La date d’expiration des cartes d’identité nationales approche inexorablement. Établies pour la plupart en 2009, plus de 80% expireront en 2019. La situation met à nouveau l’Office national d’identification (ONI) sous les projecteurs et celle-ci capte l’attention des Ivoiriens. Mais l’ONI est encore en ce moment en chantier…
En 2019, de nouvelles cartes nationales d’identité (CNI) devront être disponibles pour environ 7 millions d’Ivoiriens. À cette date, ils voudront détenir un document produit non seulement dans les temps mais aussi dans la transparence, parce que la présidentielle pointe à l’horizon. Enfin, en 2019, l’État n’a pas du tout envie que des gens qui ne les méritent pas détiennent des cartes d’identité dites « sécurisées ». L’Office national d’identification (ONI), organe au cœur de toutes ces exigences, devra montrer plus que de la maturité. Et la structure y travaille, sans relâche. Le 6 décembre dernier, son Directeur général, Diakalidia Konaté, annonçait la production d’environ un million de cartes rien qu’au premier semestre 2019. L’office vient de récupérer son matériel de production, qui avait été endommagé par les dernières pluies diluviennes. Et la maison doit encore lutter contre la fraude. « La question de l’identité a toujours été au centre des problèmes. D’où le regard assez particulier sur leur production, surtout en cette période sensible. Il faudra avant tout combattre la fraude et produire des cartes d’identité dans la transparence», insiste Me Yacouba Doumbia, Président du Mouvement ivoirien des droits de l’homme (MIDH).
La fraude L’ONI n’a jamais nié les cas de fraude. La structure les a même classés en plusieurs catégories. D’abord, les « doublons biométriques ». Ce sont, expliquent les services de l’ONI, des dossiers correspondant à des données formulaires différentes et dont les empreintes et la photo sont similaires. « Cela constitue assurément un cas de fraude à l'identité. Une même personne ne pouvant se prévaloir légalement de deux ou plusieurs identités », clarifie le directeur général de l’ONI. Viennent ensuite les « doublons alphanumériques ». C'est le cas de personnes différentes ayant utilisé les mêmes extraits d'actes de naissance pour se faire enrôler. Et ces cas sont légion. Enfin, vous avez les « doublons parfaits », qui concernent plusieurs enrôlements du pétitionnaire sans changement d'information. En lieu et place d'une demande de duplicata, ce dernier a réintroduit une demande initiale. En 2017, 31 faussaires ont été épinglés par les services de Diakalidia Konaté. « 90% des personnes entendues, confrontées à leurs fiches d'identité dans la base de données, avouent avoir modifié leurs identités. Pour ce qui est des motivations à cette pratique, 90 % des personnes auditionnées disent l'avoir fait pour des raisons scolaires ou parce que leur âge réel ne leur permettait plus de présenter un concours ou même d'avoir accès au marché de l'emploi. À celles-là, il convient d'ajouter les dirigeants des clubs de football, qui usent de ce stratagème pour minorer l'âge de leurs joueurs afin de leur permettre de tenter une aventure professionnelle en Europe. Les personnes engagées dans un problème de succession sont également concernées par la récupération de leur identité initiale ou par le souci de faire coïncider leur identité avec celle de leur géniteur », expliquent les services de Diakalidia Konaté. Pour l’office, ces diverses catégories de personnes se retrouvent finalement en situation de doublons, de sorte que l'identité qu'elles revendiquent entre en conflit avec celle existant dans la base de données. Dès lors, la structure ne peut produire les CNI litigieuses, à moins que le pétitionnaire ne recoure à une décision de justice pour corriger et uniformiser son identité. « 60 dossiers ont connu une instruction judiciaire. À cet effet, le Service des investigations et du contentieux (SIC) a permis l'interpellation de 46 personnes, déférées devant le parquet », note un document de l’ONI. En 2017, ce sont au total 60 dossiers de fraude à l’identité qui ont été instruits. Les faussaires reconnus coupables ont écopé d’une peine allant de six mois à un an de prison. Mi-2018 déjà, l’ONI dénombrait près de 100 000 doublons. La structure a en outre reconnu que certains cas de fraude se matérialisaient par des extorsions de fonds, le racket dans les centres d’enrôlement et la production de faux documents administratifs.
Réformer et moderniser Par ailleurs, une de ses équipes a effectué récemment une mission dans les localités de Bangolo, Danané et Mahapleu. « Il s'agissait de vérifier l'authenticité des extraits d'actes de naissance ayant servi à établir des attestations d'identité et des certificats de nationalité de deux individus de race blanche se disant Ivoiriens vivant en Italie, qui sollicitaient des CNI. Il en est résulté que l'ensemble des documents produits étaient faux », fait savoir l’ONI. Outre ces missions, des enquêtes en vue d'élucider des cas de présomption de falsification de quittances, voire de production frauduleuse de CNI au sein même du personnel de l'ONI, sont également ouvertes. « Au niveau des actes de naissances, nous attendons pour parler de fraude. Mais il n’y a jamais de preuves. Je crois que la seule manière de lutter contre la falsification des actes de naissance aujourd’hui est la dématérialisation et la sensibilisation », explique l’adjoint au maire de Treichville, Jean-Roger Boto. Pour contrer tout cela, l’ONI s’est lancé dans des réformes. Notamment le projet de modernisation de son état-civil, qui entre dans le cadre du Registre national des personnes physiques (RNPP). « C’est un système d’information plus intégré que le système de gestion de l’identité. Celui-là prend en compte le système d’état-civil, le système de gestion des flux migratoires, le système de gestion des identités de l’ensemble des personnes. Le RNPP n’est pas encore en place, mais le cadre juridique est prêt », assure le directeur général de l’ONI. Pour Jean-Yves Meless Essis, directeur de l’état-civil et de l’identification à l’ONI, cette modernisation va se conjuguer avec l'informatisation et la dématérialisation de tout le système. « Ceci facilitera la vie aux populations, notamment par la réduction des distances à parcourir pour faire la déclaration d'un fait d'état-civil ou pour obtenir un extrait d'acte d'état-civil », explique-t-il. C’est un projet portant sur les nouveaux mécanismes de déclaration des naissances et de décès dans les délais. « Nouveaux mécanismes parce qu'il y a de nouveaux acteurs qui interviennent dans le processus. Il s'agit des points de collectes communautaires, installés dans les villages, qui procèdent à la collecte des informations dans ces villages et les campements environnants », poursuit M. Meless Essis. Autant de stratégies pour non seulement lutter contre la fraude, mais aussi raccourcir les délais de production. Les changements prévus ne viennent en aucun cas chambouler le système déjà existant. « On ne peut pas éteindre la fraude. Tant qu’il y aura des gens pour corrompre, elle sera difficile à enrayer », reprend Me Yacouba Doumbia, Président du MIDH. Si les réformes sont salutaires, elles inquiètent également. La plus récente est l’annonce de la production de nouvelles cartes nationales d’identité dès la fin du premier semestre 2019. Elles viendront remplacer celles que détiennent actuellement les Ivoiriens et qui expirent à compter de juin 2019. La caractéristique principale de cette nouvelle CNI, c’est qu’elle sera au format CEDEAO, avec un numéro national d’identification unique. « Le directeur nous a expliqué que ce sont les mêmes documents qu’on exigera des Ivoiriens. La carte CEDEAO est une demande sous-régionale », fait remarquer Ben N’Faly Soumahoro, Président de la Fédération ivoirienne des consommateurs le Réveil (FICR). La production de la carte CEDEAO coûtera 460 milliards de francs CFA sur la période 2017 - 2027. Elle s’inscrit dans le cadre du renforcement de la gouvernance administrative et sécuritaire de la Côte d’Ivoire. Mais cela fait beaucoup de choses à expérimenter, selon Me Doumbia, alors qu’un rendez-vous important attend les Ivoiriens dans quelques mois. 2019 ? Il n’y a pas de souçis à se faire, à entendre le patron de l’ONI. « Toutes les données des Ivoiriens figurent dans la base de données. En 2019, nous procéderons simplement à la mise à jour de votre portrait », affirme-t-il, assurant que les changements n’excluront personne.
Raphaël TANOH