Après la signature de la trêve sociale, en août 2017, les Ivoiriens croyaient avoir tourné le dos aux grèves intempestives. Mais les perturbations de l’année scolaire écoulée et la non satisfaction des revendications des syndicats laissent présager de moments difficiles à venir. Alors que la rentrée pointe à l’horizon, les nombreux points d’achoppement n’ont toujours pas été solutionnés. Et, à quelques jours de l’ouverture des classes, les acteurs se signalent déjà, annonçant à nouveau des perturbations du calendrier scolaire. Le dialogue n’étant pas encore renoué entre les parties, l’horizon s’assombrit pour les élèves, principales victimes du bras de fer entre syndicats et décideurs.
Le téléphone à la tempe, un bout de papier devant les yeux, le Secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), Saint-Clair Alla, rumine sa colère, ce lundi 2 septembre, devant une banque. Il tient en main, selon ses dires, la preuve que des responsables du lycée moderne de Cocody ont exigé de leurs élèves qu’ils acquittent la coquette somme de 10 100 francs CFA, payable dans une agence bancaire. Somme qui n’a rien à voir avec les frais d’inscription officiels. Après avoir joint des cadres de l’établissement public, il explique que cette procédure assez singulière a été décidée en guise de frais annexes. Pourquoi à la banque ? « C’est simple », poursuit le leader de la FESCI. « La ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle a mentionné par écrit qu’en dehors des inscriptions aucun frais additionnel ne doit être payé par un élève ou un parent d’élève. Je crois que beaucoup tentent de contourner le problème ». Les poings levés, le National Makélélé promet que les élèves ne se laisseront pas traire cette année. Dès qu’il a appris la nouvelle, Claude Kadio Aka, le Président du Collectif des associations de parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (CAPEECI), s’est empressé de prévenir : « ce sont des choses que nous avons combattues par le passé. La rentrée des classes n’est pas encore arrivée et nous sentons que le problème des frais annexes refait surface. Nous demandons aux autorités de prévenir ces maux dès maintenant, en faisant la police dans les établissements afin que les responsables d’écoles se décident à se conformer aux textes. Il est clair qu’en dehors des frais d’inscription, tout ce qui est cotisation doit être décidé lors d’une assemblée générale par les Comités de gestion des établissements scolaires (COGES) et ne doit pas excéder 5 000 francs CFA ». C’est donc peu de le dire : cette rentrée scolaire est partie pour démarrer le 9 septembre prochain sur les mêmes bases que la précédente. Avec, bien sûr, son lot de mécontents, de frustrés et de problèmes à résoudre. Ce sont pour la plupart de vieux dossiers poussiéreux, des affaires en suspens, des sujets qui fâchent. Si la question des frais annexes semblait avoir trouvé une solution, après les mises en gardes fermes de la ministre de l’Éducation nationale, en pratique, il n’en n’est rien, enfin, a priori.
Conflits latents « Ce qui a évolué concernant les cotisations scolaires, c’est la mise en place d’une plateforme des COGES. Maintenant, les parents d’élèves doivent payer leurs cotisations par voie électronique sur cette plateforme », explique Amara Sangaré, Président du COGES du collège moderne du Plateau. Ordre a été donné par le Président des COGES que les payements soient faits lors des inscriptions. « La raison de cette plateforme est que par le passé, lorsque les cotisations étaient faites physiquement, l’argent restait dans les caisses des responsables d’écoles. Les COGES n’en recevaient rien. Or, les cotisations sont faites pour s’occuper des problèmes des écoles et ce sont les COGES qui s’en occupent », tranche-t-il. À la lumière de ces explications, on comprend que le souci cette année ne sera pas nécessairement de savoir si oui ou non il faut supprimer les frais annexes, mais plutôt qui doit recevoir l’argent de la cotisation. Une situation que la FESCI et le CAPEECI dénoncent avec véhémence. Pendant qu’Aka Kadio promet qu’ils ne payeront pas un kopeck au-delà des frais d’inscription, Alla Saint Clair et ses camarades préviennent, eux, que la FESCI va organiser une rencontre pour protester contre ces inéluctables frais supplémentaires. De quoi prévenir. Mais il n’y a pas que cela que les autorités doivent surveiller de près tel du lait sur le feu. Le brûlant dossier des enseignants du primaire et du secondaire est toujours sur la table. Avec les vacances scolaires, on l’avait brièvement refermé. Il est donc temps de le rouvrir, d’après le tout nouveau Secrétaire général du Collectif des enseignants du secteur éducation / formation de Côte d’Ivoire (COSEFCI), Nomel Ako, qui a succédé à Pacôme Attaby pendant cette période de repos. « Le fait de changer de porte-parole ne signifie pas que nous changeons le fusil d’épaule. Au contraire, la COSEFCI tient à ses revendications et elle va les porter à nouveau cette année, avec plus de détermination », prévient Nomel Ako. En premier lieu, la revalorisation des indemnités de logement. Point sur lequel le gouvernement était resté intransigeant jusque-là : rejeté ! « Le COSEFCI a semblé fléchir un moment. Ce n’est pas parce que les autorités nous ont opposé une certaine résistance. Ce sont plutôt des problèmes internes qui en ont été la cause. Des problèmes que nous avons réglés. La COSEFCI va se réunir dans les jours à venir pour définir très clairement son plan d’action », ajoute son porte-parole. Responsable l’année dernière du blocage des cours pendant six mois dans de nombreuses localités, le collectif estime que ces vacances auraient pu être l’occasion pour le gouvernement de les approcher et d’aplanir leurs différends avant la reprise des cours. « Malheureusement, rien n’a été fait dans ce sens. Ce qui nous pousse à croire que nos revendications n’intéressent personne. Et que la seule manière de les faire comprendre, c’est par la force », regrette le leader syndical.Des avancées Œuvrant dans la même arène avec beaucoup plus de modération, l’Intersyndicale de l’enseignement préscolaire et primaire (ISEPPCI) est en embuscade. « Nous avons obtenu des avancées avec le gouvernement », note Abba Eban, membre du directoire. « Il s’agit par exemple du reclassement des enseignants qui se trouvent dans l’administration scolaire au grade A3. Il y a aussi l’instauration du concours des conseillers de COGES. Mais il y a des points sur lesquels nous continuons de discuter ». Parmi ces points, bien entendu, il y a la suppression des cours le mercredi. « Nous attendons de faire un bilan à mi-parcours avant de décider », précise l’enseignant. Selon lui, ce bilan pourrait décider si oui ou non il faut poursuivre ces cours. « Mais, honnêtement, nous avons du mal à croire que le gouvernement abdiquera sur ce point », confesse Abba Eban. Alors le plan B de l’ISEPPCI, explique-t-il, sera de boycotter ces fameux cours. « Nous ne ferons pas grève pour cela. Ce sera simplement un boycott », fait-il savoir. D’autres dossiers, tel que le concours des inspecteurs de l’enseignement primaire, d’après M. Eban, sont sur la table. Ils sont ouverts, jure-t-il, aux négociations. Jusque-là, la ministre Kandia Camara a concédé aux enseignants de nombreux points de revendication d’ordre administratif. Les seules questions sur lesquelles elle est toujours restée ferme, ce sont les revendications à caractère financier et la suppression des cours le mercredi. En somme, le gros des revendications de ses poulains. Mais les dés ne sont pas encore jetés. Les enseignants planifient une tournée de mobilisation ; les élèves se préparent à leur niveau ; les parents d’élèves promettent de multiplier les actions de terrains pour se faire entendre. Cependant, en dépit de tout, il faut attendre dans les jours à venir la cérémonie solennelle d’ouverture de l’année scolaire, où le ton sera donné. Ce sera en effet à la ministre Kandia Camara d’annoncer de quelles couleurs sera parée cette année.
Raphaël TANOH