Productrice et exportatrice d’électricité, la Côte d’Ivoire peine à satisfaire sa clientèle nationale, comme l’attestaient les délestages fréquents en 2009 et 2013. Officiellement, cela était dû au retard dans les investissements, à la vétusté des infrastructures et à la fraude. Il faut ajouter à cela les conséquences négatives de la crise, qui a entraîné durant 8 ans le non-paiement des factures dans les zones sous contrôle de l’ex-rébellion. En juillet 2016, une augmentation du prix de l’électricité avait mis le pays en ébullition, et face à cette situation, le gouvernement a finalement décidé de libéraliser tous les segments du secteur de l’électricité. Une option qui vise à créer les conditions pour rentabiliser les investissements, et permettre une baisse des prix.
Réaffirmant sa volonté de libéraliser et d’ouvrir la quasi-totalité des segments d’activité de l’électri- cité, l’État de Côte d’Ivoire a adopté une réforme à la fin octobre, qui se décline en six décrets.
Réforme majeure
Ces derniers précisent les conditions et les modalités dans lesquelles se déroulent les activités de développement des énergies nouvelles et renouvelables, organisent le cadre stratégique de la maîtrise de l’énergie et de l’autoproduction, et définissent les règles de fixation et de révision des tarifs de vente. En outre, le gouvernement met en place un nouvel organe de régulation du secteur dénommé Autorité nationale de régulation de l’électricité (ANARE-CI). Cette structure, investie de pouvoirs de décision, d’injonction, d’enquête et de sanction plus étendus, devrait permettre une meilleure régulation du secteur. « Il s’agit pour le gouvernement d’assurer l’indépendance énergétique de notre pays et de créer les conditions économiques permettant la rentabilisation des investissements, tout en assurant la protection des droits des consommateurs », avait laissé entendre Bruno Koné, porte-parole. Une décision salutaire, même si sa mise en œuvre ne sera pas immédiate. L’information avait été donnée par le président de la République Alassane Ouattara, le 1er mai dernier. Annonçant la libéralisation du secteur, il avait invité tous les investisseurs pour que « nous ayons une saine compétition. » C’était à la suite des fortes protestations qui avaient dénoncé l’entrée en vigueur, en janvier 2016, de l’ajustement tarifaire, avec une hausse de 6% à 10% du prix du kWh pour 60% des abonnés.
L’enjeu du coût
Privatisée en 1990, la Compagnie ivoirienne d’électricité vendait à perte son électricité. Pour résoudre ce problème, l’augmentation des tarifs s’imposait afin de sauver l’entreprise. D’autant plus que, pendant la décennie 2000, aucun investissement conséquent n’avait été fait pour rénover les infrastructures. Cette situation avait entraîné des délestages préjudiciables aux populations, et surtout à près de 3 000 entreprises industrielles abonnées à la CIE, selon N’Dah Kouassi, alors directeur de l’énergie au Bureau national d’études techniques et du développement (BNETD). Si des grandes entreprises utilisaient des groupes électrogènes d’une puissance de 30 kilowatts coûtant environ 10 millions de francs CFA, les entreprises de petites tailles se contentaient de groupes électrogènes de faible capacité, dont le coût oscillait entre 150 000 et 200 000 francs CFA, se souvient-il. Un souvenir lointain de l’époque où les Ivoiriens subissaient plus de 50 heures de délestage par Journal d’Abidjan - l’Hebdo an. Un taux passé en 2016 à moins de 28 heures, selon l’Autorité nationale de régulation de l’électricité (ANARE), et la situation pourrait nettement s’améliorer avec cette libéralisation. Mais la question du coût de l’électricité reste encore un casse-tête. Les taxes sur les factures des ménages, ramassage d’ordure, redevance RTI, demeurent encore problématiques, quand on sait que les Ivoiriens paient déjà directement pour le ramassage de leurs ordures, et que seuls 44% d’entre eux possèdent un téléviseur. Des taxes de plus en plus dénoncées par des consommateurs, qui appellent à leur suppression. Pour Ben N’Faly Soumahoro, président de la Fédération ivoirienne des consommateurs, il faut « que l’État songe à faire baisser le prix du kWh, et que la CIE reconsidère toutes les différentes taxes additionnelles ».
Ambitions 2030
Depuis 2011, d’importants investissements ont été engagés dans le secteur de l’électricité sur les segments de la production, du transport, et de la distribution. Selon le ministre du Pétrole et de l’Énergie, Adama Tounkara, il s’agit de constructions de centrales thermiques, du barrage de Soubré, de plusieurs lignes de transports et postes de transformation, ainsi que de l’électrification rurale. Le tout pour un peu plus de 1 500 milliards de francs CFA, entre 2011 à 2016. Des investissements qui devront se poursuivre jusqu’en 2030, afin d’étendre le taux de couverture national et de mieux satisfaire la clientèle. C’est tout l’objet du plan d’action 2013-2030, qui met l’accent sur la diversification de l’approvisionnement en carburant, en particulier la biomasse et le charbon. Les développements futurs du secteur prévoient également de privilégier les énergies renouvelables, qui devraient représenter 20% de la capacité de production ivoirienne à l’horizon 2030.
Marché potentiel ?
Malgré tous ces efforts, la couverture en électricité demeure modeste, avec un taux de 43%, soit 1,5 millions d’abonnés pour une population de plus de 23 millions d’habitants. Ce potentiel n’a pas encore attiré les investisseurs, qui attendent sans doute que la libéralisation soit plus explicite. Par ailleurs, l’existence d’une tarification préférentielle et l’échec de la réglementation des prix de l’électricité en lien avec les coûts de production sont, selon des experts du domaine, des obstacles pour les investisseurs privés. Une situation qui laisse les observateurs pessimistes quant à la volonté du gouvernement d’aller vers une libéralisation totale. « Loin d’être pessimistes, nous sommes réalistes. Surtout face à la pression extérieure des bailleurs de fonds, qui exigent une augmentation du prix de l’électricité en Côte d’Ivoire. Un prix qu’ils estiment le plus faible sur le continent », selon Gabriel Diabaté, inspecteur électrique.
Ouakaltio OUATTARA