Après la vague des congrès extraordinaires organisés par chaque membre du RHDP, les regards sont tournés vers le PDCI, qui annonce un bureau politique le 17 juin prochain afin de se prononcer sur sa perception de l’avenir de cette alliance. Profondément divisé à l’interne sur la question, les cadres du plus ancien parti ivoirien ne se font presque plus de cadeaux, en privé comme en public, dans une atmosphère où certains d’entre eux, quand ils ne perdent pas un poste, perdent certains privilèges. Preuve d’une véritable tension avec l’allié principal, le RDR. Une technique déjà utilisée par le gouvernement à la veille des élections législatives et qui refait surface alors que l’alliance s’apprête à aller unie aux élections locales mais se fâche sur l’avenir commun. Les intérêts divergent et le fait que le Président Alassane Ouattara n’écarte plus une possible candidature en 2020 en ajoute aux incertitudes.
Le top départ avait été donné par le Mouvement des forces d’avenir (MFA), le 25 mars dernier. Alors que le Rassemblement des républicains (RDR), qui porte à bras le corps le projet de RHDP unifié, était confiant sur le fait que les autres partis allaient lui emboiter le pas, le « non » de l’Union pour la paix en Côte d’Ivoire (UPCI), le 28 avril, soit un mois plus tard, avait été considéré comme une douche froide. Le 29 avril, le vote par acclamation des délégués du Parti ivoirien des travailleurs (PIT) avait redonné de l’espoir au RDR, qui s’est prononcé à son tour le 5 mai, sans grande surprise. Les regards et la pression sont depuis tournés vers le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qui souffle le chaud et le froid. Les dissensions larvées entre les cadres du parti n’ont pas tardé à éclater au grand jour, mettant d’un côté des défenseurs farouches du RHDP unifié et de l’autre ceux qui pensent qu’il faut d’abord traiter la question de l’alternance en 2020 en faveur du PDCI avant tout projet d’unification. Le « non » de l’UPCI a d’ailleurs apporté de l’eau au moulin de ces derniers. Face à cette « crise ouverte entre alliés », les Présidents Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié avait jugé nécessaire de se rencontrer afin de dissiper un certain nombre de points, notamment la question de l’alternance, celle de l’avenir du RHDP et celle de la collaboration dans la gouvernance des affaires du pays. Cela n’a pas pour autant faire baisser la température.
Grosses victimes L’avenir du RHDP ne se fera pas sans grosses victimes. La liste au sein du PDCI s’allonge dans les rangs de ceux qui ont affiché leur réticence vis-à-vis du parti unifié. Entre autre Gnamien N’goran, ex Inspecteur général (IGE), remplacé par un proche du Vice-président Daniel Kablan Duncan, Théophile Ahoua N’doli, favorable à l’unification de tous les partis. Son directeur de cabinet, Robert Niamkey Koffi, considéré comme l’un des cerveaux hostiles au parti unifié, a été démis en mai de son poste et relégué au grade d’inspecteur. Il a perdu dans la foulée des privilèges, dont les gardes du corps. Des sources proches du PDCI lui attribuent la paternité d’un groupe d’intellectuels connu sous le nom de « Phoenix PDCI » qui multipliait depuis mars 2018 les textes argumentés contre le parti unifié. Le Secrétaire exécutif Maurice Kacou Guikahué, après une série de passe d’armes avec le porte-parole du PDCI, le ministre Adjoumani Kobenan Kouassi, s’est vu retirer sa garde rapprochée. Si, pour l’heure, aucune explication officielle n’a été donnée, ses proches y voient une tentative d’intimidation. Mais d’autres notent plutôt que « les gendarmes de sa garde lui avaient été affectés à l’époque où il était Président du directoire du RHDP. Il ne l’est plus, cela peut justifier ce retrait ». Mais la période et le timing laissent planer le doute. Bien avant lui, Jean-Louis Billon, ex ministre du Commerce et chargé de la propagande du PDCI, avait adopté une position très critique à l’encontre du gouvernement. Il a été suspendu par la suite de son poste de Président de conseil régional, obtenu sous la bannière RHDP. « Après la vague de limogeages qui avait frappé les proches de Guillaume Soro et les sanctions contre Gnamien Konan et Mabri Toikeusse, est-ce le tour des anti-RHDP ? » s’interrogent certains observateurs de la scène politique ivoirienne.
Pressions Le Président Alassane Ouattara a donné le ton lors du congrès de son parti. « Le prochain gouvernement se fera avec les partis qui adhèrent au parti unifié ». Le sien lui a emboité le pas dans le choix de ses probables candidats aux prochaines élections locales. « Si une personnalité d’un parti qui ne s’est pas encore prononcé en faveur du RHDP négocie pour figurer sur la liste et obtenir un poste de vice-président du conseil régional ou d’adjoint au maire, elle devra animer une conférence de presse et se prononcer publiquement en faveur du RHDP », prévient la Secrétaire générale du RDR, Kandia Camara. Menace ou simple mesure de précaution ? Si elle dit être convaincue que le PDCI rejoindra le RDR et les autres partis de l’alliance, certains cadres RDR, peu optimistes, pensent plutôt à un plan B. Celui de rallier un maximum de cadres du PDCI à la cause du RHDP, avec ou sans l’appareil de ce parti. Et les ministres PDCI, avec à leur tête le Vice-président Daniel Kablan Duncan jouent bien le jeu. Il faut leur ajouter le Président du Sénat, Jeannot Ahoussou Kouadio, qui, selon des sources proches, s’est clairement opposé à un groupe parlementaire PDCI au sein de cette chambre, comme le réclamait Maurice Kacou Guikahué. « Les débats seront houleux le 17 juin au bureau politique du PDCI, car il s’agira essentiellement du parti unifié, de l’accord politique signé le 16 avril par les présidents des partis membres du RHDP et de l’analyse des statuts et règlement intérieur du futur parti », prévient un proche de Guikahué. « Allons-nous privilégier l’alternance avant le parti unifié ? Les débats seront-ils francs et directs ? » s’interroge-t-il, estimant que l’annonce d’un futur remaniement, le retard dans la nomination des sénateurs et les élections locales, où le fait de concourir en RHDP a été acté, pourraient quelque peu biaiser les débats.
Bédié en arbitre Replié à Daoukro, Henri Konan Bédié observe les débats entre ses poulains sans les désavouer publiquement, alors que les deux camps prétendent « suivre la voie » qu’il trace. Il est convaincu que sa voix pèse encore lourdement dans son parti, où chacun évite de ramer à contre-courant de ses décisions. En fin tacticien, il reçoit et écoute beaucoup, sans faire connaitre sa position. « Plusieurs cadres attendent qu’il sonne la fin de la récréation, après avoir cherché en vain l’orientation dans son silence », confie l’un de ses visiteurs assidus. Mais, pour ce dernier, Henri Konan Bédié ne compte pas mettre de côté la question de l’alternance et cela pourrait déterminer la trajectoire du débat. « La base attend beaucoup sur ce point », poursuit notre informateur. Même si le Président Ouattara soutient n’avoir « rien promis à Bédié », lui a promis à ses partisans une alternance à leur profit en 2020. Pour les observateurs, même si le PDCI ne décide pas d’une position claire et définitive lors de ce bureau politique, il est presque inimaginable de le voir décider de mettre fin à son alliance avec le RDR pour occuper un poste de choix au sein de l’opposition. Mais, au regard de l’actualité politique, cette piste n’est pas totalement à écarter. « Même si ce sera difficile de fédérer toute l’opposition autour du PDCI, ce parti peut compter sur les laissés pour compte et autres frustrés de la gouvernance Ouattara pour rejoindre une formation qui offre une alternance crédible face aux atermoiements de l’opposition actuelle », prévient le politologue Firmin Kouakou.
Ouakaltio OUATTARA