Depuis mars dernier, les Ivoiriens vivent avec la Covid-19. Pour protéger la population, l’État a fait comme la plupart des pays touchés par la pandémie. La fermeture des lieux de spectacles, des maquis et des boîtes de nuit pendant plusieurs semaines a plongé le monde du « show » dans une crise économique. Malgré les aides diverses, c’est un secteur moribond qui se prépare à accueillir ces festivités. Outre le respect des mesures barrières, les Ivoiriens, qui sortent d’une période électorale avec des activités au ralenti, se plaignent des poches vides. Mais il faudra assurer comme les années précédentes, fêtes et célébrations obligent ! Quelles fêtes de fin d’année pour 2020 ? Zoom sur un sujet brûlant.
Ce seront les premières fêtes de fin d’année sous la pandémie à coronavirus. Si la plupart des mesures barrières ont été levées, ce n’est pas tout à fait la sérénité au niveau des spectacles annoncés, des sorties prévues, des ambiances dans les rues. Car beaucoup de choses risquent de changer. Le District autonome d’Abidjan, premier « Maestro » de ces célébrations dans la capitale économique, va d’ailleurs faire quelques petits réglages. Des mesures seront prises relativement à la pandémie à coronavirus. Il y aura bel et bien le traditionnel « Abidjan ville lumière », assure un proche collaborateur du gouverneur du district d’Abidjan, Robert Beugré Mambé. Mais les feux d’artifices seront éclatés dans de nombreuses communes de la capitale économique cette année, contrairement aux années précédentes. C’est une première à Abidjan. D’après le district, cette mesure a été prise pour éviter de gros attroupements pendant les fêtes de fin d’année. Ainsi, si les regroupements sont dispersés, ils seront moins importants.
Résurgence Malgré la levée de l’essentiel des mesures barrières, le district affirme qu’il faut s’inquiéter de la résurgence des cas de Covid-19 aussi bien à l’extérieur du pays qu’au niveau national. « Les lumières seront également éclatées, mais ça ne sera pas la première fois, contrairement aux feux d’artifices. Cela a été décidé pour également éviter les attroupements dans les communes», signale notre informateur. Au niveau du cabinet de la Première dame, Dominique Ouattara, on assure que l’arbre de Noël se tiendra comme chaque année pour satisfaire des milliers d’enfants, mais que des dispositions seront prises pour éviter qu’ils soient tous réunis au même endroit. Même ton d’assurance à la mairie d’Abobo. Le Premier ministre Hamed Bakayoko a prévu, selon un proche collaborateur, d’illuminer une fois de plus sa commune. L’emblématique rond-point ainsi que le carrefour Banco bénéficieront de lumières. Mais toutes les mairies ne sont pas dans ces dispositions. À Treichville, par exemple, l’adjoint au maire Boto Jean Roger signale qu’aucune festivité n’est prévue cette année. Du moins, pour le moment. Même son de cloche à Attécoubé. « Cette année, les fêtes de fin d’année seront particulières, à cause du coronavirus. Mais la mairie n’a pour le moment rien prévu pour l’embellissement de la commune », se désole Salif Coulibaly, adjoint au maire. Pour les organisateurs de spectacles, plusieurs concerts sont programmés. John Kiffy, par exemple, monte sur scène le 12 décembre au Yelam, à Treichville. Le groupe musical ivoirien Zouglou Makers organise le 20 décembre prochain dans l’après-midi son premier concert live au Palais de la culture de Treichville. On annonce aussi le grand retour de Singuila sur les bords de la lagune Ébrié, un concert de l’immanquable Falyy Ipupa et surtout la traditionnelle émission de fin d’année « Bonjour 2021 ».
Sérénité La sérénité n’est pas encore de mise pour autant. Les derniers concerts dans cette pandémie à coronavirus n’ont pas drainé du monde. Et les artistes restent prudents. « C’est vrai que les mesures barrières ont été levées, mais les spectacles sont rares. Et cela reste malgré tout un période difficile pour les artistes », indique l’artiste chanteur reggae Fadal Dey. Même s’il compte organiser une tournée dans cette période festive, le Président de l'Union pour le progrès des artistes de Côte d'Ivoire se dit quand même réservé quant à la réussite des spectacles pour ces fêtes de fin d’année assez particulières. « Parmi-nous, il y en a beaucoup qui préparent des évènements, mais calmement ».
Les artistes ne sont pas les seuls à appréhender ces fêtes avec beaucoup de circonspection. Les tenanciers de maquis et bars restent eux-aussi vigilants. « C’est la période pendant laquelle on fait le plus de bénéfices. Lorsque vous la ratez, il faut attendre des mois pour avoir des occasions de ce genre. L’année dernière, par exemple, la recette était très bonne par rapport à 2018. Mais cette année on craint tous le pire », explique Serge Kouadio, gérant du maquis Ekito à Abobo-té. M. Kouadio d’ajouter : « les gens n’ont pas d’argent. Avec le coronavirus et la situation politique, beaucoup de personnes ont eu des difficultés. Ceux qui ont de l’argent évitent de le dépenser. Cela pourrait avoir des répercutions sur nos recettes». Mais il souhaite se tromper, car si les recettes ne sont pas bonnes, la santé financière de son maquis s’en trouvera très mal. Les tenanciers de maquis sont obligés de s’approvisionner malgré tout et espérer de bonnes fêtes de fin d’année. C’est à pile ou face. Les bars, longtemps privés d’ouverture, espèrent également attirer du monde. « Beaucoup on fait faillite à cause des mesures barrières contre le coronavirus. La plupart de tenanciers de bars se sont endettés. Des occasions comme les fêtes de fin d’année sont une bonne opportunité pour se faire de l’argent », ajoute Marcelin Adingra, qui gère le Prince, aux Deux-Plateaux. Contrairement à Serge Kouadio, il croit dur comme fer que les Ivoiriens vont sortir nombreux pour s’éclater pendant ces fêtes. « On dit chaque année que les Ivoiriens n’ont pas l’argent, qu’ils ne sortiront pas beaucoup. Mais pendant les fêtes on les voit s’éclater. Je pense que ce sera la même chose cette année », promet-il, avec un rare optimisme. Serge Kouadio pense que ce sera l’occasion pour de nombreux gérants, au bord de la faillite, de se refaire une santé. « Tout le monde n’a pas bénéficié des mesures d’accompagnement du gouvernement. Et le secteur le plus touché est le nôtre », ajoute-t-il. Mais il a trop vite fait de s’avancer. Parce que, crise économique et contexte politique obligent, beaucoup d’Ivoiriens envisagent de passer les réveillons de la Noël et de la Saint Sylvestre à l’église et en sobriété, avec la famille. C’est notamment le cas de Jean-Claude Gnaulou, un jeune salarié qui habite la Riviera Palmeraie. « On vient d’une période électorale compliquée. Je pense que la première chose à faire, c’est de prier pour la paix, qui n’est pas encore totalement acquise. S’il faut sortir, il faut éviter de s’éloigner de la maison », explique-t-il.
Pour lui, il faut aussi craindre l’insécurité. Les mesures barrières relatives à la Covid-19 et les réticences des uns et des autres, à l’entendre, donneront à n’en point douter des fêtes d’année assez ternes.
Ternes Ternes ou pas, pour Soumahoro Ben N’Faly, Président de la Fédération nationale des organisations des consommateurs de Côte d'Ivoire (CNOC-CI), il faudra y aller avec le dos de la cuillère pour les dépenses. « C’est le même message chaque année. On dépense énormément pendant le mois de décembre et en janvier c’est très difficile », interpelle-t-il. Covid-19 ou pas, selon Soumahoro Ben N’Faly, les Ivoiriens ont gardé leurs habitudes. « Quand vous sortez, ce sont les mêmes embouteillages. Je pense que nous allons assister à des fêtes de fin d’année normales », note-t-il. Et même à des fêtes de fin d’année assez bouillonnantes. Les fêtards sortiront voir les feux d’artifices, les lumières, ils iront dans les maquis et boîtes de nuit comme à l’accoutumé. Parce qu’on est en Côte d’Ivoire et qu’on aime s’amuser.
Raphaël Tanoh