Côte d’Ivoire vs Ghana : Duel à fleurets mouchetés

Les présidents Nana Akufo Addo et Alassane Ouattara, tous deux des libéraux, pèsent de tout leur poids pour maintenir de bonnes relations entre les deux pay

Attendu depuis un peu plus de trois ans, le verdict du Tribunal international du droit de la mer (TDIM) a été rendu le 23 septembre, déboutant la Côte d’Ivoire dans le différend qui l’oppose depuis plus d’une décennie à son voisin, le Ghana au sujet de l'exploration pétrolière au large de leur frontière maritime. Un jugement qui tombe moins de dix jours avant l’ouverture de la grande campagne cacaoyère, dans laquelle les deux premiers exportateurs mondiaux se livrent une guerre froide. Alors qu’il a toujours fixé son prix bord champ après la Côte d’Ivoire, le Ghana a annoncé dès le mois d’août dernier qu’il maintiendrait le prix du kilogramme de fève à 1 000 francs CFA, malgré un contexte de chute des cours mondiaux. Voisinage délicat pour deux pays qui partagent une longue bande frontalière (terrestre et maritime) et dont les chefs d’Etat tentent toujours de rassurer leurs peuples sur la bonne santé de leurs relations.

En plus de 55 ans d’indépendance, les chefs d’Etat du Ghana et de la Côte d’Ivoire ne s’étaient pas aussi rendu visite que ces 7 dernières années. À peine sorti de la crise, le Président Alassane Ouattara s’était rendu en octobre 2011 au Ghana dans le cadre d’une visite d’amitié et de travail. Il n’avait pas non plus hésité, le 7 janvier dernier, à assister à l’investiture du Président Nanan Akufo Addo, dont il était l’invité d’honneur, dans un contexte de mutineries et de réclamations de primes. Du côté ghanéen, les visites d’amitié et de travail de John Dramani Mahama, en mars 2014 et en juin 2016, ont été suivies par celle de Nanan Akufo Addo en mai dernier. Si les rivalités entre les deux pays remontent à la période des indépendances et si, à chacune de leurs visites, les deux chefs d’État tentent de sauver les apparences, ils sont très vite rattrapés par les questions économiques. Le cacao et le pétrole, piliers de l’économie de chacun, constituant les deux principaux noeuds gordiens d’une relation conflictuelle.

 

Destins liés Le 1er octobre prochain, la Côte d’Ivoire lancera sa grande campagne cacaoyère en rendant officiel le prix bord champs de la fève. Le 24 septembre, les exportateurs se frottaient déjà les mains d’avoir franchi la barre des deux millions de tonnes (t), un record pour le leader mondial du cacao mais aussi pour tous les pays exportateurs de ce produit. Et ce malgré la fuite de près de 400 000 t de fèves chez le concurrent direct, le Ghana, dont les exportations avoisinent désormais 900 000 t, son taux record depuis plus de vingt ans. En annonçant qu’il maintiendrait le prix bord champ à 1000 francs CFA,contre environ 1 116 francs sur les marchés mondiaux, le Ghana espère attirer vers ses frontières une bonne partie de la production ivoirienne. « Le Ghana espionne désormais le cacao ivoirien. Et le cacao, ce n’est pas la magie. Le Ghana n’a pas de nouveaux champs pour espérer dépasser la barre de 900 000 t, comme l’annoncent les autorités de ce pays », croit savoir Ignace Attai, spécialiste des matières premières. Selon lui, la Côte d’Ivoire gagnerait à « réduire ses taxes fiscales et à supprimer les taxes parafiscales, comme le Ghana ». Une telle décision « politique » devrait être en mesure de refroidir les ardeurs du voisin, dont les taxes sont de 100 francs CFA là où le cumul des taxes ivoiriennes atteint la barre de 400 francs CFA par tonne de cacao. Mais, reconnait-il, une telle décision « n’est pas pour demain et le Ghana, qui a perdu la place de premier producteur mondial de cacao depuis 1977, multiplie les stratégies afin de titiller le premier producteur et exportateur, à défaut de le dépasser. » C’est pour cette raison, affirme l’analyste économiste Maxime Sako, que le Ghana a opté pour plus de transparence au niveau du Cocoa Board (équivalent du Conseil café cacao), afin de stabiliser les prix et de ne pas être dépendant des fluctuations du marché mondial.

« Au-delà de ces jeux d’intérêts, les deux pays sont condamnés à s’entendre et à développer ensemble leur économie cacaoyère » pense notre analyste. C’est à juste titre qu’ils ont décidé de lancer conjointement un appel à la Banque africaine de développement (BAD) pour un prêt de 1,2 milliard de dollars, soit plus de 600 milliards de francs CFA. Une information rendue publique le 25 septembre par le ministre ghanéen de l’Alimentation et de l’agriculture, Owusu Afriyie Akoto, qui, de passage en Côte d’Ivoire la semaine dernière, a été reçu en audience par le Président Alassane Ouattara avec lequel il a évoqué une coopération plus solide entre les deux pays sur les questions relatives à l’industrie du cacao. « Les appels ont été faits en réponse à la forte baisse du prix du cacao sur le marché mondial », a reconnu M. Akoto, précisant que cette baisse des prix du cacao coûtait au Ghana et à la Côte d’Ivoire 2 milliards de dollars (plus de 1200 milliards de francs CFA). Cet appel de fonds vise également à permettre aux deux principaux producteurs mondiaux d’ajouter de la valeur à cette culture, d’encourager la consommation locale de chocolat et de réduire une dépendance excessive du marché international.

Le pétrole qui fâche Samedi 23 septembre à Hambourg, en Allemagne, le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) a estimé que le Ghana n'avait pas violé les droits souverains de la Côte d'Ivoire en engageant des travaux d’exploration pétrolière à la frontière maritime entre les deux pays, alors qu’Abidjan affirmait détenir un droit exclusif d'exploitation des hydrocarbures dans la zone offshore objet du conflit. Disputé depuis 2009, ce gisement contiendrait 240 millions de barils de pétrole. Un verdict qui freine les ambitions de la Côte d’Ivoire de faire passer sa production pétrolière de 45 000 barils par jour actuellement à 200 000 d'ici à 2020, explique l’analyste Maxime Sako. Il pense d’ailleurs que les autorités ivoiriennes n’ont pas eu tort d’encourager les investisseurs étrangers à prospecter dans les eaux territoriales du pays, dans l'espoir d’y découvrir des réserves aussi riches que celles trouvées au large du Ghana. « Selon les spécialistes, lorsqu’on a un gisement de pétrole dans une zone précise, il y a forcément dans les environs d’autres gisements de gaz ou de pétrole » assure-t-il. La Côte d’Ivoire devra-t-elle se contenter de prévisions ? Même si le ministre Bruno Koné soutient « ce n’est pas un échec pour la Côte d’Ivoire », l’échec des négociations entre les deux pays, qui avait conduit le Ghana à saisir le tribunal international, cache mal les tensions sur la question.

Bon voisinage Les officiels des deux pays espèrent garder de bonnes relations bilatérales, du moins officiellement. « Nous ne sommes pas dans un conflit et la Côte d’Ivoire a toujours eu le souci de préserver ses relations de bon voisinage avec le Ghana », estime le porte-parole du gouvernement ivoirien, Bruno Koné Nabagné. Une rhétorique reprise par la ministre ghanéenne de la justice, Gloria Afua Akuffo, qui soutient que les deux pays, après le verdict, ont réaffirmé leur « ferme volonté de travailler ensemble à consolider et à intensifier leur relation fraternelle de coopération et de bon voisinage. » Une position renforcée par les excellents rapports entre les Présidents Alassane Ouattara et Nanan Akufo Addo, qui se vouent mutuellement une grande admiration et jouent la carte de l’apaisement. « La guerre inutile entre le Mali et le Burkina, de même que celle entre le Nigéria et le Cameroun, sont assez éloquentes pour permettre à ces deux pays de prendre conscience qu’ils doivent maintenir un climat de bonne entente pour le bien-être de leurs économies et pour leurs peuples » , commente pour JDA le politologue Bernard Assi.

Ouakaltio Ouattara

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