Comme dans tous les pays, la question des droits de l’Homme fait toujours couler beaucoup d’encre et de salive en Côte d’Ivoire. Le dernier rapport d’Amnesty International, qui est essentiellement basé sur les violences avant, pendant et après l’élection présidentielle, a été démenti par le gouvernement. Lorsqu’elles veulent s’exprimer, les déclarations des organisations de défense des droits de l’Homme souffrent très souvent d’interprétations hasardeuses. Ce qui rend l’appréciation de la situation dans notre pays difficile. Si le droit à l’éducation et aux services sociaux de base est plutôt bien respecté, des efforts restent à faire dans de nombreux domaines. Notamment en matière de droits civils et politiques, dans un contexte où les bases de la démocratie sont très souvent mis à mal.
La Secrétaire d’État chargée des droits de l’Homme n’a pas aimé le dernier rapport d’Amnesty International, publié le 16 novembre 2020 dernier. Là où l’ONG internationale de défense des droits de l’Homme voit quelques violations en matière de protection de ces droits, Aimée Zebeyou souligne les nombreux efforts du gouvernement. Et dénonce « la singulière partialité dont est empreint le communiqué d’Amnesty International ».
Mais quelle est la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire et à quels indicateurs se fier pour mieux la jauger ? On le sait, les droits de l’Homme sont les droits et libertés fondamentaux qui appartiennent à chaque personne dans le monde, de la naissance à la mort. Notamment le droit d’avoir et d’exprimer vos propres opinions, le droit à l’éducation, le droit à une vie privée et familiale, le droit de ne pas être maltraité ou puni à tort par l’État…
Si les principes de base font parfois l’objet d’interprétations, dans notre pays la question est encore plus sensible à cause du contexte sociopolitique. Willy Alexandre Neth, le Président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO), dépeint une situation relativement satisfaisante. Avant de mettre un bémol : « les efforts qui restent à faire sont plus importants que ceux qui ont été déjà faits ». Le contexte électoral qui a suivi celui de la Covid-19, à l’entendre, n’a pas embelli le tableau. « Pendant le couvre-feu notamment, les forces de l’ordre ont été obligées de forcer certains citoyens au respect des consignes. Mais, pour faire respecter ces consignes, on a vu qu’elles ont porté atteinte à l’intégrité physique de certaines personnes. Dans aucun texte au monde on ne vous demande de faire respecter un couvre-feu en usant de sanctions corporelles », regrette-t-il.
À ces faits, l’Observatoire Ivoirien des droits de l'homme (OIDH) ajoute les détentions qui ont eu lieu pendant les périodes électorale et postélectorale. « Ceci est loin d'être une bonne publicité pour l'image de la démocratie en Côte d'Ivoire que d'avoir des activistes des droits de l'Homme emprisonnés, malgré l'adoption d'une loi, en 2014, pour reconnaître et protéger l'activité des défenseurs des droits humains », signale la structure.
Protection Denis Yoraubat, Président de l’Action pour la protection des droits de l'homme (APDH), estime qu’il faut contextualiser la situation en Côte d’Ivoire. Il y a eu des dizaines de personnes tuées depuis l’élection du 31 octobre, des centaines de blessés lors d’affrontements, des arrestations, etc. Mais ces faits entrent dans le cadre de la désobéissance civile et de l’élection présidentielle. « Les organisations de défense des droits de l’Homme, notamment l’APDH, ont toujours appelé les acteurs politiques à éviter les violences. Chaque fois que les élections approchent, malheureusement, ce sont les mêmes choses que nous voyons », argumente-t-il. Mais, à la LIDHO, ce qu’on retient c’est que l’État n’a pas été capable de garantir la sécurité de tout le monde. « Ce contexte a permis de très graves violations et atteintes aux droits humains. On espère que les autorités vont enquêter là-dessus », signale Willy Alexandre Neth.
Toutefois, d’après le leader d’opinion, le jugement de sa structure est basé sur un fait notable : « la Côte d’Ivoire a signé de nombreux accords relatifs aux droits de l’Homme et en la matière le pays a un véritable arsenal juridique. Là où il y a des efforts à faire, c’est dans la mise en œuvre. La dernière décision de l’État, qui a été de retirer la compétence qui permettait aux ONG et aux individus de saisir la Cour africaines des droits de l’Homme, a été vue par une certaine opinion comme un recul dans la lutte pour la défense des droits humains. On parle d’un État de droit lorsqu’il a la possibilité pour le citoyen, pour les individus, pour les ONG, d’avoir le plus d’accès possible à la justice », dépeint-il. Avant d’ajouter : « c’est la tache qui va assombrir le 10 décembre de cette année ».
Sur certaines questions, la Secrétaire d’État chargée des droits de l’Homme a recadré les faits qu’on lui reproche. Il n’y a eu, selon Aimée Zebeyou, aucune arrestation arbitraire dans le cadre de la présidentielle. « En l’espèce, les personnes concernées ont été arrêtées et sont poursuivies pour des faits constituant des infractions prévues et punies par la loi pénale, de sorte que les privations de liberté critiquées reposent sur une base légale irréfutable », signale Mme Zebeyou. Qui explique que la détérioration de la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire a été « la conséquence directe de l’appel à la désobéissance civile et au boycott actif lancé par des responsables de partis et groupements politiques dont les militants se sont livrés à des actes d’une extrême gravité, caractérisant tout à la fois de graves violations des droits de l’Homme et des infractions à la loi pénale parmi les plus graves ».
Désinformation C’est toujours la faute de l’État. Mais quel rôle jouent les organisations de défense des droits de l’Homme dans le processus ? L’OIDH, par exemple, affirme avoir mené des actions de terrain avant les élections. Parmi ces actions, un projet de lutte contre la désinformation en ligne en période électorale. Il s’agissait, d’après la structure, d’atténuer les effets des fausses informations sur le processus électoral de 2020. Si l’organisation affirme également avoir joué un rôle d’observateur pendant les élections, c’est surtout sur la sensibilisation et la formation qu’elle insiste.
Au niveau de la LIDHO, en plus du travail de sensibilisation et de formation, la structure signale qu’elle mène des enquêtes de terrain. « Nous avons fait une déclaration où nous avons décidé de nous porter partie civile s’il y avait des violations des droits de l’Homme. Après les violences électorales, nous menons nos enquêtes de terrain, avec l’aide d’autres structures de défense des droits de l’Homme, pour comprendre ce qui s’est passé », explique Willy Alexandre Neth.
Mais la situation de ces organisations n’est guère différente de celle des autres ONG, qui manquent de moyens. Satigui Koné, Président de la Fédération des ONG de développement de Côte d’Ivoire (FEDOCI), et également Président de l'Union africaine des ONG de développement (UOAD), insiste sur l’autonomie financière des ONG en Côte d’Ivoire afin de mieux mener leurs missions. Et, pour cela, selon M. Koné, il y a des dispositions dans la Constitution qui autorisent le financement de ces structures par l’État. C’est ce travail qui doit être fait en priorité.
Quand il y aura des structures fortes et entièrement autonomes dans la lutte pour la défense de droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, les pouvoirs exerceront leurs mandats avec le dos de la cuillère. Mais les droits de l’Homme sont pour l’instant un idéal vers lequel le monde entier tente d’aller. Pire, le regard tourné surtout vers les droits civiques et politiques semble étrangler les droits sociaux, économiques, culturels et éducatifs.
Raphaël TANOH