Issiaka KONATÉ : « Lutter contre les causes profondes »

Issiaka Konaté, directeur général des Ivoiriens de l’extérieur, espère mobiliser tous les acteurs contre l’immigration clandestine

Début mars, l'Ambassade d’Italie à Abidjan publiait des chiffres plaçant la Côte d’Ivoire au troisième rang des pays africains pourvoyeurs de migrants clandestins, après la Guinée et le Nigéria. Contestation des autorités ivoiriennes qui pensent que ces chiffres, non croisés avec les leurs, ne doivent pas mettre au second plan les efforts déployés pour endiguer ce fléau. Dans cette interview accordée à JDA, le directeur général des Ivoiriens de l’extérieur, Issiaka Konaté, énumère les actions menées par le gouvernement, la collaboration avec les services d’immigration, et évoquent les vastes réseaux nébuleux qui appâtent les candidats à la migration clandestine.

Journal d’Abidjan : Monsieur le directeur, vous rentrez au pays avec 151 Ivoiriens qui avaient échoué en Libye. Ce n’est pas une première. Comment ce type d’opérations se déroulent-t-elles généralement ?

Issiaka Konaté : Nous voudrions préciser, d’entrée de jeu, que nous n’étions pas dans l’avion qui a ramené ces candidats au départ à l’étranger. C’est un avion affrété par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). C’est une procédure assez complexe qui se déroule généralement par le truchement de nos représentations diplomatiques dans les pays concernés. Ceux-ci, une fois saisis de cas précis, remontent l’information au gouvernement à travers  le ministre Aly Coulibaly, qui introduit une communication en Conseil des ministres pour avoir l'accord de procéder à la mise en œuvre de ce genre d’opération. Car il y a toute une étape sécuritaire qui doit être observée entre les partenaires internationaux et les ambassades de Côte d’Ivoire dans les pays concernés. Il faut saluer le travail accompli par notre ambassadeur en Libye, Mokoudou Thiam, qui bien que délocalisé en Tunisie, fait un travail incroyable pour garantir le retour en toute sécurité de nos compatriotes.

Quelle est la situation des Ivoiriens dans le flux global de l’immigration clandestine ?

C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Sans soulever de polémique sur les chiffres, tout le monde sait que le principe de la migration irrégulière est un principe très complexe qui peut conduire à détruire les documents d’identité pour bénéficier d’un statut particulier dans le pays d’accueil. Nous ne sommes pas dans le jugement, mais nous savons que c’est un phénomène qui concerne notre pays. Les Italiens ont fait état de l’arrivée de plus de 11 000 personnes  présumées ivoiriennes sur les côtes de leur pays jusqu’au 23 novembre dernier, et 871 personnes jusqu’au mois de janvier 2017. Mais nous disons bien « présumés ivoiriens », car c’est un contexte dans lequel il est difficile, à chaque fois, de déterminer la nationalité. La nationalité est prouvée par une preuve légale de l’appartenance à un pays. À ce titre, la couleur, le nom et l’accent ne déterminent pas forcément la nationalité ! La Côte d’Ivoire a aussi envoyé une mission d’évaluation en Italie, dont le rapport nous édifiera et permettra d’adapter le dispositif inclusif que nous essayons de consolider. Nous sommes dans une logique d’un partenariat pour préserver des vies innocentes. Parce que nous pensons que la résolution de la crise migratoire va se faire avec une très bonne collaboration et des échanges réguliers entre tous les acteurs. La Côte d’Ivoire est un pays qui a fait montre de toute sa disponibilité à collaborer avec tous ses partenaires internationaux dans la recherche de solutions durables. Il faut lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière et cela n’est pas possible sans une collaboration étroite entre tous les partenaires. Notre bonne foi est intacte !

Les Ivoiriens qui reviennent sont-ils pris en charge ?

Bien sûr, mais la valeur des appuis ou le niveau des appuis dépend du programme à partir duquel le retour a été organisé. Mais, si le retour est en urgence et sans programme spécifique, il y a tout de même un appui symbolique du gouvernement pour regagner leurs familles. À côté de cela, il y a des programmes de retour avec l’OIM, avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), ou encore avec l’OIM Maroc, etc. Chacun de ces programmes vise une réintégration rapide du migrant de retour, notamment dans le cadre de l’évacuation humanitaire. Et tous ces différents projets visent à réinstaller ces migrants dans le tissu social une fois de retour, avec possibilité de suivi. Ceci étant, nous n’avons jamais été en faveur de la hiérarchisation de la souffrance. Il faut éviter de catégoriser la souffrance en créant des priorités dangereuses. La solidarité emprunte d’humanisme doit être perceptible sans tomber dans le jugement ni dans la création de précédents dangereux. Il faut juste faire un bon équilibre dans tout ce qui se passe. Mais nous voudrions proposer que notre dispositif soit mieux coordonné et toujours plus inclusif. J’ai toujours estimé, et c’est le cas de le dire, que l’expatriation est volontaire. On décide de partir de son pays et nos échecs ou nos réussites nous appartiennent. C’est ainsi. Il y a des Ivoiriens qui se sont retrouvés en situation d’extrême détresse dans certains pays, et ont souhaité que l’État les aide au retour. C’est ce qui a été fait. C’est un acte d’une haute portée humaniste qui montre l’intérêt que notre pays porte à ses ressortissants, peu importe leur statut social. Ceci est à l’actif du chef de l’État, dont l’humanisme n’est plus à démontrer. L’État a déjà beaucoup fait sur ce plan. Il est donc important que ces personnes, une fois revenues, rejoignent le dispositif national de prise en charge déjà en place pour éviter de créer des précédents. Mais comme nous l’avons dit, tout dépend du programme de retour.

Malgré toutes vos campagnes de sensibilisation, le nombre de migrants semble augmenter. N’avez-vous pas l’impression de prêcher dans le vide ?

Non, nous ne croyons pas que le nombre de candidats augmente forcément, ou qu’on prêche dans le désert. D’abord, le principe de sensibilisation est complexe et trouve son efficacité dans la persistance ou dans la durée ! Regardez un peu les campagnes de sensibilisation contre le SIDA, qui se mènent depuis des années et qui se poursuivent des décennies plus tard, jusqu’en 2017. La sensibilisation est un long processus. L’autre point, c’est qu’au moment où vous faites la sensibilisation, vous vous adressez à des cibles qui sont déjà identifiées localement. On estimait à près 200 000 subsahariens les personnes positionnées en Libye et qui pour beaucoup d’entre elles y travaillaient régulièrement. Donc, la sensibilisation ne touche pas ces personnes qui y sont déjà parties, et qui en fonction des possibilités ou des difficultés rencontrées dans le pays de transit vont chercher à traverser la méditerranée ou à retourner au pays. Nous pensons qu’il y a une véritable prise de conscience sur la question migratoire en Côte d’Ivoire. Il n’y pas un jour qui passe sans qu’on en parle, et plusieurs ONG s’y intéressent de nos jours. Ce n’est pas fortuit ! Et la sensibilisation aura permis, au moins, cette prise de conscience. À Daloa par exemple, après la sensibilisation, il y a eu plusieurs projets en faveur des jeunes de cette ville, en plus du prix d’excellence reçu du Chef de l’État, nous sommes allés les soutenir le 29 mars lors du lancement de l’un de ces projets.  Nous pensons qu’il y a  une prise en compte très importante de la question migratoire à travers tous les ministères concernés dans notre pays, à commencer par le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, celui de l’Intégration et des Ivoiriens de l’extérieur, et celui des Affaires étrangères. Cela m’amène à remercier la Fondation allemande Friedrich Naumann, qui a été la seule organisation européenne, jusqu’à cette année, à soutenir avec des moyens très modestes cette sensibilisation. Elle est notre partenaire incontournable dans la sensibilisation. Nous nous félicitons aussi de l’implication actuelle de l’Union européenne et de notre partenariat avec l’OIM, qui monte en puissance. Nous  n’oublierons pas le Centre international pour les politiques migratoires (ICPMD) qui se joint aussi à nous.

Nous allons intensifier et diversifier la sensibilisation comme instruit par le Ministre Aly Coulibaly, et proposer des solutions qui ont bien marché dans d’autres pays. On peut aussi créer des comités régionaux de sensibilisation dans toutes les régions, ce qui fera 31 comités pour prendre le relais et poursuivre la sensibilisation. Nous aurons aussi un film qui colle à l’expérience ivoirienne en suivant des parcours de nos compatriotes. Nous sommes sur la bonne voie.

 Existe-t-il un dispositif policier à nos frontières pour endiguer ce phénomène ? Si oui, faut-il durcir les contrôles ?

Tous les pays au monde ont des dispositifs à leurs frontières, mais il faudra voir avec les départements ministériels concernés les détails précis du dispositif. Nous pouvons vous assurer que cela existe. Nous voudrions d’ailleurs remercier le ministère d’État, ministère de l’Intérieur et de la Sécurité qui soutien toutes nos initiatives à plusieurs niveaux.

Le problème est qu’aujourd’hui, nous avons une véritable méconnaissance de la question migratoire. D’aucuns recommandent de recourir à un dispositif policier et la question est résolue ! Non, Ce serait trop facile ! La Côte d’Ivoire appartient à la zone CEDEAO, qui est une zone de libre circulation. Ce qui veut dire qu’il y a des protocoles qui garantissent la libre circulation de tous les citoyens à l’intérieur de cet espace. Il se trouve que cet espace va aussi loin que le Niger. Donc, la Côte d’Ivoire peut prendre des dispositions, mais elle ne peut empêcher des Ivoiriens qui veulent partir dans un pays de la CEDEAO de sortir du pays ou de sortir de ce pays, tout simplement. D’ailleurs, non seulement cela fait partie de la déclaration universelle des droits de l’homme, mais cela fait aussi partie de la Constitution ivoirienne, qui garantit aussi aux Ivoiriens la liberté de s’établir où ils le souhaitent. Ils sont libres d’aller où ils veulent. Sauf qu’après, quand certains dépassent cette zone, il est difficile de les suivre. Il faudrait, peut-être poursuivre la mutualisation des expériences policières. Et il y a beaucoup de réunions des différents ministères concernés pour y trouver des solutions. Pour notre part, nous nous concentrons sur la sensibilisation et la prise en compte de ceux qui sont en situation d’extrême détresse et qui demandent à revenir vers la Côte d’Ivoire. C’est une situation très urgente à laquelle il faut trouver des solutions rapides.

Qu’en est-il du dispositif judiciaire ?

Il y a eu un très bon dispositif contre la traite des personnes qui a été mis en place par le gouvernement. En plus, le Conseil des ministres, en date du 13 juillet 2016, a aussi durci le dispositif sur le transport des migrants. Il y a un certain nombre de lois ivoiriennes qui permettent de répondre au phénomène migratoire, mais surtout à la traite des personnes. Sur ce point, nous nous accordons à dire que les lois ivoiriennes sont très bonnes.

Vous qui côtoyez ces personnes, quel argument développent-t-elles pour se jeter dans cette aventure ?

Il ne faut pas, dans ce qui se passe sur la question, négliger le phénomène des passeurs qui alimentent les réseaux et désinforment l’opinion sur leurs chances réelles d’emploi dans les pays d’accueil. Ce qui ressort des échanges, c’est la question de la crise post-électorale et la recherche d’emploi. Mais il y a surtout la question de l’exploitation par les réseaux, et la recherche du mieux-être. Relativement à ce point, des candidats au départ ont toujours été convaincus par d’autres personnes que pour le même boulot, ils pouvaient avoir plus ailleurs, et que rester en Côte d’Ivoire ne leur permettait pas d’avoir un certain niveau de  rémunération. La richesse, entre guillemets, ne pourrait s’obtenir qu’en allant faire un travail dans un autre pays. Le mieux-être, le chômage, l’absence de perspectives ou de rêve pour d’autres, l’amélioration des conditions de vie, l’exploitation des réseaux de passeurs, sont les différents  éléments qui ressortent, sans oublier  l’effondrement de la Libye, dont on parle peu et qui est pourtant un élément déclencheur.

 Pour ce qui est des réseaux dont vous parlez, n’est-il pas temps de les traquer ?

Le Ministre Aly Coulibaly nous a instruit de communiquer les informations reçues aux services compétents pour une prise en compte, et cela se fait régulièrement.

Il y a un travail très important qui se fait à ce niveau et dans la discrétion. Nous laisserons le soin aux services concernés de vous expliquer que plusieurs réseaux ont été démantelés, et leur travail important se poursuit. Nous pensons qu’ils vous communiqueront ces informations pour que l’on réalise qu’un travail est fait à tous les niveaux.

En ce  qui concerne le dispositif policier, nous pouvons vous certifier qu’il existe, et même qu’il est efficace, contrairement à ce qui se dit. Il faut leur permettre de poursuivre leur travail dans la discrétion.

Pendant ce temps, des Ivoiriens sont dans des conditions difficiles dans des pays du Golfe…

Ce sont des dossiers bien suivis, nous l’avons dit. Il y a un très bon travail qui se fait, mais c’est un travail de fourmi et nous n’en diront pas plus. Les migrants ont des droits, peu importe leur statut. Il faut penser à préserver la dignité et la sécurité de nos frères et sœurs.

Peut-on compter sur la diaspora ivoirienne face à ce phénomène ?

Il y a plus de 240 millions de migrants dans le monde. La proportion d’Africains est infime. En plus, 85% de la migration ouest-africaine est intra régionale. Nous ne sommes pas opposés au voyage, mais ce sont aujourd’hui les pertes en vies humaines qui nous inquiètent. Rencontrer régulièrement des parents qui demandent de l’aide pour leurs enfants à l’extérieur ou qui ont disparu, agit sur votre humanisme et vous interpelle quotidiennement. Il y a beaucoup d’émotion.

Il y a beaucoup d’Ivoiriens qui vivent à l’extérieur de façon régulière. On oublie cela aussi. Il ne faut pas voir que les aspects négatifs. Et nous ne souhaitons pas que la vision actuelle de la migration cache l’apport important de la diaspora qui souhaite continuer de contribuer efficacement au développement de la Côte d’Ivoire. C’est important que cela se sache. Au demeurant, c’est un phénomène passager qui intervient après la crise libyenne, de même que les crises que notre pays a connues. Pour y mettre fin, il va falloir stabiliser la Libye et proposer la mise en place d’un dispositif inclusif. La sensibilisation ne doit pas s’arrêter et doit même se poursuivre, jusqu’à une prise de conscience totale de toutes ces vies à la dérive. Nous pensons que le prochain forum de la diaspora nous donnera l’opportunité d’en parler, afin  de voir quelle peut être sa contribution dans la lutte contre ce phénomène, et de faire en sorte qu’elle se sente autant concernée que nous. Parce qu’un Ivoirien qui est à l’extérieur doit être un ambassadeur pour la Côte d’Ivoire. C’est un Ivoirien qui peut se mettre au service du pays, et dont l’image peut ternir ou améliorer celle de son pays. Nous allons organiser un forum des diasporas ouest-africaines le 18 mai 2017, et lançons donc un appel aux Ivoiriens de l’extérieur pour qu’ils nous aident dans cette lutte pour préserver les vies de nos frères, en les encourageant à voyager dans de bonnes conditions pour éviter de s’exposer et d’être à la merci des uns et des autres.

Nous connaissons des centaines d’Ivoiriens de l’extérieur qui ne rêvent qu’à aider leur pays et à faire tous les sacrifices nécessaires. Ils seront consultés à tous les niveaux car leur rôle est primordial. Nous souhaitons qu’avec l’aide de chacun, nous puissions obtenir une plus large prise de conscience et la libération de tous nos frères et sœurs détenus sur la route de la migration. C’est l’une des ambitions et la volonté du ministre Aly Coulibaly, et des instructions fermes ont été données à cet effet.

 

Propos recueillis par :

Ouakaltio OUATTARA

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