Dans quelques jours débuteront les examens du BEPC, avec les oraux du 11 au 14 juin et les épreuves écrites du 17 au 21. Suivront les épreuves du CEPE à partir du 1er juillet, et enfin le baccalauréat, pour conclure cette année scolaire au primaire et au secondaire. Si des inquiétudes subsistent au sujet du niveau général des élèves, à cause notamment des grèves intempestives, la principale préoccupation reste la fraude. En dépit des mises en garde, de la sensibilisation et des arrestations, la tricherie n’a pas faibli. Bien au contraire, les élèves usent de nouvelles techniques. De quoi dérouter les surveillants. Et les autorités se préparent à une nouvelle traque face à un système bien huilé.
Lycée Classique d`Abidjan, juin 2013. Confortablement installé sous une bâche aux rayures bleu et blanc, le cabinet de la ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, conduit par Assoumou Kabran, assiste à une première en Côte d’Ivoire. Sous la supervision de Maître Ano Abel Richard, un rouleau compresseur à manches procède au broyage de 2 635 téléphones portables saisis sur des candidats aux examens de fin d’année. Immortalisés par les photographes, les appareils sont aplatis et mis hors d’usage. Voilà ce qui arrivera à chaque fois qu’un téléphone sera saisi pendant les examens, proclame Assoumou Kabran, qui compte ainsi, sur les recommandations fermes de la ministre Kandia Camara, frapper la tricherie là où ça fait vraiment mal. C’est une nouvelle ère dans la bataille contre le fléau, qui n’a cessé depuis de muer au gré des époques. Six ans plus tard, ce qui avait débuté comme une forme de fraude charriée sur les terres ivoiriennes par les Technologies et de l’information et de la communication (TIC), semble avoir atteint des proportions inquiétantes. L’année dernière, rien qu’à Yamoussoukro, une trentaine de candidats fraudeurs ont été arrêtés par la police. Dans les différents centres d’examen de la ville, certains de ces élèves ont été appréhendés alors qu’ils recevaient les sujets du Baccalauréat traités sur l’écran de leurs téléphones cellulaires. Le décret interdisant l’usage de ces appareils dans les centres d’examen ? Ils n’en ont cure. La détermination des fraudeurs est plus forte que jamais.
Bac Whatsapp Une situation qui amène les élèves eux-mêmes à s’interroger. « Ce sera l’un des volets de mon mandat : la lutte contre la tricherie, à travers la sensibilisation », promet Saint Clair Allah, le tout nouveau Secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). Au sein du Comité des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (CEECI), on est plus que jamais inquiet. « Est-ce que la tricherie a baissé ? Je dirai plutôt que c’est le contraire », regrette Karamoko Traoré alias TK, le Secrétaire général du CEECI. TK en veut pour preuve les techniques sans cesse innovantes des tricheurs aux examens pour éviter d’être pris. Afin de contourner les fouilles à l’entrée des salles d’examens, par exemple, les candidats dissimulent leurs téléphones dans leurs mèches de cheveux, à l’intérieur de parapluies, dans leurs chaussures et même sous leurs vêtements, là où le surveillant n’osera pas pousser ses fouilles corporelles. D’autres arrivent, avec la complicité de certains surveillants, à dribbler tout le cordon de surveillance mis en place. L’année dernière, la Direction des examens et des concours (DECO) a décidé d’annuler purement et simplement le baccalauréat dans un centre d’examen après que 200 candidats aient été épinglés pour des copies conformes. La structure est confrontée à un autre type de Bac, qui fait froid dans le dos. Le Bac Whatsapp, du nom de l’application Internet. Une photographie du sujet envoyé à un complice à l’extérieur suffit pour que des centaines de candidats reçoivent dans la demi-heure qui suit la correction des épreuves. Correction qui circule entre les différents candidats moyennant des sommes allant de 1 000 francs CFA à 5 000 FCFA par épreuve. Le plus souvent sous l’œil complice de certains surveillants, qui n’hésitent pas à réclamer leur « part ». Le phénomène prospère grâce au Web. Impossible à circonscrire, il va au-delà des simples individus et fait de plus en plus appel à des réseaux. Et, parlant de réseaux, ces derniers deviennent de plus en plus puissants. La police nationale a démantelé le 28 mai dernier un gang de faussaires qui prospérait dans la fraude aux examens en Côte d’Ivoire. 5 individus, dont 3 promoteurs de cours du soir et 2 étudiants. Ils se servaient de machines pour établir des convocations au Bac et de fausses attestations d'identité, afin de permettre à des substituts de composer à la place des véritables candidats, moyennant la somme de 200 000 francs CFA. Pour Karamoko Traoré, combattre la fraude, c’est comme s’en prendre à une pieuvre.
Une pieuvre ? « On nous dit que c’est grâce aux TIC que les candidats arrivent à tricher, mais demandez-vous d’où proviennent les sujets ? », souligne le leader du CEECI. Le Président du Collectif des associations des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (CAPEECI), se dit désolé de la tournure prise par les évènements. Membre de la commission de discipline de la DECO, Claude Kadio Aka voit aujourd’hui la tricherie comme un phénomène qui prospérera aussi longtemps que subsisteront la corruption et la cupidité dans le cœur des uns et des autres. « Chaque année, la DECO met la main sur des fraudeurs. Et, parmi eux, on compte en moyenne une dizaine d’enseignants », déplore-t-il. Au sein des enseignants qui sont épinglés dans cette infernale machine, selon lui, une grande partie vient du privé. « Parce que beaucoup parmi eux sont mal payés, ils sont plus prompts à se laisser corrompre », justifie le président du CAPEECI. À entendre Innocent Koffi, Secrétaire général du syndicat des enseignants, la Coordination, le phénomène est plutôt à tous les étages du système, depuis la confection des sujets jusqu’à leur distribution, en passant par la surveillance. Comme l’a si bien dit Karamoko Traoré : la pieuvre a étendu ses tentacules jusqu’aux endroits les plus insoupçonnés. « Avec Internet et les TIC, la tricherie est devenue insaisissable », explique le Pr N’Guessan Kouamé, Secrétaire national de la Coordination nationale des enseignants et chercheurs de Côte d’Ivoire (CNEC), plusieurs fois président de jury lors du Baccalauréat. Ce n’est pas cependant le message que veut entendre la ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, Kandia Camara. Les oraux du BEPC monnayés à hauteur de 2 000 francs CFA par candidat, la fuite des sujets avant même les compositions, l’usage de l’Internet pour tricher, etc. Tout cela doit cesser pour la ministre. La sensibilisation étant l’arme principale pour les autorités, il faut arriver à dissuader. Mais comment ? « À moins de couper Internet lors des épreuves, je ne vois pas comment on peut arriver à circonscrire la fraude via les TIC », regrette le leader du CEECI. Et même si l’on arrive à le faire, chose impensable, il faudrait également empêcher l’envoi de SMS le temps que durent les épreuves. Or ce n’est pas une question de sécurité nationale. On parle de fraude aux examens scolaires. Les autorités préfèrent donc se limiter à la simple interdiction des téléphones portables sur les lieux d’examen, quitte à accepter les failles que cela comporte. D’autant que le téléphone n’est pas le seul mal dont il faut se soucier. S’y ajoutent la substitution de candidats et la complicité des surveillants eux-mêmes, sans compter ce que l’on ne sait pas encore de la tricherie en Côte d’Ivoire. Pour les candidats prêts à prendre le départ dans les starting blocks, pour combattre la tricherie il faut arriver à démontrer ses conséquences. Or, ce qu’ils voient c’est que le mérite n’est pas la condition sine qua non pour réussir dans la vie.
Raphaël TANOH