Long de plus de 500 Km, le plan d’eau lagunaire d’Abidjan, n’avait jamais suscité autant de convoitises. Face à cet espace longtemps sous exploité, l’État de Côte d’Ivoire a décidé, en février 2015, de mettre fin au monopole de la Société des transports abidjanais (SOTRA) et d’approuver deux conventions de concessions de services publics par bateaux bus à deux opérateurs privés. La société de transport lagunaire (STL) et la Compagnie ivoirienne des transports (CITRANS). Deux ans plus tard, elles lancent leurs activités et espèrent s’imposer comme leader, aux dépens de la SOTRA, longtemps concurrencée par les pinasses. Les débuts sont difficiles mais l’avenir reste prometteur car plus de 250 000 Abidjanais se déplacent par jour par voie lagunaire. De quoi inciter les nouveaux venus à accroitre leur flotte. De l’autre côté, la SOTRA et les pinasses, ne semblent pas véritablement inquiétées, car évoluant dans un secteur où il y a encore de la place.
Quand l’État de Côte d’Ivoire décide de mettre fin au monopole de la Société des transports abidjanais (SOTRA), notamment sur le segment « tronçon lagunaire » en février 2015, il est conscient que la structure étatique a montré ses limites. Les longues files d’attente aux heures de pointe, de même que les embouteillages de la ville d’Abidjan finissent par convaincre plus d’un qu’il faut d’autres options de transport. Deux opérateurs économiques ayant leurs entrées au palais présidentiel et bien connus dans le monde des affaires à Abidjan y voient une belle opportunité. Adama Bictogo, ancien ministre de l’Intégration africaine et Zoumana Bakayoko, ex-député de la commune du Plateau et frère aîné du ministre d’État, ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, saisissent l’opportunité. La société de transport lagunaire (STL), filiale du groupe SNEDAI (Société nationale d’édition de documents administratifs) et la Compagnie ivoirienne de transport lagunaire (CITRANS) voient le jour. C’est que selon le Bureau d’études technique et de développement (BNETD), la population abidjanaise qui utilise la voie lagunaire est estimée à plus de 250 000 personnes par jour, alors que la SOTRA n’en transporte qu’à peine 50 000, avec une trentaine de bateaux. Le marché est donc large, d’autant que les pinasses n’arrivent pas à combler le vide. Ces nouvelles compagnies devraient ainsi, au-delà du business, soulager les populations et le gouvernement, qui cherche encore la solution idoine pour décongestionner les axes routiers d’Abidjan.
Deux poids lourds La concurrence semble forte entre ces deux structures privées en quête de parts de marché. Même les noms des bateaux sont révélateurs. Kong (ville natale du Président de la république) ou encore Daoukro (ville natale de Bédié) pour STL, et Lady Dominique, du nom de la première dame pour CITRANS, tout semble avoir été choisi à dessein. Mais la STL, qui a jeté ses bateaux à l’eau en mars dernier, enregistre une longueur d’avance sur son concurrent, qui devrait démarrer ses activités à la veille des Jeux de la Francophonie. « Nous avons 16 bateaux déjà en fonction sur deux lignes et si les débuts ont été difficiles, nous pouvons être heureux de compter à ce jour 5 000 passagers par jour », se réjouit Ali Diarrassouba, directeur de la communication du groupe SNEDAI. D’ici deux ans, la compagnie compte atteindre 100 000 voyageurs par jour, soit plus du tiers du marché potentiel, et se positionner comme leader du transport lagunaire. Cette compagnie qui vient de recevoir son bateau VIP baptisé « Lysa », le 16 juillet, espère rapidement porter sa flotte à 45 bateaux pour un coût total de 45 milliards de francs CFA. De quoi dépasser son concurrent direct qui, pour un investissement de 13,5 milliards compte d’ici 2020 acquérir 23 bateaux et transporter environ 80 000 personnes par jour. La CITRANS, dont la principale gare sera logée à quelques encablures du quai partagé par la SOTRA et STL, a déjà fait parader son bateau VIP, histoire de faire rêver ses potentiels clients avant le lancement effectif de ses navires d’origine sud-africaine, allant de 70 à 240 places. « Nos bateaux sont africains, faciles à manœuvrer, conçus pour combattre les salades d’eau douce et les problèmes de pollution de la lagune Ébrié », explique à son tour Michel Soro, directeur des opérations et des moyens généraux chez CITRANS. Selon lui, sa structure devrait couvrir un espace plus large avec les zones d’Abata à Cocody, de Bingerville ou encore les communes de Songon et le port de Vridi à partir du Plateau, ou d’Abobodoumé à Attécoubé. Elle devrait ainsi prendre une avance sur la STL qui attend ses nouveaux bateaux avant de s’engager sur ces tronçons. « Nous ne voulons pas nous lancer sur des lignes où nous seront débordés », rassure Ali Diarrassouba.
Espace insuffisant Même si le plan d’eau lagunaire reste sous exploité, il n’en demeure pas moins que les compagnies disposent de très peu d’espaces pour construire des gares. Ainsi, la CITRANS, STL et la SOTRA devraient, sans grande difficulté, pouvoir se partager les mêmes quais de départ et d’arrivée. Au niveau du ministère des Transports, le service en charge de la régulation du transport lagunaire soutient avoir opté pour une flexibilité pour les citoyens afin qu’ils puissent, sur le même quai, non seulement avoir le choix entre ces différentes compagnies pour l’embarquement, mais être sûrs d’être déposés le plus près possible de leur destination finale. La SOTRA et la STL qui expérimentent déjà ce système, commencent à s’en accommoder. Reste à savoir si à la longue ce système pourra tenir quand la concurrence sera de plus en plus forte. Une chose reste cependant certaine. Les façades lagunaires du Plateau, de Treichville et d’Abobodoumé, qui concentrent l’essentiel du trafic, offrent peu de place pour la construction de nouvelles gares. Ainsi, en dehors de la SOTRA qui a des gares sur ces trois façades, STL a choisi de construire sa principale gare sur la façade de Treichville quand la CITRANS a dû prendre un espace sur celle du Plateau. Pour la suite, notamment les lignes de Bingerville, de Koumassi et de Vridi, non encore exploitée par la Sotra, les deux compagnies privées devraient sortir le chéquier pour construire de nouvelles gares. Cotés prix, point de concurrence déloyale, les trois compagnies modernes affichent les mêmes tarifs, 200 francs CFA pour les voyageurs ordinaires, alors que les places VIP coûtent 500 francs CFA.
Fin des pinasses ? Malgré tout cet arsenal déployé par les nouveaux venus, la SOTRA n’envisage pas se lancer dans le mouvement de concurrence et compte sur sa solide et longue expérience. À raison d’ailleurs, car elle peut encore compter sur une potentielle clientèle composée essentiellement d’élèves et d’étudiants, ces derniers bénéficiant de cartes de bus mensuelles subventionnées par l’État. L’inquiétude devrait plutôt venir des propriétaires des embarcations de fortune, les pinasses. Joseph Gnanzoublé, président des « pinassiers » de la gare d’Abobodoumé en est conscient. « Entre nos pinasses et ces bateaux modernes, le choix est vite fait », concède-t-il. Mais il reste convaincu que les pinasses ont encore de beaux jours devant elles. Cette conviction il la tient du fait que depuis plus de dix ans qu’il s’est lancé dans le métier, il n’a pas souvenance d’avoir entendu qu’une de ces embarcations de fortune ait chaviré. Un détail qui, pense-t-il, ne devrait pas échapper à tous les clients car certains continueront de leur faire confiance. À cela, ajoute-t-il, la traversée par pinasse coûte 150 francs CFA, soit 50 francs de moins que les bateaux modernes et donc à portée du plus grand nombre. Pour lui, à la longue, les propriétaires de pinasses devraient songer à s’adapter à la nouvelle donne, ou à défaut améliorer le confort de leurs embarcations. Côté sécurité, il se veut rassurant. « Nos bateaux disposent de bouées de sauvetages, sont en règle avec l’administration maritime et nous disposons de permis de circulation et d’une assurance », lance-t-il. Autant d’atouts qui, selon lui, devraient ramener sur terre les sociétés de bateaux modernes.
Ouakaltio OUATTARA