Déchirés dès les premières heures de sa disparition, les héritiers de Félix Houphouët Boigny tentent depuis douze ans de sauver ce qu’il reste de cet héritage et de le perpétuer. Mais, 24 ans après, le père fondateur de la Côte d’Ivoire n’a pas quitté l’espace politique, adversaires d’hier et partenaires d’aujourd’hui se réclamant de son idéologie, fondée sur ses idéaux de paix. Regroupés dans l’Houphouëtisme, les membres de la coalition au pouvoir essaient de recoller les morceaux. Difficilement d’ailleurs, mais ils gardent l’espoir d’un avenir solide, fondé sur les enseignements du premier Président de la Côte d’Ivoire. Sauvegarde et consolidation de certains acquis côtoient pourtant la peine de certains nostalgiques qui, au-delà de l’héritage politique, souhaitent la sauvegarde de certaines réalisations.
Ce 7 décembre 2017 marque la commémoration du vingt-quatrième anniversaire du décès du Père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, Félix Houphouët-Boigny. 24 années riches en soubresauts jamais connus durant les 33 ans de règne de ce dernier, qui incarne toujours l’image forte de l’unité nationale mise à rudes épreuves depuis 1993, date de son décès. D’abord entre héritiers, puis entre héritiers et contempteurs. Aujourd’hui, tous ou presque sont nostalgiques de cette période où l’unité nationale était un vécu quotidien. Une époque lointaine, dont la réalité contraste avec celle d’aujourd’hui, où tous les sujets, même les plus anodins, opposent les Ivoiriens, les catégorisant autour des leaders politiques. Près d’un quart de siècle au cours duquel les Ivoiriens, comme l’avait prédit « Féfal », n’ont « apprécié le vrai bonheur qu’après l’avoir perdu. » Félix Houphouët Boigny a ainsi, par le dialogue « réussi à éviter à la Côte d’Ivoire le tourbillon de coups d’États, de désordre, qu’il y avait autour de lui dans tous les pays d’Afrique. Il le disait lui-même : il ne voulait pas être une oasis de paix dans un désert de palabres », insiste le député Félix Anoblé, qui rappelle cette phrase chère au Sage de Yamoussoukro, « vous risquez de me chercher en pleine journée une torche à la main ». Cherchant la paix aujourd’hui avec « des radars et des projecteurs en pleine journée », il croit que les héritiers n’avaient « pas beaucoup écouté ses enseignements ».
Héritage effrité ? Un an après sa disparition, la bataille pour la succession de Houphouët Boigny entre Henri Konan Bédié, Président de l’Assemblée nationale à l’époque et Alassane Ouattara, alors Premier ministre, faisait éclater le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), avant que celui-ci ne perde le pouvoir en 1999, frappé par un coup d’État dirigé officiellement par le Général Robert Guei, qui revendiquait également son appartenance à la filiation Houphouët Boigny. Une passerelle qui permettra au premier opposant à Houphouët Boigny, Laurent Gbagbo, d’accéder à la magistrature suprême en 2000. Ce dernier se proclame à son tour héritier d’Houphouët mais verra, en 2005, à la faveur de nombreux accords, sortir de l’ombre les « houphouëtistes de la première heure », selon l’expression de Laurent Dona Fologo, pour se remettre ensemble. Taxé au départ de contre-alliance par certains, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la paix et la démocratie (RHDP) qui comptabilise 12 ans d’existence, reste de loin l’alliance politique la plus ancienne de l’Afrique de l’ouest, et même au-delà. Une longévité qui a fait dire à celui qui a été Secrétaire général du PDCI durant 10 ans (1990 - 2000) que « les héritiers politiques d’Houphouët gèrent bien l’héritage et ont une vision claire de l’Houphouëtisme. C’est-à-dire un pays de paix, d’amour, de cohésion, d’unité, de prospérité et de développement. Tout ce qui est entrepris aujourd’hui va dans ce sens ». Nostalgique, il regrette tout de même l’abandon de l’idée de la construction d’un mausolée à Abidjan en l’honneur d’Houphouët et le non transfert de la capitale politique dans les faits à Yamoussoukro. « La vision d’Houphouët était de faire comme Washington par rapport à New York, ou Rio de Janeiro par rapport à Brasilia et Lagos, la capitale économique, et Abuja la capitale politique du Nigeria », se souvient encore, du haut de ses 78 ans, celui qui est resté auprès d’Houphouët de 1964 à 1993, soit 29 ans de service, quelque peu outré de voir Yamoussoukro en ruine.
Une relève difficile ? Que vont léguer les Présidents Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara à leur postérité ? « Ils savent ce qu’il faut faire pour mener le bateau à bon port. Ils ont su se mettre au-dessus des choses difficiles. Ce n’est pas au soir de leurs vies qu’ils vont chercher à faire autre chose », tranche Émile Ebrottié, membre du Bureau politique, inspecteur du PDCI et membre du cabinet du Président Bédié. Mais, à observer de près la marche politique du RHDP, partagé entre ceux qui estiment que « 2020 est encore trop loin pour parler d’héritage » et ceux qui pensent plutôt que « 2020, c’est demain, il faut mener le débat maintenant », le fossé est toujours grand. Tous les « fils et les petits-fils » ne regardent pas dans la même direction. À raison d’ailleurs, car ils n’ont pas été abreuvés à la même source de l’idéologie du RHDP. Contenant difficilement les ambitions de leurs proches, les Présidents Bédié et Ouattara, que ces questions fâchent, tentent de sauver les meubles, afin de s’assurer qu’après eux le pays ne sombrera pas dans la violence, dans laquelle leurs incompréhensions les avaient conduit. « Ils manient bien la carotte et le bâton », commente un observateur de la vie politique.
Des chocs à venir Mais les deux grands alliés de la famille houphouëtiste que sont le PDCI et le RDR savent qu’ils ont encore du chemin à parcourir dans leur volonté de passer le flambeau à une autre génération. C’est qu’au-delà des ambitions des principaux animateurs de la classe politique, ils font de moins en moins allusion à Houphouët. Appelant sous cape à construire de nouveaux modèles politiques, tenant plus compte des réalités actuelles, loin de celles du parti unique et de la lutte pour les indépendances, « ces derniers souhaitent rompre ce cordon ombilical », commente le politologue Hubert Kré. « Les leaders politiques dont l’âge varie entre 25 ans et 40 ans n’ont pas forcement pour référent politique Félix Houphouët Boigny. Ils se reconnaissent en Bédié, en Ouattara, en Gbagbo, ou migrent de plus en plus vers de nouvelles visions, véhiculées par d’autres leaders », soutient-il. Mais, rétorque Félix Anoblé, « il nous appartient, nous de la jeune génération, de mettre tout en œuvre afin de réussir à faire en sorte que l’entente retrouvée entre héritiers ne se brise pas. Il y va de la stabilité, non pas des héritiers d’Houphouët, mais de toute la Côte d’Ivoire ». Un optimisme partagé par Laurent Dona Fologo. « J’ai reçu un groupe d’étudiants dont l’âge moyen est de 26 ans et qui n’ont pas connu Houphouët. Ils ont créé, sans aucune pression, une association dénommée « Houphouët nous parle », afin que l’œuvre et les valeurs que celui-ci nous a inculquées ne meurent pas », indique-t-il, tout en précisant « qu’il n’y a pas d’inquiétudes à se faire pour la suite. Je suis sûr que tous les jeunes Ivoiriens feront tout pour suivre le chemin tracé par Houphouët et que le Président Ouattara est en train de suivre. »
Ouakaltio OUATTARA