Au cœur du programme de tous les gouvernants depuis 1993, la réconciliation reste un vaste chantier. Profondément divisés sur les questions politiques, les Ivoiriens peinent à parier sur une réconciliation véritable depuis le décès de Félix Houphouët Boigny.
Le Père de l’indépendance avait pourtant réussi à maintenir la cohésion entre les Ivoiriens. Son long règne aura été ponctué par sa quête inlassable de paix et d’unité, et cela transparaissait dans tous ses actes et discours. Si l’Unesco continue, chaque année, de décerner un prix qui porte son nom « Prix Félix Houphouët Boigny pour la recherche de la paix », son peuple peine à retrouver celle-ci.
Longue marche L’unité nationale revient en boucle sur les lèvres des politiques, mais chacun prend soin de la définir en fonction de sa position de membre du parti au pouvoir ou d’opposant. Alors que le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) parle d’unité retrouvée avec un peuple réconcilié, l’opposition présente un « pays profondément divisé et non réconcilié », selon l’expression de Pascal Affi N’guessan. Les différentes crises traversées sont parvenues à mettre les Ivoiriens dos à dos, si bien que presque rien ne fait l’unanimité entre eux. « Aucune cause nationale ne parvient à faire taire les querelles entre Ivoiriens. Même l’équipe nationale de football n’y parvient pas. Cela est bien dommage, car la politique et les hommes politiques ont pourri tous les secteurs », observe le sociologue Ibrahim Kouyaté. Selon lui, il faut « dépolitiser » la notion de réconciliation et « parvenir à rassembler le peuple autour des symboles et des intérêts nationaux. Il ne s’agit pas d’avoir une conformité des points de vue, mais plutôt de parvenir à distinguer l’intérêt national et les intérêts partisans », prône-t-il. Difficile à réaliser dans un environnement où la politique semble occuper tous les espaces. Les bilans mitigés des Commissions dialogue, vérité et réconciliation qui se succèdent depuis une décennie et ne change que de nom et d’animateurs, prouve que le mal est profond. La catharsis tant attendue a du mal à arriver. « Normal. Dans ce pays, personne n’ose reconnaitre sa part de responsabilité et de tort. Tout le monde est subitement devenu victime et l’on a du mal à trouver des bourreaux », dénonce Hubert Kré, politologue, voyant en cela une fuite de responsabilité qui ne favorise pas « un dialogue sincère en vue d’évacuer tous les contentieux, chacun ayant ses propres préalables ». Justice d’abord pour les uns, table rase sur tous le passé et libération de prisonniers pour d’autres. La Côte d’Ivoire est devenue peu à peu prisonnière d’elle-même.
Malick SANGARÉ