Profession : mendiants malgré eux

Le Bureau international du travail (BIT) et l’UNICEF estiment à 30 millions le nombre d’enfants vivant dans les rues en Afrique.

Ils ont entre 7 et 25 ans et refusent d’être traités de délinquants ou de gangsters. Ce sont ces jeunes dont l’activité, presque officielle, est la mendicité. Dans la rue depuis plus dix ans pour certains, ils font désormais partis du décor des principales artères d’Abidjan et d’autres villes de l’intérieur du pays. S’autoproclamant surveillants de véhicules, plus communément appelés « djosseurs de nama », aucune star ou personnalité ne passe inaperçue dans leur zone. Dormant dans des rues où ils ont bâti leur réputation, ces adolescents, abandonnés ou ayant quitté leur famille pour des raisons diverses, rêvent à de lendemains meilleurs. En attendant, livrés à eux-mêmes, ils doivent lutter pour leur survie dans un monde qui ne leur « offre rien cadeau ». Reportage.

Allocodrome de Cocody, rue des maquis de Yopougon, quartier Maroc, Marcory zone 4, Plateau, etc., il est désormais impossible de passer par ces endroits sans rencontrer des enfants et adolescents qui vous hèlent, en espérant que vous serez pris de pitié et qu’ils bénéficieront de votre générosité. Certains d’entre eux se sont retrouvés à la rue suite à une séparation entre leurs deux parents, d’autres après le décès de l’un d’eux, chacun ayant sa propre histoire, son propre vécu. Leurs journées se suivent et se ressemblent, à faire la manche. Directement ou de façon subtile, ces enfants trouvent toujours quoi dire pour bénéficier des largesses d’une personne qui passe ou d’un automobiliste qui stationne dans leurs lieux de prédilection. La mendicité chez les enfants et adolescents n’est pas seulement visible dans les lieux de distraction et autres points chauds des villes. Certains lieux de prière n’y échappent pas non plus. En groupe ou de façon isolée, la rue est devenue pour eux le refuge parfait, leur lieu de travail, où ils y ont fondé leur nouvelle famille. Sans se cacher, de jour comme de nuit, ils arpentent donc les rues des villes, rivalisant de talents à la recherche de leur gagne-pain.

 

Survivre Malgré leur apparence peu avenante, ils refusent d’être vu comme des parias de la société. La vie ne leur a pas ouvert les bras et chaque jour est un nouveau combat pour eux. À l’Allocodromme de Cocody, où nous en avons rencontré quelques-uns après une journée passée à faire la manche, les enfants sont réunis par petits groupes et s’apprêtent pour « le travail du soir », avec l’arrivée des clients des bars et restaurants. Sur les lieux, les rôles sont partagés en fonction de l’âge. « Il y a ceux que nous appelons ici les Esseurs. Ce sont des enfants mendiants dont l’âge varie entre 7 et 15 ans, qui marchent torses nus ou sans chaussures afin de choquer toute âme sensible sur leur condition », nous explique l’un d’entre eux, qui a à peine 20 ans et qui se présente comme un surveillant de véhicules, un « djosseur de nama ». Entre ces deux catégories, un troisième groupe de jeunes est à l’affût, scrutant les visages à travers les vitres des véhicules. « Ici, on connait toutes les stars et tous les grands types du pays. Nous connaissons leurs marques de véhicules et leurs plaques d’immatriculation », assure l’un d’entre eux. Un véritable travail de physionomiste pour gagner le pain quotidien. Cette catégorie, qui bondit sur les personnages publics, les empêchant de poursuivre leur chemin tant qu’ils ne leur ont pas soutiré des billets de banque, est appelée « Grabasseurs ». Le butin, une fois obtenu, est partagé séance tenante entre tous les jeunes présents. Malgré une solidarité apparente et un jeu de rôles bien défini, chacun doit lutter pour son propre sort. Pour les gains communs, il faut avoir des muscles, et c’est la loi du plus fort qui règne. Dans le monde sans pitié qu’ils se sont créés, ils doivent, selon certains d’entre eux, faire face à des trafiquants de tous ordres. « Ici, c’est plus qu’une jungle. Nous sommes la cible de trafiquants mais aussi de prédateurs sexuels, tels que les pédophiles. À deux reprises nous avons manqué de lyncher certains d’entre eux », lancent-ils. Cependant, ils avouent avoir été naïfs par moment face à certaines « bonnes volontés » venues leur porter secours. « L’une des règles de la rue, c’est de se méfier de tous et d’être sur ses gardes », préviennent-ils. Ils jurent tous cependant de n’être nullement liés à des activités illégales (vols, trafic de drogues) et disent fièrement n’avoir jamais connu la prison, même si certains d’entre eux se font rafler nuitamment « dans leurs dortoirs ». Et ce ne sont pas des cas isolés. « On nous dit que les rafles concernent ceux qui se promènent tardivement. Mais nous, nous sommes raflés parfois en plein sommeil », grogne l’un de nos interlocuteurs.

 

Des rêves à réaliser Nonobstant ces conditions de vie difficiles, ces enfants rêvent grand. Devenir star de football, artiste chanteur ou même reprendre les études pour certains, « pour devenir pilote ou enseignant ». Les yeux dans le vide et pleins d’espoir, Fernand N’Zi soutient avoir abandonné sa famille pour se retrouver dans cet univers mais est déterminé à poursuivre son rêve d’enfance, devenir pilote d’avion. « Je ne désespère pas. On peut partir de la rue et se construire socialement. Je suis inscrit à des cours du soir et j’espère avoir le baccalauréat dans deux ans, pour poursuivre mes études à l’université », lance-t-il avec assurance. D’autres autour de lui, qui estiment ne plus avoir d’avenir dans les études, espèrent connaitre la gloire de footballeurs comme Didier Drogba, ou devenir des stars de la scène musicale. Leur seul souhait, obtenir un coup de pouce afin d’y parvenir. L’espoir est grand chez eux car des exemples, ils en ont. Même si tous ces derniers n’ont pas atteint les sommets, ils ont pu quitter la rue et se sont resocialisés. « Certains passent ici souvent pour nous encourager et nous donner des conseils. Ils nous demandent surtout de nous éloigner de la mauvaise compagnie et de faire des petites économies, car la rue n’est pas notre destination finale », expliquent-ils.

 

Sous surveillance ? Le mercredi 24 juillet 2013, le gouvernement faisait savoir qu’à compter du 5 août 2013, tout mendiant ou vendeur ambulant attrapé à un carrefour de la ville d’Abidjan assumerait les conséquences qui en découlent. Une disposition qui renforçait l’article 190 du Code pénal ivoirien de juillet 1995, stipulant que « toute personne qui est capable d’exercer un travail rémunéré et qui se livre habituellement à la mendicité est punie d’un emprisonnement de trois à six mois et peut être frappée pendant cinq ans d’interdiction de séjour, ou d’interdiction du territoire de la République, ou d’interdiction de paraître en certains lieux ». Ces dispositions, les enfants mendiants en ont entendu parler et se souviennent encore que dans les premières heures qui ont suivi leur annonce, certains d’entre eux avaient été brièvement interpellés. Entre rafles systématiques et descentes parfois musclées des forces de l’ordre sur certains lieux, les pots de vin et la création de complicités avec les forces de l’ordre n’ont pas tardé à naître. Pourtant, il y a trois ans, les choses étaient différentes. Leur déguerpissement répondait à des exigences sécuritaires, économiques et éthiques. Une cellule de coordination, logée au cabinet du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité et un comité de suivi, présidé par le préfet d'Abidjan, avaient été mis sur pied. Mais, en pratique, la machine aura été trop lourde et peu efficace face à un phénomène auquel les Abidjanais sont habitués.

 

Ouakaltio OUATTARA

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