Après près de vingt jours de grève en janvier, les syndicats de la fonction publique ont fini par suspendre leur mot d’ordre après satisfaction de quatre des cinq revendications à l’origine de leur débrayage. Quant à certains militaires, qui réclamaient des primes allant jusqu’à 12 millions de francs CFA, ils ont regagné les casernes après en avoir obtenu 5, et dans l’espoir de recevoir mensuellement le reliquat sur sept mois. Si le gouvernement a fini par installer un comité de dialogue, fonctionnaires et militaires donnent encore de la voix, afin d’obtenir la satisfaction totale de leurs revendications face un gouvernement qui annonce l’amenuisement des recettes de l’État. La porte du dialogue reste ouverte. Entre doute et espoir, les Ivoiriens souhaitent ne pas revivre les moments sombres du début de l’année.
Le dialogue est l’arme des forts, diton. Faisant sienne cette maxime, le gouvernement du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, à peine formé, a dû faire face au même moment au débrayage des fonctionnaires et agents de l’État, et à des mutineries ayant touché les grandes villes militaires du pays. Plusieurs semaines après avoir désamorcé la bombe sociale, le gouvernement doit désormais faire face à certaines de ses promesses, mais surtout à la détermination des fonctionnaires qui espèrent voir le règlement total de leurs revendications. Quant aux militaires, ils n’ont pas baissé la garde, même s’ils restent patients face aux promesses des autorités, qui ne manquent aucune occasion de les rassurer.
Gon Coulibaly en première ligne Suite à d’incessants ballets entre le ministère de la Fonction publique et le cabinet du Premier ministre, l’intersyndicale a fini par lâcher du lest fin janvier, après une vingtaine de jours de grève, tout en donnant un ultimatum au gouvernement pour épuiser la question des stocks d’arriérés avant fin février. Profitant de cette accalmie et mesurant l’ampleur de la tâche, le Premier ministre a créé un poste de conseiller chargé du travail et du dialogue social, attribué à l’ancien député Alphonse Soro. Le 15 mars, Gon Coulibaly signait un arrêté pour la mise en place d’un comité de dialogue, dont l’article 2 du texte de création stipule que « le comité de négociation de la trêve sociale est chargé de veiller à l’application des points d’accords entre le gouvernement et les organisations syndicales à la réunion du 26 janvier 2017, et d’examiner les points non encore traités.» Ce comité comprend plusieurs ministères, mais également des structures syndicales. Parallèlement, Amadou Gon Coulibaly profitait de sa présence dans son fief de Korhogo le 4 mars pour échanger avec les représentants des mutins et des démobilisés, qu’il a invités à la patience. Pendant ce temps, le ministre en charge de la Défense, Alain Richard Donwahi, et les nouveaux chefs des différents commandements militaires ont fait le tour des différentes casernes pour rassurer les soldats et apaiser les esprits. Poker gagnant, le calme est revenu, même si au fond, chacun attend et espère voir sa situation financière s’améliorer rapidement.
Dissensions Alors qu’unis ils avaient pu obtenir satisfaction pour quatre des cinq points de revendications, les leaders syndicaux ne parlent plus le même langage. Si les uns souhaitent poursuivre le dialogue en étant favorables à une trêve
sociale, les autres estiment qu’il faut d’abord satisfaire toutes leurs exigence avant toute pause. Les tenants de cette option, conduite par Pacôme Attaby de la Coordination des enseignants du second degré de Côte d’Ivoire (CESDCI), militent pour maintenir la pression sur le gouvernement, et ont décidé de claquer la porte de la Plateforme de l’intersyndicale pour créer la Coalition des syndicats pour le paiement des stocks des arriérés. Celle-ci regroupe une dizaine d’organisations, sur la soixantaine que comptait l’intersyndicale. « Estimant que les porte-paroles actuels de la plateforme ont décidé d’aller à une trêve sociale de manière cavalière et unilatérale, alors que les fonctionnaires sont déterminés à obtenir le paiement du stock des arriérés, nous avons décidé de ne plus nous reconnaître en eux », a expliqué Pacôme Attaby, joint au téléphone par JDA. Mieux, il annonce avoir déposé un préavis de grève le lundi 20 mars, qui devra prendre effet le 5 avril prochain. Mais pour Zadi Gnagna, porte-parole de la Plateforme intersyndicale, il s’agit d’un faux procès. « Des personnes veulent affaiblir la Plateforme avant la reprise des négociations avec le gouvernement », soutient-il. Pour lui, le gouvernement ayant fait preuve de bonne foi en maintenant le dialogue et en créant un cadre de discussion, « il faut expérimenter cela pour gagner la bataille. » Même s’il respecte l’attitude de la Coalition, pour Zadi Gnagna la « fronde » ne représente « pas grand-chose et ne change rien dans la force de l’instrument de lutte. » Répondant aux animateurs de la dissidence, il estime que déposer un préavis de grève alors que les discussions sont en cours « ne fait pas sérieux. »
Entre deux feux De leur côté, même s’ils ont jubilé après le paiement de la prime de cinq millions de francs CFA à la fin du mois de janvier, les militaires qui attendent encore sept millions de francs CFA payables sur sept mois, à raison d’un million par mois à compter de février, devront prendre leur mal en patience. Face à cette situation qui, selon le gouvernement « amenuise les recettes de l’État » et nécessite d’abord d’améliorer la trésorerie, d’autres voix s’élèvent pour prévenir des risques. « Si le gouvernement paye le reliquat, l’ensemble des militaires et des gendarmes verront cela d’un mauvais œil et voudront entrer dans la danse. Dans le cas contraire, les 8 500 soldats concernés pourraient remettre le couvert », croit savoir une source proche de l’armée. Quel que soit le scénario, le gouvernement n’est donc pas au bout de ses peines, indiquent des observateurs. Même s’ils gardent le contact avec ceux qui ont exprimé leur mécontentement en janvier, le Premier ministre et son équipe mettent à profit le calme retrouvé pour reprendre du poil de la bête. Pour sa part, le Président de la République a sanctionné la mutinerie des forces spéciales à Adiaké les 7 et 8 février, à travers la décision symbolique de leur interdire le défilé militaire marquant les festivités de l’indépendance. Une manière d’exprimer son mécontentement et de faire comprendre qu’il n’est plus disposé à subir les chantages des militaires, fussent-ils des forces spéciales. Le message est-il passé ? En tout cas, les esprits demeurent tournés vers un hypothétique virement de fonds sur les comptes en banque.
Ouakaltio OUATTARA