Le système de santé ivoirien est en pleine mutation. Tandis que le personnel soignant appelle ardemment une véritable révolution sanitaire, le gouvernement est sur le point d’engager des réformes qui auront des incidences sur la qualité des prestations au sein des hôpitaux. Et, pour l’un comme pour l’autre, le coût des soins demeure l’élément primordial. Partagé entre humanisation et efficacité et rentabilité et charité, le système sanitaire ivoirien est aujourd’hui à la croisée des chemins. D’un côté, l’avènement de la très attendue Couverture maladie universelle (CMU) n’est plus qu’une question de jours. De l’autre, la nouvelle réforme hospitalière est quasiment au stade d’application.
Pour les autorités, le personnel soignant et les Ivoiriens, la préoccupation est majeure : peut-on garder l’actuelle structure des soins dans les hôpitaux publics tout en prônant un système de santé révolutionnaire ? « Aujourd’hui, ce sont les faits qui comptent. Ce que nous voyons tous les jours. Les coûts actuels dans nos hôpitaux ne sont pas réalistes », dépeint un Vazoumana Sylla très affirmatif. Le Secrétaire général du Syndicat national des préparateurs et gestionnaires en pharmacie de Côte d'Ivoire (SYNAPGPCI) se veut explicite : « ils sont trop bas au vu des dépenses ». Ce qui n’est pas tout à fait l’avis de certains Ivoiriens, à l’instar de Ben N’Faly Soumahoro, Président de la Fédération ivoirienne des consommateurs Le Réveil (FICR). « Ce que nous voyons nous fait dire que les tarifs que les patients payent dans les hôpitaux sont justes », réfute celui qui se veut le porte-parole du citoyen lambda. On le sait, les consultations traduisent le visage d’un hôpital en ce qui concerne le panier de soins offert. Dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU), par exemple, la consultation revient à 2 500 francs CFA pour les généralistes, 3 500 francs si le patient est face à un spécialiste et 5 000 s’il s’agit d’un Professeur. Dans les hôpitaux généraux, c’est 500 francs CFA pour le médecin généraliste et 1 000 pour les spécialistes. « Comparé aux tarifs pratiqués dans les cliniques privées, qui varient de 15 000 à 25 000 francs CFA, nous disons qu’il y a un peu trop de social », charge Boko Kouao, porte-parole de la Coordination des syndicats du secteur santé (Coordisanté). Au niveau des hospitalisations, les tarifs vont de 2 500 à 5000 F dans les CHU et les hôpitaux généraux, d’après Vazoumana Sylla. 5 000 francs étant selon lui le coût d’une chambre avec toutes les commodités.
Trop bas ? Depuis plusieurs années, le gouvernement a fait en sorte que la femme enceinte accouche sans payer le moindre centime. « L’accouchement est entièrement gratuit », confirme Louan Néé Abinan, Secrétaire générale adjointe du Syndicat des sages-femmes de Côte d'Ivoire (SYSAFCI). Lorsqu’un malade arrive dans un hôpital général ou dans un CHU, il paie sa consultation selon les tarifs indiqués. « Le médecin ou le spécialiste qui le reçoit lui prescrit une ordonnance. Le malade se rend ensuite dans une pharmacie publique. Si c’est un paludisme, il ne payera pas un kopeck. Si c’est un pédiatre qui l’a reçu, il ne payera rien également », énumère Vazoumana Sylla. À cette gratuité il faut ajouter, selon lui, les médicaments de paludisme et ceux de pédiatrie, lorsque le patient se rend dans une pharmacie publique pour se les procurer. « La Couverture maladie universelle n’est pas encore appliquée. Mais les tarifs qu’on propose déjà ne sont pas réalistes. Pour qu’un hôpital fonctionne correctement, il faut un minimum. Et quand la CMU arrivera, le patient ne payera que 30% de ce qu’on lui demandera. Qui s’occupera du manque à gagner ? », s’interroge Boko Kouao. « À moins de subventionner le système, il faut une revalorisation des coûts des prestations », affirme Vazoumana Sylla « On dit à la population qu’on ne se soigne pas gratuitement à l’hôpital, mais c’est difficile », mentionne Mme Abinan. Une situation qui n’est pas sans conséquences, selon les acteurs du système sanitaire. Commençons par les accouchements, qui sont censés être entièrement gratuits. « Je vous épargnerai les détails, mais la vérité est que lorsqu’une femme arrive pour accoucher il y a une liste de médicaments qu’on lui prescrit. Ces médicaments ne sont gratuits que si ses parents parviennent à les trouver dans une pharmacie publique. Mais, le plus souvent, c’est dehors qu’on va les acheter, dans une pharmacie privée », explique Louan Néé Abinan. Ce qui engendre nécessairement des coûts. « Pour la césarienne, c’est également la gratuité qui est appliquée. Sauf que les kits de césarienne ne sont pas complets. Quand c’est ainsi, c’est la femme enceinte qui paye pour compléter. Ce n’est pas l’hôpital. Là aussi, c’est un coût », poursuit la Secrétaire générale adjointe du SYSAFCI.
Quid du personnel ? Pendant les consultations prénatales également il y des soucis. « C’est une étape où l’on ne doit pas payer un sou. Le bilan prénatal n’est pas payant. Sauf que la moitié des choses dont on a besoin pour faire les examens manquent. Par exemple, la sérologie rubéole (Ndlr : la rubéole est une maladie causée par un virus qui se transmet par contacts directs ou respiratoires), qui coûte à elle seule 4 000 francs lorsque vous allez la faire dehors. Tous les examens relatifs à la santé de l’enfant sont chers, et en général ce sont ces examens qu’on n’arrive pas à faire dans nos hôpitaux publics, parce que le matériel manque », ajoute Mme Abinan. En fin de compte, à l’entendre, la gratuité devient chère à cause du manque d’approvisionnement des pharmacies publiques et aussi de la défectuosité du plateau technique. Ce problème se rencontre dans presque toute la chaîne sanitaire, à entendre Boko Kouao. « En fin de compte, la charité crée des problèmes quand il s’agit de santé. Nous avons grandement besoin de moderniser nos plateaux techniques. C’est indispensable si l’on veut parvenir à mettre en œuvre toutes nos politiques de santé », insiste-t-il. Mais pour Marius Comoé, Président de la Fédération des associations de consommateurs actifs de Côte d'Ivoire (FACA - CI), la seule chose qui mine le système, c’est le racket et la mauvaise foi du personnel soignant. « Quand j’arrive au CHU, je prends mon ticket à la caisse 1 000 francs CFA et je file me faire consulter. Je me dis que jusque-là tout va bien. Mais c’est après que les choses se compliquent », explique-t-il. Et c’est également ce que pense Ben N’Faly Soumahoro. Les médicaments censés être donnés gratuitement aux patients sont vendus, d’après lui. « La plupart des médecins travaillent aujourd’hui dans des cliniques. Ils font tout pour décourager les malades qui viennent dans les hôpitaux publics et ensuite ils les invitent dans leurs cliniques privées. C’est du business aujourd’hui », relate M. Soumahoro. Si ça ne fonctionne pas, pour lui, ce n’est pas à cause des coûts pratiqués, mais plutôt du refus du personnel d’accompagner les efforts du gouvernement.
Uniformisation De toute façon, signale Dr Guillaume Esso Akpess, Secrétaire général du Syndicat national des cadres supérieurs de la santé (SYNACASS - CI), augmenter aujourd’hui le coût des soins ne sera pas chose simple. « Il reviendra au ministre de la Santé de nous dire si oui ou non les prix vont augmenter. Ce que nous savons, c’est que les tarifs seront uniformisés au sein des structures, par un arrêté interministériel, avec la réforme hospitalière », explique le médecin. Pour lui, il existe des lois internationales qui demandent une participation des malades aux soins. Et, avec la réforme hospitalière, nul doute qu’il faudra s’asseoir un jour pour aborder la question, ajoute le Docteur Esso. Mais, sur le sujet, le gouvernement est prudent. « Nous contrôlons la qualité des soins, mais aussi l’humanisation des soins en Côte d’Ivoire », rappelait récemment Dr Albert Edi Ossohou, Directeur de la Médecine hospitalière et de proximité au ministère de la Santé et de l’hygiène publique. La seule augmentation qu’il y ait eu ces dernières années, selon lui, a été celle des frais de consultations dans les cliniques privées. Et c’était normal, parce que cela a tenu compte des tarifs de consultations officielles, en vigueur depuis 1998. Pour l’heure, selon les autorités, la question n’est pas à l’ordre du jour.
Raphaël Tanoh