Attaques à répétition, clivages politiques : la Côte d’Ivoire sous haute tension

Comme en janvier dernier, le gouvernement Amadou Gon II naît dans un climat tendu

On croyait avoir tourné les pages sombres, six ans après la fin de la crise qui aura duré une décennie. Le début de l’année 2017 et les évènements qui s’enchaînent depuis sont venus rappeler aux Ivoiriens que la paix et la stabilité restaient encore fragiles. A l’élan pour la course à la succession du Président Ouattara, en 2020, se sont agrégés plusieurs autres contentieux, notamment politiques, que les différents acteurs veulent vider avant l’élection présidentielle. Sur le terrain politique, les clivages au sein du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), au pouvoir depuis 2011, ont connu un pic, suivi aussitôt par des dissensions très vives entre le Rassemblement des républicains (RDR) et les ex-membres des Forces nouvelles (FN). Le tableau n’est pas plus reluisant du côté de l’armée, au sein de laquelle, malgré des revendications satisfaites, les armes ne se sont pas pour autant tues.

Avant son départ définitif de Côte d’Ivoire, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies, Aichatou Mindaoudou, assurait les Ivoiriens et ceux qui ont des intérêts dans ce pays que les pages difficiles étaient tournées. Une déclaration faite en juin dernier, dans un contexte où deux mutineries en moins de six mois, venaient de mettre à rude épreuve le gouvernement ivoirien. En cédant face aux exigences des soldats du contingent « 8 400 », les autorités ont aiguisé l’appétit d’autres groupes de pression, qui revendiquent également avoir contribué à la prise de pouvoir du Président Ouattara en avril 2011. Il s’agit des ex-combattants démobilisés et d’un contingent de caporaux, dits les « 2 600 », intégrés dans l’armée à partir de mai 2011. Le gouvernement, qui ne veut plus céder à ce qui s’apparente à du chantage, a décidé cette fois-ci de jouer la fermeté. Mais pour combien de temps ?

C’est dans cette atmosphère que la tension est montée d’un cran entre les principaux concurrents au sein de l’alliance au pouvoir, le RDR et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), concernant la course pour l’élection de 2020. Mais aussi au sein même du RDR, le parti du chef de l’Etat. Deux situations qui ont contribué à crisper l’atmosphère politique et économique depuis le début de l’année.

Marée haute Le mois de juillet aura été l’un des plus mouvementés de la scène politique. La création en juin de l’Union du 3 avril, par le député Alain Lobognon, suivie de celle de l’Union des Soroïstes (UDS), début juillet n’aura pas facilité les choses. Dans la foulée, une poignée d’hommes proches du Président du Parlement, Guillaume Soro, ont été limogés de leurs postes. De quoi radicaliser les positions entre les proches de Soro et le gouvernement, mais aussi avec le Rassemblement des républicains (RDR), parti dont ils se réclament. Il leur est reproché d’avoir tenu des propos discourtois à l’endroit du Président de la République. Eux se disent frustrés d’avoir été écartés de la gestion du pouvoir et ne décolèrent pas.

De source proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), on révèle que depuis le début du mois de juillet les Présidents Ouattara et Bédié ne se sont pas parlé. « Le Président Ouattara a adressé un message à son aîné Bédié, qui serait resté sans suite. C’est dans ce cadre qu’il a envoyé une délégation, conduite par le Vice – Président, Daniel Kablan Duncan, à Paris samedi dernier », nous indique cette source. Poursuivant ses confidences, ce cadre du PDCI ajoute que le Président Bédié n’aurait pas été consulté avant le limogeage de son protégé Gnamien Ngoran, et encore moins lors du réaménagement technique du gouvernement, intervenu le 19 juillet. Remaniement au cours duquel des ministres proches du PDCI ont perdu des postes clés, comme la Défense et la Fonction publique, au profit de personnalités proches du RDR. Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir du RHDP, le président Ouattara avait toujours pris soin de consulter son aîné Bédié, avant toute prise de décision importante, notamment sur les questions de formation du gouvernement et certaines nominations. Un changement de cap qui est, selon les observateurs, la preuve du malaise qui règne entre les deux hommes depuis que le PDCI a rappelé à son allié sa promesse de lui céder le pouvoir en 2020, conformément à l’appel de Daoukro de 2014. Au RDR, on semble jouer la montre en insistant plutôt sur la création d’un parti unifié et surtout en attendant le congrès prévu pour les 9 et 10 septembre prochains. L’alliance volera-t-elle en éclats à la veille de 2020 ? Si la tension est de plus en plus palpable entre eux, les dirigeants restent tout de même confiants en l’avenir, chacun voulant protéger et consolider les privilèges acquis depuis 2011.

Attaques sans visage À  la tension politique vient s’ajouter la violence. Contrairement aux mutins, clairement identifiés, qui ont revendiqué en janvier et en mai dernier, des commissariats et brigades de gendarmerie ont essuyé des tirs anonymes à quatre reprises. « Des individus non identifiés », préviennent les autorités ivoiriennes, qui emportent toujours des armes après chaque attaque. De quoi inquiéter le géo-politologue François Adou, pour lequel cela ne présage rien de bon, « car ces armes pourraient être utilisées contre le pays demain. » Des attaques qui s’apparentent à celles enregistrées courant 2012, lorsque plusieurs camps militaires, brigades de gendarmerie et commissariats de police ont été sous le feu durant plus de trois mois. Plusieurs arrestations avaient permis aux enquêteurs de conclure qu’il s’agissait de miliciens, de mercenaires et de militaires en exil après la chute de Laurent Gbagbo. Cinq après, certains d’entre eux sont-ils de retour ? Les autorités ivoiriennes devraient pouvoir bientôt en dire plus, car plusieurs personnes ont été interpellées, dont trois à Korhogo et trois autres à Abidjan, puis cinq autres arrêtées le mardi 25 juillet, dont des éléments des Forces armées de Côte d’Ivoire (FACI), suite à l’attaque de l’Ecole de police du 19 juillet, selon le Directeur général de la police, Yssouf Kouyaté.

Des interpellations qui ont étés possibles grâce à plusieurs éléments, notamment des vidéos des éléments du Centre de commandement des opérations (CCDO), dont la position avait été attaquée au sein de l’Ecole de police. De quoi conforter le ministre d’État, ministre de la Défense Ahmed Bakayoko, selon qui « personne ne peut aujourd’hui attaquer une position ivoirienne et contrôler un mètre carré pendant une journée. » Toutefois, les enquêteurs précisent qu’il est encore trop pour parler des motivations des auteurs. « Plusieurs hypothèses sont explorées et les personnes interpellées devraient pouvoir donner des pistes pour élucider cette affaire », a confié à JDA un officier de police. Pour le nouveau ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Sidiki Diakité, « les investigations se poursuivent pour mettre la main sur tous les auteurs », confie-t-il, avant d’ajouter que « malheureusement, malgré les efforts d’appel à la réconciliation du chef de l’État, il y a des gens qui n’ont rien compris et restent nostalgiques des soubresauts. » Selon lui, les populations peuvent être rassurées, car « nos hommes sont suffisamment outillés. »

Des contentieux à vider Dans ce remue-ménage, plusieurs contentieux restent encore à vider. Pour le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, la loi de programmation militaire devrait permettre de mettre définitivement fin à toutes les sorties intempestives des éléments des forces armées. Cela ne doit pas pour autant, selon certains observateurs, occulter le fait que le gouvernement doit aussi régler de manière définitive plusieurs questions encore en suspens. Notamment celle des ex-combattants démobilisés. Si ces derniers ont lâché du lest à la veille des Jeux de la Francophonie, auxquels ils menaçaient de s’inviter, ils n’ont pas pour autant totalement renoncé à ce qu’ils pensent leur « revenir de droit », selon leur président Issouf Ouattara. Une bombe à retardement qui plane au-dessus de la Côte d’Ivoire

Sur le plan politique, le Docteur François Adou pense que le débat entre les candidats putatifs à la succession du Président Ouattara doit être vite tranché, pour mettre fin à l’empoisonnement du climat. Un avis qui ne semble pas partagé au sein de la classe politique où les débats sur la pertinence de la question enflamment les protagonistes de la coalition au pouvoir. Autre contentieux, la question des prisonniers proches de l’ex-régime du Front populaire ivoirien (FPI). Leurs proches, qui dénoncent un harcèlement, sont convaincus que la réconciliation restera un leurre et que la tension politique sera toujours vive tant qu’ils n’auront pas été libérés.

Ouakaltio OUATTARA

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