Obtention de la CNI : Un parcours du combattant

Plus de 350 000 Ivoiriens enrôlés en 2009 n’avaient pas obtenu leur pièce d’identité.

La question identitaire est peut être loin derrière nous, mais l’obtention de la Carte nationale d’identité (CNI) reste un casse-tête. Des requérants patientent pendant plus de six mois, voire plus d’un an, sans obtenir le précieux sésame. Établies pour la première fois en 2008 - 2009, après une dizaine d’années d’interruption, les CNI de plus de 5 millions d’Ivoiriens expireront dans quelque mois, à la veille d’un grand rendez-vous électoral, la présidentielle d’octobre 2020. Quand on sait les passions que déchaînent la question de l’identification, surtout dans les contextes électoraux, il y a eu lieu de regarder cette situation avec attention. Si l’Office national d’identification (ONI) a du mal à produire des cartes en cette période de calme, où les demandes sont peu nombreuses, parviendra-t-il à le faire en 2019, lorsque la plupart des 5,6 millions de cartes en circulation arriveront à expiration ?

Ils s’appellent Yves, Mariama, Solange ou encore Eric et Donatien. Ils arpentent depuis trois mois pour certains, un an pour d’autres, les couloirs de l’Office national d’identification (ONI), au quartier du Plateau, dans l’espoir de retirer leur pièce d’identité. Comme eux, de nombreux jeunes qui ont atteint l’âge de 18 ans depuis 2010 continuent de rechercher cette précieuse carte. D’autres, par contre, peuvent s’estimer heureux de l’avoir dans leur poche après quelques jours d’attente. Mais tous les détenteurs de la Carte nationale d’identité (CNI) partagent la même inquiétude. Celle de perdre un jour leur CNI et de devoir se soumettre à un parcours du combattant pour obtenir un duplicata. Certains ont opté pour la conserver à la maison et ne la sortir que lorsqu’ils en ont besoin dans le cadre d’une activité, quand d’autres préfèrent conserver l’originale « au frais » et utiliser une copie scannée pour leur quotidien. Après dix ans de bataille et de longue attente, personne ne veut se mettre dans une situation délicate.

 

Que de difficultés ! Car les choses sont loin d’être simples. D’août à décembre 2017, l’ONI a été obligé de suspendre la production des CNI. Raison invoquée, les importants dégâts enregistrés en 2017 à la suite de pluies diluviennes, qui ont touché et endommagé le système électrique du service informatique. Mais ce qui n’a pas été dévoilé, c’est que ce système informatique datait de près de dix ans. Il avait été interrompu après les opérations d’identification et de recensement électoral de 2008 - 2009 et n’avait été réactivé qu’à l’occasion de la relance de l’identification ordinaire, en juillet 2014, avec les mêmes logiciels, acquis en 2008. De quoi faire tristement sourire un informaticien de l’ONI, qui soutient qu’en la matière, le système est dépassé après généralement deux ou trois ans. « La Côte d’Ivoire était très en avance sur les pays de la sous-région en matière de biométrie. La carte nationale d’identité ivoirienne en circulation est biométrique depuis 2008. Entretemps, la technologie a évolué et, aujourd’hui, nous sommes en retard », soutient le Directeur de l’ONI, Djakilidia Konaté. Mais il tient à se défendre, estimant que ses services ont quand même produit 900 000 cartes, encore stockées dans les différents centres d’enrôlement, et qui attendent d’être récupérées par leurs titulaires. Il faut ajouter à cela, selon l’ONI, le non traitement des cas de doublons depuis 2008 - 2009. « Des personnes qui se sont faites enrôler en 2008 et 2009, mais qui avaient des difficultés avec leur identité n’ont pas pu retirer leur carte et se sont faites enrôler à nouveau sous une autre identité ou avec un changement d’informations. Ne sachant pas ou ayant oublié que leurs données biométriques sont déjà dans la base de données, elles se retrouvent automatiquement dans un cas de doublon et la machine ne pourra jamais tirer ces cartes nationales d’identité ». D’autres sources évoquent également des contraintes budgétaires au sein de l’ONI, allant jusqu’à parler de blocages entre l’Office et ses prestataires, dans le cadre de la passation de certains marchés.

 

Quand la fraude s’invite L’histoire des CNI en Côte d’Ivoire n’est pas celle d’un long fleuve tranquille. Au-delà de la récupération politique qui en est faite parfois, des situations de fraudes, dont le nombre est de plus en plus impressionnant, sont également signalées. Une situation que le gouvernement a décidé de corriger en adoptant deux projets de loi dans le cadre de la modernisation du système de l’état-civil, le 11 avril dernier. Il s’agit, dans un premier temps, de la sécurisation des actes de naissance, de mariage etc. Mais surtout, en raison du nombre élevé de faux présumés ou réels dans l’état-civil, sur l’âge le plus souvent ou sur l’identité elle-même, le projet de loi prévoit une amnistie pour les infractions commises dans le cadre de l’établissement et de l’usage des faux actes d’état-civil. Dans cette hypothèse, le rétablissement d’identité ne produira de faux que pour l’avenir, sans que les droits, les obligations et les situations précédemment acquis ou contractés ne soient remis en cause. Selon le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Bruno Nabagné Koné, « pour ceux qui ont un faux acte de naissance, avec lequel ils ont fait leurs études, ont obtenu des diplômes et travaillent aujourd’hui, l’État fera en sorte de ne pas revenir sur ce qui est faux. On vous amnistiera pour ce qui est éventuellement faux et on prendra en considération votre nouvelle identité, votre nouvel état-civil à partir de la date à laquelle cette situation a été régularisée ». Cette disposition devrait en théorie apporter un début de solution aux nombreux cas de doublons que connaît l’état-civil ivoirien, ou encore permettre de résoudre les cas de fraudes devenus de véritables casse-têtes pour le pays. Mieux, face à ce constat consternant, la Banque mondiale devrait intervenir, au terme d’un accord avec l’État ivoirien, pour le financement de nouvelles cartes d’identité biométriques à puce. Un projet d’un coût estimé à 50 millions de dollars américains, soit un peu plus de 270 milliards de francs CFA.

 

Des craintes La fin de l’année 2018 marquera la date d’expiration des premières CNI délivrées dans le cadre de la vaste opération d’identification démarrée en septembre 2008. La crainte gagne les rangs des premiers requérants, enrôlés entre septembre et décembre 2008. Pourront-ils se faire établir une nouvelle CNI ? Vu les insuffisances et les difficultés de l’ONI, la date d’expiration sera-t-elle prorogée ? Les responsables de cette structure ne voient pas les choses sous cet angle. « La solution à cette préoccupation majeure a été trouvée », assure son Directeur général. Ses espoirs se fondent sur la mise en place du Registre national des personnes physiques (RNPP), qui devrait assurer la centralisation de toutes les données biométriques pour chaque Ivoirien. Mais il faudra plus pour satisfaire les citoyens, car, alors que l’ONI devrait produire 5 000 cartes par jour, elle tourne autour de 2 500 à 3 000 cartes quotidiennes, selon les chiffres officiels et peut-être 10 fois moins, selon ses pourfendeurs. « Il sera complètement impossible de contenter les plus de 5 millions d’Ivoiriens dont les CNI arrivent à expiration entre 2018 et 2019 », soutient sous cape un agent de l’administration. Les discussions entamée entre le gouvernement et la Banque mondiale, si elles s’avèrent fructueuses, pourraient aussi aboutir à une mise en veille des CNI actuelles, au profit de nouvelles cartes à puce, « plus sécurisées », dit-on. Mais l’on oublie déjà qu’en 2010, les cartes actuellement en vigueur étaient qualifiées de « sécurisées » elles aussi. La Côte d’Ivoire, à peine sortie d’une décennie de crise, a encore beaucoup de contentieux à vider et l’on peut dire que, concernant la question des cartes d’identité, l’un des principaux points de discorde à l’origine de cette crise, il reste encore du chemin à parcourir avant de refermer ce dossier sensible, qui fâche depuis une vingtaine d’années.

 

Ouakaltio OUATTARA

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