Sécurité : L’ère du professionnalisme

De la crise politico-militaire de 2002 à la fin de la crise post électorale de 2011, la Côte d’Ivoire a hérité d’une armée et d’une police faites de « bras cassés », de « desperados » et de mutins. Pour redonner au pays son attractivité, sa sécurité et son hospitalité d’antan, il a fallu, à coup de réformes et de concessions, professionnaliser les limiers de l’État. La situation dans son ensemble s’est améliorée. Mais parfois, entre les satisfecits du gouvernement et la perception par certaines populations de l’indice de sécurité, l’écart est grand. Aujourd’hui, pour l’extérieur comme pour les Ivoiriens, la question est de savoir ce qui menace en premier la sécurité dans le pays ? Les terroristes, l’armée ou les Ivoiriens eux-mêmes ?

Arrêtons-nous un instant sur ces notes émanant du site officiel du gouvernement du Canada, adressées à ses ressortissants. « Information sur la Côte d’Ivoire : Faites preuve d’une grande prudence en Côte d’Ivoire en raison de la criminalité (…) Situation en matière de sécurité : Régions frontalières avec le Mali et le Burkina Faso - Évitez tout voyage non essentiel. Évitez tout voyage non essentiel dans les zones situées à moins de 50 km de la frontière avec le Mali et le Burkina Faso (…) en raison du risque d’activité terroriste ». Pas très flatteur pour une Côte d’Ivoire qui a connu son lot de péripéties et qui essaye, malgré tout, de soigner son image. Le taux de criminalité n’a-t-il pas baissé dans le pays de 4,60% en 2020, par rapport à l’année précédente où l’indice de sécurité était de 1,1 en avril ? Le phénomène des enfants en conflit avec la loi ne tend-il pas à disparaître ?

La menace terroriste ? Justement, elle était au cœur d’un séminaire bilan de la police nationale le 11 février dernier à Yamoussoukro. Certes, les djihadistes ont frappé dans la nuit du 10 au 11 juin 2020 à l’entrée sud de Kafolo, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, et quatorze militaires ont péri pendant cette agression. Deuxième attaque du genre, après l’attentat de Grand-Bassam en mars 2016.

Mais le directeur général de la police a assuré, au cours du séminaire, que le pays était préparé à toutes les éventualités. Plusieurs unités spécialisées ont vu le jour dans la police et la gendarmerie depuis la création du Centre de coordination des opérations décisionnelles (CCDO). Parmi elles, la Force de recherche et d’assaut de la police, l’Unité d’intervention de la gendarmerie (UIG) et les Forces spéciales de l’armée. Pour le général de corps d'armée Youssouf Kouyaté, ces unités sont là pour parer aux différentes menaces terroristes. Plusieurs niveaux d’alerte ont par ailleurs été établis. La « zone grise », par exemple, correspond à la surveillance et à la collecte d’informations. La « zone jaune » veut dire le déploiement et la « zone rouge », est le terme indiqué quand l’attaque terroriste a été perpétrée et qu’il faut passer à la riposte. Par ailleurs, le pays participe avec ses voisins à la lutte contre le phénomène lors d’opérations conjointes.

Au front La Côte d’Ivoire veut rassurer le monde extérieur, mais aussi sa population. Dans la poursuite de leurs efforts pour l’amélioration de la situation sécuritaire dans le pays, les autorités ont décidé de professionnaliser leur police. Et de l’impliquer davantage dans la protection. Les policiers ivoiriens sont devenus de ce fait… plus citoyens. Finis les bavures ! Au contraire, on les voit de plus en plus dans des rencontres d’échanges, des opérations de salubrité dans les quartiers et même des tournois de football.

« Ces actions entrent dans le cadre de la Réforme du secteur de la sécurité (RSS). Il y a eu d’abord la création en 2015 des Comités consultatifs et d’éthique. Ces organes ont pour mission de dénoncer les manquements des agents de la police nationale aux règles régissant leur profession, pour éradiquer des maux tels que le racket, la corruption et les tracasseries », explique un officier de police de la préfecture de police d’Abidjan.

La Côte d’Ivoire ne veut pas s’arrêter là. Korhogo accueille déjà une seconde école de police depuis le 27 juillet 2020. Avec ce projet, le gouvernement prévoit d’augmenter les effectifs de la police sur l’ensemble du territoire national. Le agents actuellement déployés ne répondent pas aux standards internationaux. Selon la loi de programmation de la sécurité intérieure, il faut un ratio d’un policier pour 400 habitants. Pour ce faire, il faudrait environ 26 701 policiers. Or, d’après le gouvernement, le pays n’en compte aujourd’hui que 19 993. Pour répondre aux normes, le pays envisage de recruter autour de 2 249 policiers supplémentaires.

Mais, pour que le pays soit sûr, son armée doit l’être. À ce niveau, un travail est également en cours. Après la fusion entre les ex-rebelles et les forces loyales, en 2014, régulièrement des officiers, des sous-officiers et des militaires du rang prennent part à des ateliers de renforcement des capacités sur les principes de la justice pénale internationale, les droits de l’Homme et la cohésion sociale. Toutefois, pour les autorités, l’application de la Loi de programmation militaire reste la priorité.

Départs volontaires « Actuellement, les effectifs par catégorie des armées sont disproportionnés et incohérents par rapport aux missions principales qui leur sont confiées. La norme est de 5% d’officiers, 25% de sous-officiers et 70% de militaires du rang. Mais, dans notre armée, ces ratios sont respectivement de 6%, 53% et 41%. Par ailleurs, la moyenne d’âge par catégorie, à savoir 45 ans, est beaucoup trop élevée pour les militaires du rang et les sous-officiers. Ces réalités ont donné lieu à des plans de départs volontaires, afin de réduire et de rajeunir les effectifs », note le Premier ministre Hamed Bakayoko.

Aujourd’hui, il existe aussi une ordonnance relative à l’exécution des sanctions disciplinaires, telles que les radiations. Le travail continue pour une application intégrale de la loi de programmation militaire. Dernière action en date, l’avancement en grade et le maintien en activité au sein des armées, de la gendarmerie nationale et de la police nationale. L’autre coup de maître que les autorités ivoiriennes ont réussi a été de responsabiliser l’armée et de lui conférer la neutralité qui lui a tant manqué pendant tant d’années.

Sérénité On s’en souvient, le chef de l’État a félicité les forces de défense au lendemain de l’élection présidentielle. Malgré les appels au coup d’État et les tensions qui ont émaillé le pays, les limiers n’ont pas ouvert le feu. Pas une seule balle tirée sur la population. Cependant, l’armée a encore du chemin à parcourir. Le classement 2021 des puissances militaires en Afrique, selon le Global fire power, classe la Côte d’Ivoire 24ème derrière des pays comme le Ghana et le Mali. « Des progrès ont été faits aujourd’hui pour rendre notre armée professionnelle », reconnait le Président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO), Willy Alexandre Neth. Toutefois, selon lui, beaucoup reste encore à faire pour que la Côte d’Ivoire dégage cette atmosphère de paix et de sérénité qu’elle est censée donner au monde extérieur après des décennies de crise.

Aujourd’hui, si l’on devait noter le pays sur l’indice mondial de la paix, les progrès seraient-ils significatifs ? Près de deux mois après la reprise du dialogue politique et le retour au calme, les craintes relatives aux législatives sont toujours là. Pour rappel, l’indice mondial de la paix 2020 classait le pays 105ème sur 163. 2 places gagnées par rapport à 2019, où la Côte d’Ivoire occupait la 107ème place. Mais les Ivoiriens sont encore loin du voisin ghanéen qui tourne autour de la 43ème place. Mais la Côte d’Ivoire revient de très loin. En 2013, elle occupait la 151ème place. « Si l’on tient compte des crises traversées, nous avons fait d’énormes progrès en termes de discipline dans l’armée et dans la police. L’instabilité politique est la seule chose à corriger », note Souleymane Fofana, Coordonnateur général du Regroupement des acteurs ivoiriens des droits humains (RAIDH). Le classement Rand Merchant Bank (RMB) des pays africains où investir en 2020 le confirme. Il fait la part belle au pays. L’Égypte est en tête et la Côte d’Ivoire occupe la 7ème place, juste derrière le Ghana et devant le géant nigérian. Son économie est l'une des plus diversifiées d'Afrique francophone. Mais RMB met un bémol : le pays présente des « risques politiques élevés ».

Raphaël TANOH

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