Amener les victimes du cancer du sein à partager leur expérience et sensibiliser de ce fait les Ivoiriens sur les dangers de la maladie : c’est ce vers quoi veulent désormais tendre les autorités ivoiriennes, ainsi que les ONG. Car, comme le viol et le VIH /S ida, il faut en parler. Malheureusement le cancer du sein a déjà gagné du terrain et la lutte pour le stopper s’annonce âpre.
Elle se nomme Brigitte Reno, la quarantaine. Cette restauratrice, brave et forte, souffre du cancer du sein depuis maintenant 3 ans. Son témoignage émouvant le 19 octobre, lors de la deuxième édition de la Journée de mobilisation des médias contre le cancer du sein, a glacé les personnalités présentes ce jour-là à Grand-Bassam. « J’ai tout vendu, ma maison, mes biens, pour pouvoir survivre », relate Brigitte, devant un auditoire ému aux larmes. Cette dame a non seulement été victime du cancer du sein, mais elle a également été la proie du cancer du col de l’utérus. « Depuis 3 ans, je souffre. Je remercie Dieu parce que je suis encore vivante. Je compte sur la population ivoirienne pour nous soutenir, nous les mamans malades. Car ce n’est vraiment pas facile pour celles qui n’ont pas d’argent. Je prie afin que vous nous souteniez. Il y a des moments où nous n’arrivons plus à acheter les médicaments », poursuit Brigitte Reno, sous le regard attentionné du Vice-président Daniel Kablan Duncan, qui n’hésitera pas à lui offrir la somme de 3 millions de francs CFA pour ses soins. Brigitte n’est pas la seule à souffrir de cette gangrène qui tend à gagner de plus en plus de terrain en Côte d’Ivoire. Aline Ouédraogo, caissière dans une banque de la capitale économique, la trentaine consommée, a été diagnostiquée il y a 4 ans. « Jamais je n’aurais cru pouvoir reprendre goût à la vie. Après mon amputation, une partie de ma féminité m’avait quittée. Il a fallu le soutien de mon mari et celui de ma famille. Mais j’ai caché cela à mes amis pendant de nombreuses années », fait-elle savoir. Ce qui l’a amenée à se battre, à l’entendre, ce sont les témoignages de plus en plus fréquents de personnes, souvent même de personnalités, sur le cancer du sein. « J’ai vu, par exemple, le cas d’Agnès Kraidy, Présidente de la Fondation « Agir contre le cancer (Fac) », qui ne cesse de sensibiliser les populations. Ma tante est morte du cancer du sein. Quand j’ai appris mon cas, j’ai failli me suicider. Ce n’est pas une maladie qui ne touche que les autres. C’est ce qu’on croit, jusqu’à ce que vous soyez un jour diagnostiquée. Mais ce que je peux dire aux femmes, c’est de faire leur test. Diagnostiqué tôt, c’est un cancer qui se guérit », ajoute la caissière.
Une préoccupation majeure
En Côte d’Ivoire, le cancer du sein est devenu une préoccupation majeure du ministère de la Santé et de l’hygiène publique, à travers le Programme national de lutte contre le cancer (PNLCA). Selon le Professeur Innocent Adoubi, Directeur-coordonnateur du Pnlca et chef du service de cancérologie du Centre hospitalier universitaire (Chu) de Treichville, chaque année, ce sont 2 248 cas de cancer du sein qui sont diagnostiqués dans le pays. Parmi les patientes, 1 223 femmes en meurent. Soit un peu plus de la moitié. Un pourcentage de décès qui fait froid dans le dos ! Le cancer est une tumeur maligne qui prend naissance dans les cellules du sein. Le signe important pour détecter la maladie est l’apparition de masses dans le sein. Les hommes sont aussi victimes de cette maladie, mais le pourcentage est faible et est compris entre 0.5 à 1%. La tranche d’âge des hommes susceptibles de développer cette maladie est de 60 ans et plus », signale le Professeur Innocent Adoubi. D’après l’expert, l’hérédité, la durée de la vie sexuelle, le mode de vie, c’est-à-dire les traitements hormonaux, la pollution environnementale, le stress, l’obésité et l’utilisation du tabac sont autant de causes qui provoquent le cancer du sein. Cependant, aux dires de ce dernier, le risque pour une femme de développer un cancer du sein s’accentue pendant sa vieillesse. Afin de prévenir la maladie, les experts conseillent l’autopalpation dès l’âge de 20 ans. Cette autopalpation se fait chaque mois, le 5ème et le 6ème jour après les menstrues, et doit être accompagnée d’un examen clinique chaque année. Pour les femmes dont la tranche d’âge est comprise entre 45 ans et plus, il conseille une mammographie tous les 3 ans. Les femmes ménopausées, elles, doivent palper leurs seins tous 1ers du mois. Selon le Pr Innocent Adoubi, un cancer découvert tôt peut être guéri à 80 ou 90 %, si, bien sûr, sa taille est inférieure à 3 centimètres. Des recommandations qui ne sont pas toujours connues du grand public ivoirien et que les ONG, comme « Agir contre le cancer (FAC) », dirigée par Agnès Kraidy s’attèlent à porter à la connaissance des femmes. Cela à travers des rencontres de sensibilisation et des séminaires de formation. De son côté, l’État a décidé de prendre le taureau par les cornes. Lors de la deuxième édition de la Journée de mobilisation des médias contre le cancer du sein (JMMC 2018), à Grand-Bassam, le Vice-président de la République, Daniel Kablan Duncan, a d’abord rappelé que l’absence de programmes de dépistage précoce et l’absence d’infrastructures appropriées sont, entre autres, des facteurs importants dans la prolifération du cancer en Côte d’Ivoire.
Petits pas « Le gouvernement met en œuvre un programme ardu contre le cancer, en encourageant et en soutenant la campagne Octobre rose (...). 4 000 femmes sont dépistées chaque année gratuitement grâce à une collaboration avec le laboratoire Roche », a fait savoir Daniel Kablan Duncan. En effet, en octobre 2017, les Laboratoires Roche et le gouvernement se sont engagés à assurer la prise en charge gratuite du traitement du cancer du sein. Deux conventions dites « Programme Access Roche cancer du sein et Programme Access Roche Hépatites Virales » ont été signées entre les deux entités, incluant aussi le cancer du col de l’utérus, le cancer de l’ovaire, le cancer du côlon, le cancer de la lymphe, le cancer du foie et enfin celui du cerveau. Une convention qui devrait amener les patients à ne payer que 10% du coût initial de traitement du cancer du sein, estimé à environ 1 000 000 de francs CFA. Sauf que, prévient une source proche des organismes de lutte contre le cancer, l'État ne subventionne les tests de détection de la maladie que pour que les individus payent des tarifs réduits. « L'acte de traitement par chimiothérapie est à un coût dérisoire. Par contre, les médicaments, quant eux, sont à la charge du malade et sont très coûteux ». L'État, avec le laboratoire Roche, dans un partenariat a rendu gratuits certains médicaments utilisés dans la chimiothérapie pour certains types de cancer, plusieurs médicaments combinés, en fait. C'est un pas, mais estimé très minime par les malades, car le traitement ne se fait pas que par chimiothérapie. « La chimio, c'est tous les 21 jours et cela induit des dépenses énormes », poursuit notre source, selon laquelle il faut ajouter à cela la chirurgie et la radiothérapie sans compter les nombreux examens, coûteux, après chaque chimio. Les autorités ivoiriennes veulent aller plus loin avec la création d’un Master en Sénologie à l’Université Félix Houphouët-Boigny. Selon le sémiologue Apollinaire Horo, Professeur titulaire de gynécologie, il s’agit d’assurer une prise en charge efficace de cette maladie métabolique. Dans le monde entier, sur les 12 millions de nouveaux cas de cancer dépistés annuellement, 6,4% sont des cancers du sein.
Raphaël TANOH