Depuis l’adoption de la nouvelle loi sur le mariage et sa promulgation, le combat pour l’égalité du genre en Côte d’Ivoire a connu des frémissements. La célébration chaque année du 8 mars, Journée internationale des droits de la femme, démontre qu’il y a encore du chemin à parcourir. La marche s’annonce longue, avec des volontés politiques lentes et l’implication même des femmes parfois paradoxale.
L’adoption le 21 novembre 2012 par les députés (213 voix pour sur 229) du projet de loi sur le mariage en Côte d’Ivoire a marqué les esprits. Désormais, c’est l’égalité parfaite entre l’homme et la femme dans le foyer. Le mari n’a plus le titre de chef incontesté. Il doit partager l’exercice de l’autorité parentale à part égale avec son épouse. En son article 59, la nouvelle loi indique que les époux contribuent dorénavant aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. L’article 60 induit le principe de choix du domicile conjugal par décision commune des époux, quand l’article 67 instaure l’égalité des époux dans le choix de l’exercice d’une profession. Une grande avancée dans la lutte pour l’égalité du genre dans le pays ! Et, forcément, des acclamations de la part des organismes internationaux comme ONU-Femmes. Mais cette loi, à elle seule, ne suffit pas à dépeindre le paysage juridique, administratif et social. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a dressé un tableau presque exhaustif du chemin parcouru depuis 1983 dans la lutte pour l’égalité du genre. Le vote par l’Assemblée nationale de la loi n° 83-300 du 02 août 1983, qui donne la possibilité à la femme de choisir la communauté ou la séparation des biens, avait été un premier point de départ. En 1995, la Côte d’Ivoire devient État membre de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. 19 ans plus tard, c’est le vote à l’Assemblée nationale de la loi du 23 décembre 1998, portant répression de toutes formes de violence à l’égard des femmes. La même assemblée planchera sur la loi modifiant et complétant celle instituant le Code pénal pour réprimer le harcèlement sexuel, le travail forcé et l’union précoce ou forcée. Le 1er août 2000, la Constitution ivoirienne consacre le principe de l’égalité entre homme et femme. Six ans après, c’est la création d’une Direction chargée de l’égalité et de la promotion du genre et d’un Comité national de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants. En 2007, on assiste à la déclaration solennelle de la Côte d’Ivoire sur l’égalité des chances, l’équité et le genre. 2009 voit la prise d’un arrêté ministériel sur la parité lors de l’inscription en classes primaires. Puis vient une année mémorable : 2012. D’abord, le Compendium des compétences féminines de Côte d’Ivoire (COCOFCI) est créé. Il aura pour rôle de renforcer la visibilité, la participation et le leadership des femmes dans la gestion des affaires publiques et privées. Ensuite, la nouvelle loi sur le mariage. Les actions des autorités ivoiriennes vont au-delà de simples textes. En 2012, il y a aussi la mise sur pied du Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI), afin de permettre à la gent féminine d’accéder facilement à des ressources financières à coût réduit.
Volonté politique affichée 2015 voit la naissance du Conseil national de la femme (CNF). Et enfin, en 2016, l’État décide d’inscrire le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la Constitution du 30 octobre 2016. Avec ces actions, le gouvernement ouvre certains emplois jusque-là fermés aux femmes. Ainsi, le 29 janvier 2015, quatre élèves-gendarmes femmes sont présentées aux Ivoiriens. Leur intégration précèdera celle de sous-officiers féminins qui s’effectuera à la rentrée 2015 - 2016. « Il y a eu des avancées dans les lutte pour l’égalité du genre en Côte d’Ivoire, comparativement à ce qui se faisait avant. Ce sont des actions à saluer », se réjouit Chantal Moussokoura Fanny, sénatrice de la région du Folon, maire de la commune de Kaniasso et promue récemment ambassadeur plénipotentiaire. Grande figure symbolique de l’égalité du genre en Côte d’Ivoire, Chantal Fanny explique ces avancées par la vision du numéro 1 de l’Exécutif. « C’est quelqu’un qui a occupé de grands postes à l’extérieur. Il sait quel peut être l’impact de la femme sur le développement ». C’est aussi ce que pensent la plupart des associations féminines, notamment la Convention de l'assemblée des femmes musulmanes sunnites en Côte d'Ivoire. Sa secrétaire exécutive, Mariam Diarra, estime que, comparativement à de nombreux pays de la sous-région, la Côte d’Ivoire a fait un grand pas vers l’amélioration des conditions de vie des femmes. « Moi, par exemple, j’ai aimé la loi sur le mariage. Les hommes se sont sentis frustrés, mais nous avons applaudi », explique-t-elle. Une vision partagée par Maïmouna Kangouté, la secrétaire générale du Syndicat des sages-femmes de Côte d'Ivoire, femme leader syndicale confirmée.
Encore du chemin « Il y a eu de l’évolution dans la bataille pour l’égalité du genre. Mais il reste beaucoup à faire », souligne Mme Kangouté. Et elle n’a pas tort. Dans un rapport de 2018, l’Union européenne (UE) met en exergue la faible représentativité des femmes à certains postes. Le taux de représentation des femmes à l’Hémicycle tournait autour de 11,37% pour 18,2% au gouvernement, loin derrière l’objectif de 30% de représentation des femmes au Parlement préconisé par le programme d’action de Pékin. En 2018, indiquent les experts de l’UE, on comptait huit femmes chefs de villages sur 267, soit 3%, contre une seule femme en 2012. Une progression assez minime. De même, fustige le rapport, le taux d’alphabétisation des jeunes filles de 15 à 24 ans reste bas : 47,2%.
Pour la sénatrice Chantal Fanny, sur environ 32 ministres au gouvernement, il y a à peine 6 femmes. « Dans les autres postes, on tourne entre de 10 et 20% de postes occupés par les femmes. 30% est le taux le plus élevé. La parité n’est pas atteinte », détaille-t-elle. De plus, aux dires de Chantal Fanny, les mesures prises par la Côte d’Ivoire pour améliorer les conditions des femmes se heurtent cette aux réalités sociologiques des us et coutumes. En Afrique et en Côte d’Ivoire, la place de la femme, dans la tradition, est derrière l’homme. « Dans la pratique, ces lois ne sont pas appliquées », regrette-t-elle. Mariame Diarra renchérit : « la nouvelle loi sur le mariage ne nous arrange pas, parce que, pour une femme musulmane, on préfère s’en remettre à la tradition religieuse ». Elle donne ainsi raison à cette réflexion du PNUD sur l’égalité du genre : « on ne peut pas analyser cette problématique sans évoquer d’autres contraintes, sur les plans culturels, religieux et institutionnels, qui ont été exacerbées durant la décennie de crise sociopolitique ». Ce que veulent les femmes ? Un engagement politique plus fort. « Il faut prendre des mesures vigoureuses sur l’éducation des enfants à l’école et dans la cellule familiale. C’est le plus important pour une femme », note la secrétaire exécutive de la Convention de l'assemblée des femmes musulmanes sunnites en Côte d'Ivoire. Au ministère de la Femme, de la famille et de l’enfant, on pense que les moyens ont été donnés avec les nombreuses actions menées par le gouvernement. Mais en choisissant de célébrer la journée internationale de la femme autour du thème : « Le numérique, une solution pour l’autonomisation de la femme », la ministre Ramata Bakayoko - Ly veut prendre le problème par un autre bout et transporte ainsi la question sur un autre terrain. « Seulement trois femmes sur dix utilisent Internet et le téléphone mobile. Pour plus d’équité, de justice sociale et de dynamisme économique, il est primordial de faire bénéficier tous les Ivoiriens, sans exception, des avantages de la révolution numérique en cours », explique-t-elle. Ce qui montre combien que la bataille pour l’égalité du genre est beaucoup trop vaste pour être cernée aisément.
Raphaël TANOH