Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la lagune Ébrié et les souvenirs deviennent de plus en plus vagues. Mais les traces et cicatrices rappellent encore le point culminant de la crise post-électorale ivoirienne. Ce 11 avril 2011, qui a vu l’arrestation de l’ex-chef de l’État, Laurent Gbagbo, des membres de sa famille et certains de ses proches, alors retranchés dans la résidence présidentielle de Cocody, marque aussi la fin du blocus de l’hôtel du Golf où Alassane Ouattara, dont l’élection a été reconnue par la communauté internationale, s’était retiré avec sa famille et des cadres de la coalition aujourd’hui au pouvoir. Six ans déjà et les efforts vers la réconciliation, malgré les généreuses proclamations, ressemblent à un travail de Sisyphe. Le pays tente de marcher à la cadence de la reconstruction et du dialogue entre ses fils
L’évocation de la date du 11 avril 2011 divise. Si au Front populaire ivoirien (FPI), aujourd’hui dans l’opposition, elle marque un coup de frein à la démocratie, au Rassemblement des Houphouëtistes pour la paix et la démocratie (RHDP), il s’agit d’un nouveau départ pour le pays. En définitive, ce jour aura accentué les clivages entre les différents bords et divisé les Ivoiriens, qui tentent tant bien que mal de recoller les morceaux.
Rythme de sénateur Si à la sortie de l’hôtel du Golf, le Président Ouattara pensait pouvoir aller vite sur la question de la réconciliation, certaines réalités l’ont rattrapé, grippant la machine du retour à la concorde entre Ivoiriens. C’est que le modèle, « Dialogue, Vérité Réconciliation» n’a pas véritablement fonctionné, si bien qu’en cours de chemin, des dissensions ont pu être constatées entre Charles Konan Banny président de la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) et le chef de l’État. Si bien qu’à la veille de l’élection présidentielle d’octobre 2015, les deux hommes, tous deux candidats pour le même fauteuil, ne parlaient plus le même langage. Entre indemnisation des victimes et procès des personnes proches du FPI, la réconciliation, si elle n’est pas au point mort, avance à pas d’escargot. Alors que le procureur de la République Aly Yéo a parlé de « message de réconciliation » en évoquant la décision de la Cour d’assises d’Abidjan qui a acquittée le 28 mars Simone Gbagbo, poursuivie pour crimes contre l’humanité, certains observateurs pensent savoir qu’une loi d’amnistie, longtemps réclamée par des organisations politiques et la société civile,
serait en cours de préparation. C’est ce qui aurait conduit le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, à placer son mandat sous le sceau de la réconciliation, lors de la rentrée parlementaire le 3 avril. « Aujourd’hui encore, la réconciliation dans notre pays reste manifestement une quête à assouvir. Elle ne peut, au demeurant, ni se départir ni se défaire de son compagnon qui, à mes yeux, reste le pardon », lançaitil. Mais pour les victimes représentées par leur président Issiaka Diaby, « acquitter les coupables et voir ces derniers narguer les victimes est un mauvais signal donné pour la réconciliation. » L’équation est donc difficile à résoudre, surtout quand chacun se présente comme victime et innocent. Et
« le 11 avril prochain, chacun brandira ses victimes, clamera son innocence et accusera celui d’en face d’être l’unique coupable des 3 000 morts », déclare le sociologue Félix Aka, interrogé par JDA.
Symbole L’un des symboles du 11 avril 2011 demeure la résidence présidentielle de Cocody, bâtie sous Félix HouphouëtBoigny, avant de connaître des modifications demandées par ses successeurs Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Théâtre de violents bombardements pendant quatre jours avant la chute de Laurent Ggagbo, elle garde encore les stigmates de la bataille d’Abidjan. Surnommée « Bunker », sa prise et l’arrestation de ceux qui s’y étaient réfugiés ont sonné la fin de la crise post-électorale, mais aussi d’une longue crise politico-militaire ouverte le 19 septembre 2002. Le Président Ouattara ayant opté pour le réaménagement de sa résidence privée afin d’en faire sa demeure officielle, la réhabilitation de ce lieu où vécut Félix Houphouët-Boigny ne semble être ni une priorité, ni même à l’ordre du jour. Ce « symbole en lui seul, chargé d’histoire, résume la problématique de la course au pouvoir », affirmait le politologue Geoffroy Julien Kouao. Contigu à la résidence de l’ambassadeur de France, le bâtiment sous surveillance est toujours interdit d’accès aux visiteurs, sauf autorisation du ministère de la Justice.
Recomposition politique Même si la réconciliation nationale est lente et laborieuse, la reconstruction du pays est en cours, et les hommes politiques ont décidé de se projeter vers l’avenir. Au FPI, fondé par Laurent Gbagbo, la frange la plus radicale qui ne jurait que par l’ancien président cache de moins en moins sa volonté de « tourner la page ». Non pas celle de Gbagbo, mais celle d’un 11 avril, qui a vu son pouvoir s’écrouler. « L’heure est à la mobilisation pour la reconquête du pouvoir », a rappelé le leader de l’aile dissidente, Aboudramane Sangaré, lors d’une tournée poli
tique dans l’Ouest du pays au début du mois de mars. La bataille entre les frères ennemis du FPI est en passe de mettre Laurent Gbagbo au second plan. « Il faut reconquérir le pouvoir pour libérer Laurent Gbagbo », clame chaque camp, sans expliquer la démarche pour y parvenir. Du côté de la majorité présidentielle, on se projette aussi, ce qui créée des tensions. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) met la pression sur son allié, le Rassemblement des républicains (RDR), en vue d’une alternance en sa faveur en 2020. Mais au sein du parti de la case, où de nouvelles ambitions ont fleuri, on n’entend pas les choses de cette oreille. De deux grands blocs avant avril 2011, le paysage politique ivoirien s’achemine peut être vers une recomposition. Mais pour l’instant, chaque camp refuse de fâcher son leader, qu’il soit Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara ou Laurent Gbagbo. « C’est parce que ces trois personnalités ont su et continuent d’être au cœur des attentions et intérêts politiques depuis 1993 », explique le sociologue Félix Aka. Tant que leurs héritiers auront du mal à se départir d’eux et à se créer de nouvelles bases électorales, l’atmosphère connaîtra toujours une polarisation liée au conflit de la décennie 2000. Mais leur retrait du marigot politique ivoirien à compter de 2020 pourrait marquer le point de départ d’une véritable réconciliation.
Ouakaltio OUATTARA