Si la Côte d’Ivoire se targue d’avoir un bon indice de sécurité, passé de 1,6 en 2015 à 1,2 en 2016, il n’en demeure pas moins qu’au niveau de la ville d’Abidjan, le phénomène des enfants en conflits avec la loi baptisés « microbes », a pris de l’ampleur. Les différentes campagnes pour endiguer ce phénomène, si elles arrivent à le réduire momentanément, peinent à donner des résultats qui pourraient décourager de nouveaux adeptes ou d’éventuels récidivistes. La première opération d’envergure lancée en juin 2016, il y a un an jour pour jour, avait certes donné des résultats probants, mais l’étau policier desserré, les agressions à l’arme blanche dans certaines communes d’Abidjan ont repris de plus belle. Lancée le 1er juin, l’opération « Épervier 2 », censée durer le temps qu’il faudra, pourra-t-elle répondre aux différents défis, à quelques semaines des Jeux de la Francophonie ?
Le phénomène des « microbes » est récent et si aucune étude n’en donne les causes exactes, il semble avoir pris de l’ampleur à la fin de la crise post-électorale, qui a vu la libération de nombreux prisonniers, la destruction d’un grand nombre de commissariats, et l’absence de forces de sécurité durant les six premiers mois de l’année 2011.
Abobo, Yopougon, Adjamé, Attécoubé, ou encore Koumassi et Cocody, sont les communes du district d’Abidjan où des enfants en conflits avec la loi, plus connus sous le nom de « microbes », sont le plus souvent signalés. Bien qu’aucunes statistiques fiables ne soient encore disponibles, les populations de ces communes lancent de plus en plus d’alertes, mais très peu de plaintes sont déposées contre ces agresseurs dont le mode opératoire est unique, selon un commissaire de police en fonction à Abobo. « Ils attaquent par petits groupes et profitent de la panique des passants pour dépouiller certains d’entre eux, tout en faisant usage d’armes blanches », confie-t-il. Ces délinquants, dont l’âge varie entre 12 et 25 ans et qui sont pour la plupart sous l’effet de drogues et autres stimulants, sont depuis peu un véritable casse-tête pour la police. En lançant le 1er juin dernier l’opération Épervier 2, le directeur général de la police nationale, le commissaire divisionnaire Youssouf Kouyaté, espère venir à bout des « microbes », qui défient ses hommes depuis plus de 5 ans.
Rocher de Sisyphe Est-ce la fin de la recréation que la police vient de siffler ? Les Abidjanais en seraient heureux. Avec un effectif de 3 000 hommes, la police a décidé de renforcer la présence de ses hommes pour cette opération avec 537 éléments supplémentaires, des gendarmes et des policiers. Leur mission principale est de traquer les « microbes » et de les dénicher dans les fumoirs de drogue et certains quartiers d’Abidjan réputés abriter des bandits de grands chemin. « La police a une cartographie des lieux de résidence, des dortoirs et des lieux fréquentés par les personnes soupçonnées d’appartenir à des gangs de microbes, et c’est une bonne base pour les traquer », selon un agent du Centre de commandement des décisions opérationnelles (CCDO) joint au téléphone. Pour lui, si lors de l’opération Épervier 1 (juin 2016), 195 fumoirs ont été détruits, cela était la résultante d’une bonne coordination entre les différentes unités de la police, notamment la police anti-drogue (PAD) et la police judiciaire (PJ). Toutefois, reconnaît-il, « il sera difficile de lutter efficacement contre ces délinquants tant que des fumoirs existeront. Or, détruisez un fumoir et dix autres naissent quelques temps après, le prix de la drogue augmente, et les drogués deviennent plus agressifs », lâche-t-il, l’air impuissant. Une thèse partagée par certains Abidjanais, habitués à voir des descentes dans les fumoirs qui se reconstituent quelques heures après le départ des policiers. Une situation qui donne l’impression d’une reprise permanente des mêmes opérations de sécurisation, sans que le problème ne soit jamais définitivement traité. Autre inquiétude, selon une source bien introduite auprès de la police, ces délinquants bénéficieraient « de la protection d’un réseau de syndicats (Gnanboro) avec de grandes connexions au sein de la police ou de l’armée. » Des connexions qui, si elles existent réellement, seraient de nature à remettre en cause les efforts de ceux qui sont déployés sur le terrain.
Faux pas interdits À la veille des Jeux de la Francophonie, prévus pour le mois de juillet, et au lendemain de mutineries dans plusieurs villes du pays, les policiers n’ont plus droit à l’erreur. « Il faut impérativement sécuriser les Jeux de la Francophonie tout en veillant à ce que les armes à feu qui circulent ne tombent pas aux mains des « microbes » », craint Mohamed Konaté, un opérateur économique exerçant dans la commune de Treichville. Pour ce dernier, la police doit maintenir la pression et rassurer la population sans « faire de tape à l’œil », dans un pays qui a besoin de redorer son image. Pour mener à bien leur mission, les hommes du directeur général de la police ont « besoin d’une collaboration franche de la population », indique un policier engagé dans cette opération, qui accuse certains parents de « couvrir leurs enfants délinquants ou de faire des pieds et des mains pour que ces derniers, une fois dans les mailles de la police, puissent s’en sortir quelques temps après. » Une réalité vécue en juin 2016, où la préfecture de police d’Abidjan avait été envahie par des parents de présumés « microbes » criant à l’innocence de leurs enfants et accusant même la police d’abus.
Craintes et réserves Bien qu’Épervier 2 suscite la joie chez de nombreux Ivoiriens, elle rencontre tout de même certaines réticences. Pour le sociologue Germain Kouao, les enfants en conflits avec la loi sont plutôt « des victimes de l’échec des politiques et des familles à leur assurer une éducation. » La répression ne serait donc pas la meilleure méthode pour lutter contre le phénomène. Il faut selon lui, au-delà de centres d’éducation dans lesquels certains sont amenés, mettre en place un véritable système à long terme pour leur rééducation et leur réinsertion dans le tissus social, avec un emploi à la clé. Quant aux organisations de défense de droits humains, elles reconnaissent que l’opération est salutaire, mais craignent que les droits de ces personnes, mineures pour la plupart, ne soient pas respectés et qu’on assiste à des dérapages. Face à ces craintes, le préfecture de police d’Abidjan se veut rassurante. « Des mesures ont été prises et nos hommes ont été sensibilisés au respect des droits de tous ceux qui seraient suspectés ou interpellés », confie un officier de police. Il ajoute qu’à chaque rassemblement, le préfet de police Joseph Kouamé Yao insiste sur le respect « des droits des suspects et invite les policiers à toujours se référer à leur hiérarchie pour tout cas qu’ils pourraient rencontrer. » Outre ces réserves, Germain Kouao estime que des dérapages pouvant entraîner des bavures policières ne peuvent être écartés. « Très souvent, ce genre d’opérations ouvre la voie à certaines exactions de la part des forces de l’ordre, telles que des rafles systématiques où des innocentes personnes sont confondues aux bandits ». L’autre incertitude de cette mission réside dans le fait de sa médiatisation. « On sait tous que ces opérations sont médiatisées, les concernés font profil bas ou changent de zones et de stratégies afin de ne pas être pris dans les mailles de la police », pense le sociologue, pour qui les autorités auraient plutôt dû opter pour la discrétion.
Ouakaltio OUATTARA