord n’existant que de nom et, enfin, des freins qui ne marchent presque jamais, avec des pneus pour la plupart lisses. Voici ce qui caractérise la majorité des gbakas qui circulent dans le district d’Abidjan. « Nous sommes en mesure de dire que 80% des réparations relèvent du bricolage, parce que les transporteurs ne supportent pas que leur véhicules passent plus de 48 heures au garage. Pour eux, une fois que le moteur tourne, le reste est entre les mains de Dieu », confesse-t-il, l’air amusé. Mais chauffeurs et propriétaires se rejettent mutuellement la faute, les premiers accusant les seconds de n’avoir d’yeux que pour leur argent et les seconds accusant les chauffeurs d’inventer certaines pannes pour ne pas faire correctement leur travail et de mettre en danger la vie des passagers. Des passagers ulcérés par cette situation, mais qui n’ont pas le choix. Leur prière quotidienne ? Tomber sur un gbaka bien entretenu, un chauffeur prudent et un apprenti courtois. Un triptyque qui n’existe quasiment pas.
Ouakaltio OUATTARA